On le sait, les plus petits adorent frissonner devant des histoires de monstres. Une façon de se confronter à leurs angoisses, selon les experts de l’enfance que nous avons rencontrés. Mais le loup est-il toujours aussi vilain qu’on le prétend ? A l’origine atroce, cette figure mythique est de plus en plus parodiée dans les livres. Pour un plaisir décuplé.

Juillet dernier. Laure, 3 ans et toutes ses dents, joue avec ses frères et soeurs, ferme soudain la porte de la maison de vacances, et crie à tout va :  » Comme ça, le loup ne pourra pas rentrer !  » Quelques semaines plus tard, sa cousine Clotilde, bientôt 4 ans, se promène dans un bois et demande à sa mamie :  » Tu crois qu’il y a des loups ?  »

La bête suscite l’effroi autant qu’elle fascine. Depuis toujours, le loup est présent dans les bouquins pour enfants.  » C’est l’animal féroce par excellence, considère Daniel Delbrassine, qui enseigne la littérature jeunesse à l’Université de Liège (ULg). Il représente la nature hostile, le fantasme terrifiant de l’animalité et la crainte de la dévoration, une peur ancestrale qui se traduit ainsi en Occident mais peut prendre la forme du lion, du tigre ou du jaguar dans d’autres civilisations. Cette figure se retrouve bien évidemment dans un genre littéraire comme le conte, puisqu’il s’agit d’un des plus sûrs témoins de ce qu’étaient les temps ancestraux, à travers les versions orales qui sont parvenues jusqu’à nous.  »

Qui n’a jamais parcouru Le Petit Chaperon rouge, Les trois petits cochons ou Leloup et les sept chevreaux ? Guia Risari, auteure italienne du Petit Chaperon bleu, avoue ainsi s’être fait lire et relire ces contes, jusqu’à les connaître par coeur.  » Je crois que je n’ai jamais connu d’expérience aussi heureuse que celle-là, car ces histoires contiennent plusieurs niveaux de lecture, que nous découvrons peu à peu. C’est aussi pour cela qu’elles ne nous lassent jamais. En outre, sans que nous nous en apercevions, elles traitent des noeuds profonds du psychisme : la peur, la jalousie, la haine, l’amour, l’incertitude, les difficultés relationnelles, le sentiment d’impuissance ou, au contraire, la volonté de tout contrôler. C’est un grand répertoire, non seulement d’aventures possibles, mais surtout d’existences et de sentiments vécus.  »

Bien à l’abri dans les bras de leurs parents, les kids aiment trembler à la vue d’un monstre aux dents aiguisées.  » Ces expériences leur permettent d’identifier leurs peurs « , explique Mandy Rossignol, docteur en psychologie et chercheuse FNRS à l’Université Catholique de Louvain (UCL). Les enfants ont la frousse, mais ne savent pas forcément de quoi. Avec leurs mots et leurs images, ces ouvrages leur offrent donc une représentation de leurs propres angoisses.  » Ils leur donnent des modèles sociétaux et leur montrent comment le héros parvient à se débarrasser du danger, poursuit Mandy Rossignol. A force, les plus jeunes savent qu’ils vont éprouver des frissons au fil de ces récits.  » Ils finissent même par en jouer et apprennent à avoir peur pour de faux.

Pour cette chargée de recherches, la peur constitue une étape normale dans le développement. Cela commence à quelques mois déjà, lorsque le nourrisson sursaute en entendant des bruits sourds. A 8 mois, vient l’angoisse des inconnus. Vers 2 ou 3 ans, apparaît la crainte du noir. Vers 5 ou 6 ans, celle des animaux. Etc.  » Ces frayeurs permettent d’apprendre la notion de danger. Dans le fond, ce qui fait trembler les mômes effraie encore de nombreux adultes. Nous avons juste appris à gérer ces affolements.  » De quelle manière ? C’est en se confrontant régulièrement à ce sentiment, en découvrant que tout se termine finalement bien, en lisant et relisant sans cesse la même histoire du grand méchant loup, que les têtes blondes parviennent à apprivoiser leur hantise.  » En affrontant la peur encore et encore, en s’habituant à cette dernière, l’enfant finit par la maîtriser « , résume Mandy Rossignol.

