En quarante ans, le label au cavalier rouge a marqué la mode de son fer. Avec son fondateur, Weekend revient sur une success story made in USA.

Le dénominateur commun entre le Coca-Cola, Ernest Hemingway, les Cadillacs, John Fitzgerald Kenne- dy et Ralph Lauren ? Tous sont emblématiques d’une certaine Amérique, dont l’image vient spontanément à l’esprit à la simple évocation de leur nom. La ligne de vêtements lancée par Ralph Lipschitz, fils d’un peintre en bâtiments du Bronx, a d’ailleurs bien failli s’appeler Base Ball Ralph Lauren. Si celui qui décida de troquer son patronyme russe contre un nom à consonance plus Wasp opta finalement pour Polo, c’est parce que ce sport véhiculait une image plus raffinée que le très populaire base-ball.

Dès son lancement, il y a quarante ans, la griffe met en effet à l’honneur les valeurs de la bonne société d’outre-Atlantique, prospère, saine, enthousiaste, distinguée et dotée d’un sens développé de la compétition. Et la saga Polo Ralph Lauren elle-même pourrait incarner le rêve américain, tant elle est révélatrice de cet esprit d’entreprise qui veut que, pour peu que l’on ait des idées et de la volonté, tout est possible aux Etats-Unis.  » En 1967, je ne savais pas exactement où cette aventure me mènerait mais je savais par contre très clairement ce que j’aimais faire, déclare aujourd’hui le businessman. Je ne me suis jamais dit  » Je vais être le plus grand créateur « . Je voulais seulement tracer ma propre voie. Depuis le tout début, je suis resté fidèle à moi-même. J’ai réalisé ce que j’aimais faire et ce en quoi je croyais, et, lorsque vous agissez comme cela, quand vous avez foi en quelque chose, vous réussissez.  »

Une ligne de conduite qui deviendra un credo, que Giorgio Armani himself saluera à l’occasion des 35 ans de carrière du styliste américain :  » Il a choisi une route et l’a toujours suivie. La cohérence est le secret de sa réussite « . Et le mot est faible. Pour l’exercice 2006, la compagnie Ralph Lauren affiche un chiffre d’affaires de 2,85 milliards d’euros, une croissance de 13 % et une marge opérationnelle de 393 millions d’euros. Quant à la fortune personnelle de son PDG, elle est estimée à plus de 800 millions d’euros…

Self-made-man

La success story débute en 1967. Alors que la société occidentale subit les coups de boutoir d’une jeunesse en pleine révolte contre l’ordre établi, Ralph Lauren se lance dans un commerce de cravates. Une idée qui n’est pas tant à contre-courant qu’il y paraît : à 29 ans, celui qui est encore loin de se douter qu’il va bâtir un empire sait néanmoins que, pour s’imposer, il faut sortir du lot. Alors que la mode en la matière est à la rigueur et à la discrétion, Ralph Lauren propose des cravates ultralarges et colorées, qui séduisent les acheteurs de Brummel, le fameux magasin new-yorkais. Le succès est immédiat. L’année suivante, avec pour tout bagage des notions de gestion et une expérience de vendeur chez Brooks Brothers, une institution de l’habillement au masculin, il met sur les rails sa société, Polo by Ralph Lauren, spécialisée dans les vêtements haut de gamme pour hommes.

Les réussites s’enchaînent : en 1971, deux ans après l’inauguration d’un corner dans l’enceinte du cultissime Bloomingdale’s, Ralph Lauren lance sa première collection femme et ouvre une boutique en son nom à Beverly Hills. Il devient ainsi le premier styliste US à posséder son magasin. L’année suivante, il présente une ligne de chaussures, puis celle d’après des accessoires, suivis très rapidement par la gamme  » eyewear « . En à peine quelques années d’existence, le label Ralph Lauren se voit également décerner un Coty Award. Une récompense qui ne fait que préfigurer d’autres prix prestigieux décernés par la profession : il sera ainsi le seul à être primé quatre fois par le CFDA (Council of Fashion Designers of Amercia), et le premier à recevoir l’American Fashion Legend Award, des mains de son amie Diane von Furstenberg, en juin dernier.  » Personnellement, ce dont je suis le plus fier ne se résume pas à un moment, commente-t-il. Quarante ans se sont écoulés depuis que je suis arrivé dans le métier, et rester aussi longtemps dans le business de la mode est plutôt exceptionnel. Ma société est plus forte aujourd’hui que jamais, et j’ai une équipe terrible qui me soutient dans ma vision.  »

Un concept gagnant

Très vite, dès les années 1970, se dégage une des principales lignes de force du succès de Polo Ralph Lauren : le concept. Non seulement l’homme d’affaires a une vision claire des valeurs que ses produits doivent véhiculer, mais en plus, et c’est totalement neuf à l’époque, il développe un véritable univers cohérent autour de ceux-ci, de sorte que son style est immédiatement identifiable.  » Si vous dites à quelqu’un  » c’est très Ralph Lauren « , vous êtes immédiatement compris « , déclare Audrey Hepburn lors de la remise du  » Lifetime Achievement  » à Ralph Lauren par la CFDA, en 1992.

