Quique Dacosta, un des chefs les plus créatifs de la nouvelle vague espagnole, occupe la 40e place au World’s 50 Best Restaurants. Enraciné à Dénia, sur la Costa Blanca, entre Valence et Alicante, il met tout son talent à valoriser les produits de son terroir. Entre mer et montagne.

Pour localiser Dénia sur une carte de la péninsule Ibérique, il faut repérer les îles Baléares. La petite cité balnéaire qui abrite le restaurant éponyme du chef doublement étoilé Quique Dacosta se situe en effet à la hauteur d’Ibiza, à cet endroit où l’Espagne décrit une pointe, à mi-chemin entre Valence et Alicante, toutes deux distantes d’une centaine de kilomètres. Situé sur la route qui longe la côte, l’établissement expose un beau contraste entre un bâtiment plus ancien et une nouvelle architecture, un parallélépipède de verre, aménagé en un confortable salon. Les convives y sont accueillis pour y prendre l’apéritif, à moins qu’ils souhaitent profiter de la terrasse.

Parmi les tapas qui ouvrent les deux menus 2012 baptisés  » Universo Local  » et  » El sabord del Mediterráneo  » : une caissette en bois remplie de pierres sur lesquelles sont déposées des tiges de Sedum sediforme. Cette plante grasse des milieux rocailleux, appelée ici raïm de pastor, est servie marinée en saumure, ce qui facilite sa digestion. Au passage, le maître d’hôtel souligne qu’elle possède des propriétés médicinales, agissant entre autres comme un puissant anti- inflammatoire buccal, gastrique et hépatique. Une première et éloquente indication sur la cuisine de Dacosta qui puise son inspiration au c£ur même de son biotope, entre Méditerranée et montagne aride.

 » Universo Local  » propose aussi le fameux  » Cubalibre « . Ce plat, inventé en 2001, est composé d’une mousse de foie gras recouverte d’une gelée brunâtre translucide, dont l’ingrédient majeur justifie son appellation. Provocateur et radical, Dacosta, 40 ans, remplace en effet les traditionnels vins doux que l’on accorde au foie gras par le rhum et le cola du cocktail Cuba libre.

Au fil de  » Universo Local « , le chef témoigne aussi de son attachement à  » sa  » Méditerranée. Il interprète abondamment cet amour dans ses recettes, en mettant en scène des ingrédients comme la crevette rouge de Dénia, ou par ses créations dédiées à la céréale reine de la région : le riz dont on fait la paella.  » Ma culture culinaire est locale aux 9/10, s’enthousiasme-t-il. Mais on ne peut rester fermé sur soi-même. Lorsque j’utilise une vapeur d’algues pour cuire un crustacé ou une papillote pour le rouget, ces techniques n’appartiennent à l’évidence pas à mon patrimoine hispanique. « 

Dacosta s’est imposé dans l’élite de la gastronomie avec son fabuleux  » Bosque Animado  » (Le bois animé), imaginé, lui, en 2005 et évoquant un paysage. Il y aborde un de ses thèmes favoris, remontant à sa petite enfance.  » Je suis né à l’intérieur du pays, en Estrémadure, près de Cáceres, confie-t-il. Adolescent, j’ai suivi ma mère jusqu’ici, dans la région de Valence. Par mes origines, je me sens attaché à la culture du flamenco. C’est quelque chose de très intime, lié à la terre. À la maison, on écoutait du flamenco toute la journée. « 

 » Bosque Animado  » incarne aussi un autre héritage, revendiqué avec une même passion : le baroque.  » Ce style s’exprime notamment par la multitude, souligne Dacosta. Et ce plat y répond, car il compte une soixantaine d’ingrédients. Il permet aussi d’apprécier une autre facette de ma cuisine qui valorise la saison.  » Le  » bois  » du printemps est plus floral. Sa  » terre  » est réalisée à partir de champignons printaniers. En été, il est plus végétal : les légumes remplacent les fleurs. Les versions d’automne, puis d’hiver, elles, suggèrent les sous-bois, avec les tubercules, rejoints enfin par les truffes… Blanches d’abord, noires ensuite.

Comme tous les chefs d’avant-garde, Dacosta doit répondre aux attentes d’un public exigeant.  » Lorsqu’on évolue à un certain niveau de la gastronomie, on devient prévisible, dit-il. On utilise les techniques de pointe, les meilleurs ingrédients du monde. J’avais jusqu’ici pour ligne de conduite de remettre sans cesse sur le métier les mêmes plats, jusqu’à tendre à la perfection. Mais cela m’avait fait perdre en spontanéité, en fraîcheur. Il n’était plus pensable dès lors de développer une nouvelle recette autour d’un produit exceptionnel que vous amène occasionnellement un pêcheur ou un paysan. « 

Aujourd’hui, Dacosta explore avec brio cette immédiateté, cette part d’imprévisible.  » Je veux être ouvert à ce qui arrive, martèle-t-il. Ce qui étonne, ce qui est de saison. Je me permets des expressions plus sauvages, plus brutes du produit, presque primitives, proche du dénuement. Mais attention, dénuder ne signifie pas que j’enlève des éléments d’une construction. À l’inverse, je ne retire rien : ce que je fais, c’est ne pas ajouter. « 

Ce goût de l’épure est notamment magnifié dans  » Aguacate « , un plat qui se compose d’un quart d’avocat fumé, assaisonné par son noyau râpé, et servi avec un  » dashi « , un bouillon d’inspiration japonaise, confectionné à base de spécialités locales – la petite crevette fraîche et la laitue de mer – et dont le chef nous livre les secrets ci-contre.

La démarche de Dacosta inclut aussi tout un travail en amont en s’entourant de fournisseurs et de producteurs consciencieux. À ce propos, il fait volontiers une comparaison avec la tauromachie.  » Les taureaux n’existeraient plus sans la corrida. Les toreros sont ceux qui les sacrifient, certes, mais ce sont aussi ceux qui maintiennent les élevages et leurs paysages. La cuisine d’avant-garde joue un rôle similaire de préservation d’un patrimoine, en utilisant des produits d’exception, et en offrant un prix juste à ceux qui les cultivent ou les récoltent. « 

Carnet d’adresses en page 104.

PAR JEAN-PIERRE GABRIEL

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