De ce point de vue, retirer de la bibliothèque familiale un titre qui provoque des cauchemars à sa progéniture n’est pas la meilleure chose à faire.  » L’évitement est la pire des réponses qui soit, explique le docteur en psychologie. Il ne faut pas éteindre la peur, mais aider à y faire face.  » De même, dire que ces animaux ne vivent pas dans nos régions ou allumer la lumière pour montrer qu’il n’y a rien sous le lit n’aide pas non plus l’enfant à vaincre son stress.  » Rationnaliser ne constitue pas une bonne solution, car les plus jeunes ne sont pas réceptifs à ce genre de raisonnement. Ils se diront que peut-être, quand même, un loup a pu se glisser dans leur chambre et que leur père ne l’a pas vu…  »

A la place, rien de tel que d’aider son bambin à affronter ses craintes, en développant ses propres stratégies de défense. Cela peut se faire en analysant avec lui comment le héros de l’histoire a pu se sauver d’un mauvais pas, en tentant de voir comment l’enfant pourrait lui-même agir, s’il se retrouvait à sa place… Et Mandy Rossignol de citer, à titre d’exemple, la façon de vaincre l’épouvantard, une abominable bestiole qui, dans Harry Potter, prend l’apparence de vos angoisses les plus profondes :  » Il faut imaginer comment ridiculiser ce monstre, en dotant une araignée de patins à roulettes pour qu’elle glisse et tombe, en habillant le loup d’une robe de fillette… La peur devient alors risible et l’enfant peut la mépriser.  » Au bout du compte, qu’importe la parade choisie, du moment que le petit soit acteur et participe pleinement à la construction du scénario.

DE L’ATROCITÉ À LA PARODIE

Pas besoin, pour autant, d’effrayer les mômes plus qu’il ne faut. La version initiale du Petit Chaperon rouge de Perrault, datant de la fin du XVIIe Siècle, est, à ce titre, particulièrement atroce.  » Elle finit très mal, confirme Daniel Delbrassine. L’héroïne est tout simplement mangée. C’était un conte traditionnel d’avertissement, dont seuls les adultes percevaient la charge symbolique. Il mettait en garde les jeunes filles face aux séducteurs, qui n’en veulent qu’à leur pucelage. La bête a, en ce sens, une signification sexuelle.  » Un sens qui n’est finalement pas très éloigné de celui donné au récent film Le grand méchant loup, avec Benoît Poelvoorde et Kad Merad au générique, et qui relate les infidélités de trois frères quadra…

Ce propos, dédié aux adultes, a bien évidemment évolué au fil des siècles, avec un rétablissement progressif de la justice et de l’ordre.  » En apparaissant dans la littérature pour la jeunesse, la figure du loup semble s’être atténuée « , explique l’enseignant de l’ULg, qui constate même que, ces dernières années, les auteurs exploitent ce mythe d’une nouvelle manière :  » On joue désormais sur la parodie, le détournement ou l’allusion.  » Ces récentes histoires font référence aux versions classiques des contes, les triturent, les transforment, jusqu’à leur donner un nouveau sens. Un régal, pour ceux qui sont déjà familiarisés avec le genre traditionnel et peuvent donc comprendre aisément ces allusions.

Le Belge Mario Ramos, très fort dans ce créneau, avait imaginé par exemple un loup qui rêvait d’être un mouton. La Française Claire Bouiller rend, quant à elle, cet animal végétarien :  » Ce carnassier par excellence va cultiver son propre potager, détaille l’auteure qui a eu cette idée après le scandale de la vache folle. Dès lors, ses moeurs s’adoucissent et les animaux de la forêt ne constituent plus une proie pour lui. Cela montre à quel point un méchant peut devenir gentil, s’il le décide ou si on l’aide. Le monde n’est ni noir, ni blanc. Mon récit est, de ce point de vue, porteur d’espoir et de changement.  » En définitive, un succès, puisque Un loup dans le potager a déjà été traduit dans de nombreuses langues.

Autre hommage à la littérature enfantine : Le Petit Chaperon bleu, de Guia Risari. On y lit la journée d’une ado à la pèlerine bleue, qui rencontre un garçon inquiétant doté d’un bizarre chapeau de loup, dans une plaine de jeux de banlieue. Et les deux complices de passer en revue toutes les histoires qui ont rempli leur enfance.  » Ces parodies incitent les enfants à créer de véritables salades d’histoires « , considère l’auteure, qui montre dans son ouvrage comment le jeu et un but commun permettent de dépasser l’hostilité.

Dans chacun de ces livres, de nouvelles thématiques sont abordées. Avec, très souvent, l’apparition de sourires, du côté de l’enfant qui découvre avec plaisir ces versions non conformistes du vilain aux dents pointues. Entre les larmes causées par la peur et le rire, il n’y a finalement qu’un pas…

PAR CATHERINE PLEECK

 » Il ne faut pas éteindre la peur, mais aider à y faire face.  »

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