Plus que des vêtements et des accessoires, Ralph Lauren vend en effet un mode de vie idéal,  » casual chic « , dans lequel se conjuguent tant les valeurs de la bourgeoisie de Boston que celles du mythique Far West. En achetant la marque, on s’offre aussi le sentiment jouissif de pénétrer le cercle très exclusif d’une certaine élite américaine. Un sentiment encore renforcé par la participation du styliste à la création des costumes de  » Gatsby le magnifique  » (1975), avec Robert Redford. Le créateur n’a par ailleurs jamais caché son attirance envers le 7e art :  » Quand je travaille sur une collection, j’ai l’impression de faire un film, s’enthousiasme-t-il dans  » Ralph Lauren « , le livre retraçant ses quarante ans de carrière (1). Je veux raconter une histoire, donc je pense qu’on peut dire que j’écris à travers mes vêtements.  »

Trois ans plus tard, on assiste à la naissance de Polo for Boys ainsi qu’à la première incursion du label dans l’univers des parfums avec Polo, pour l’homme, et Lauren, pour la femme. D’autres jus suivront, très souvent plébiscités dès leur sortie ( lire ci-après), de même que des lignes d’accessoires en cuir, de jeans, de sportwear ou encore de sous-vêtements.  » La progression s’est faite de façon naturelle, confiait David Lauren, second fils de l’entrepreneur de génie, à  » L’Express  » le 8 juin dernier. Le prêt-à-porter homme d’abord (…). Ensuite mon père a eu envie d’habiller ma mère, les enfants sont nés et une collection a suivi, comme une évidence.  »

Home, sweet home

Poursuivant sa fresque de l’Amérique idéale, Ralph Lauren s’attelle alors à la décoration. Dès 1983, il est le premier styliste à décloisonner mode et design.  » La maison était en train de devenir bien plus qu’un point de détail, se souvient-il. Les gens ne s’intéressaient plus seulement aux vêtements, mais aussi au look de leur intérieur. J’ai toujours voulu que mes créations enrichissent la vie de mes clients, que ce soit dans leur façon de s’habiller ou dans leur mode de vie. Toutes les choses que je dessine s’influencent et se nourrissent l’une l’autre. J’ai en tête une image globale, parce que, dans la réalité, tout est connecté.  » Là aussi, l’identification joue à plein : en décorant son sweet home aux couleurs de la griffe, on se transporte aux côtés de Ralph, sa femme Ricky et leurs trois beaux enfants dans leur manoir de Bedford, leur ranch du Colorado, leur duplex de Manhattan ou encore leur propriété en Jamaïque.

Avec la ligne Purpel Lable, lancée en 2002 pour rivaliser avec les costumes sur mesure des grands couturiers, la compagnie Ralph Lauren renforce encore son positionnement en tant que label incontournable du luxe.  » Mes collections sont basées sur le style, insiste Ralph Lauren. Un style fait de qualité, d’intégrité et d’intemporalité. Il ne s’agit pas de suivre les tendances, mais de paraître toujours frais et neuf. Mon inspiration évolue de saison en saison mais mes  » focus  » demeurent constants.  » On n’a peut-être pas la fortune de Ralph Lauren, et, contrairement à lui, on n’a sans doute pas été repris parmi les cent personnalités les plus influentes dans le magazine  » Time « . Mais en portant ses costumes, on affiche la classe des  » winners « , un peu comme ces hommes parfaits évoluant dans un environnement qui l’est tout autant, et que l’on admire dans les campagnes de pub de la marque.

L’Amérique, puis le monde

En ouvrant sa boutique de la place de la Madeleine, à Paris, Ralph Lauren devient, en 1986, le premier styliste américain à s’installer en nom propre dans la Ville lumière. L’extension de la marque s’est entre-temps poursuivie de par le monde, principalement via l’octroi de licences. Depuis 2000, Ralph Lauren s’est cependant lancé dans une politique de rachat de celles-ci, afin de mieux contrôler son image et d’éviter les dérives, rencontrées notamment par un autre grand créateur natif du Bronx, Calvin Klein. Cet été, la plupart des licences japonaises sont ainsi rentrées dans le giron de marque, pour un montant frôlant les 274 millions d’euros.

Ne laissant rien au hasard, la maison-mère adapte aussi soigneusement ses points de vente aux spécificités des différents marchés, de Buenos Aires à Melbourne.  » Nous ajustons surtout la sélection et l’agencement des boutiques, pour appréhender la culture et la clientèle d’un pays donné « , précisait David Lauren dans l’interview accordée à  » L’Express « . En Belgique, on retrouve ainsi des enseignes de la marque à Anvers, au Zoute et sur le très chic boulevard de Waterloo, à Bruxelles.

Quant aux valeurs fortement estampillées  » US  » véhiculées par le label, elles ne sont en aucun cas un obstacle au succès de la griffe, au contraire :  » Les USA représentent la liberté, estime Ralph Lauren. Les Américains font preuve d’un esprit optimiste, apprécié par les gens partout dans le monde. C’est pourquoi nos produits sont enviés et appréciés tant aux Etats-Unis, qu’en France ou au Japon.  »

Avec l’implantation en Russie, au printemps dernier, c’est une étape de plus – combien symbolique -, qui est franchie dans l’expansion de la marque au cavalier rouge.  » Notre présence dans ce pays représente un développement significatif dans notre business mondial, conclut Ralph Lauren. Pour la première fois, les clients russes vont accéder à ma vision de la mode, ce qui leur ouvre des perspectives intéressantes tant pour eux-mêmes que pour leur famille et la déco de leur maison.  » Après l’économie de marché, le Coca-Cola, les vedettes de cinéma et les voitures américaines, il ne manquait plus que cet emblème-là,  » le meilleur de l’Amérique « , comme le déclare souvent Karl Lagerfeld, pour que le rêve américain gagne l’Est.

(1)  » Ralph Lauren « , l’ouvrage retraçant les quarante ans de la marque, sera distribué dès octobre prochain dans les magasins de la marque, les librairies et certaines boutiques de cadeaux. Il comprend 480 pages et 750 photos et est édité chez Rizzoli International Publications. Une version  » de luxe « , avec couverture en veau façon croco, sera également disponible.

Delphine Kindermans

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