A l’apogée de sa carrière, le chef a décidé de fermer les portes de son établissement 3-étoiles, Oud Sluis, aux Pays-Bas. Il continue néanmoins à s’investir dans ses deux autres projets, le Resto Bar Pure C, à Cadzand, et The Jane,à Anvers. Rencontre.

Fin 2013, Sergio Herman a mis un terme à l’aventure d’Oud Sluis, son enseigne triplement étoilée et situé à Sluis, en terres néerlandaises, non loin de la frontière belge, estimant qu’il n’était plus possible d’affiner davantage le concept et désireux d’échapper à la pression croissante d’un public qui attendait de lui une disponibilité permanente. Le natif d’Oostburg, en Zélande, continue toutefois d’exploiter sa brasserie Pure C à Cadzand (Pays-Bas), où sa présence quotidienne n’est pas nécessaire. Il a également ouvert, dans la chapelle de l’ancien hôpital militaire d’Anvers, le concept urbain de restaurant dont il rêvait. Rencontre avec un tout grand chef qui n’hésite jamais à donner le meilleur de lui-même et est aujourd’hui devenu, pour ses jeunes confrères belges et néerlandais, une véritable référence.

Comment va la vie depuis la fermeture de votre 3-étoiles ?

A 44 ans, j’ai atteint l’âge où on commence à relativiser, à voir les choses autrement et à accorder moins d’importance à son ego.

N’avez-vous pas l’impression d’être libéré d’un poids ? Livrer des prestations d’un tel niveau deux fois par jour, cela doit être épuisant !

Je sens bien que les mois écoulés ont été rudes. J’ai débuté ma semaine hier en travaillant jusqu’à 2 heures du matin. Aujourd’hui je tiens le coup mais, d’ici samedi, je sais que je vais commencer à le sentir. J’ai du mal à bosser autant qu’avant… Heureusement, ce n’est plus nécessaire ! Avec deux restaurants, ma situation est désormais différente. Le fait de pouvoir répartir mon temps entre Pure C et The Jane représente pour moi une certaine délivrance, même si je n’arrêterai évidemment jamais de me tracasser pour l’une ou l’autre chose.

Un pro comme vous ne peut-il pas déléguer davantage ?

Lorsque je n’avais qu’un seul établissement, j’étais sur la brèche cinq jours par semaine. Quand on se partage entre deux projets comme je le fais maintenant, on est obligé de trouver des collaborateurs sur qui on peut compter – mais il faut les former, ce qui prend plusieurs années. Je m’efforce néanmoins peu à peu d’évoluer vers une situation où je ne serai plus indispensable. J’ai l’équipe de Syrco Bakker au Pure C et celle de Nick Bril au The Jane, le but étant que les adresses tournent sans que je ne doive être présent en permanence. Il est vrai que j’ai commencé à déléguer relativement tard parce que j’étais vraiment passionné par mon métier – et cela n’a d’ailleurs pas vraiment changé !

Vous avez la réputation de toujours tout contrôler. Vous y parvenez encore ?

Au Pure C, j’ai des caméras en cuisine qui me permettent de veiller à ce que tout se passe bien en salle. Je garde un oeil, mais je ne surveille pas les personnes avec qui je travaille et en qui j’ai pleine confiance. Mes collaborateurs se chargent de checker toute une série d’aspects et de m’en informer lors de nos contacts quotidiens. J’ai aussi des clients réguliers qui contribuent à me tenir au courant, ce qui est toujours sympa – et ils ont tout à fait le droit d’être critiques. En interne, la confiance, l’investissement personnel et la responsabilité jouent un rôle fondamental. Dans l’horeca, rien n’est jamais acquis.

N’est-ce pas difficile de prendre de la distance dans un secteur où il y a sans cesse de nouveaux défis à relever ?

Lorsqu’un projet se présente, je m’interroge sur sa plus-value. J’ai déjà pris plusieurs engagements. Je suis notamment actionnaire de Minestrone, la maison d’édition du photographe Tony Le Duc. Je m’efforce de faire chaque année un programme télé et je m’associe à un certain nombre d’actions commerciales, que je choisis en fonction de leur qualité. Il s’agit toujours de campagnes pour des produits que j’apprécie et qui ont un rapport avec ma profession : pas question d’associer mon nom à tout et n’importe quoi ! J’ai notamment des partenariats avec les casseroles Demeyere, les meubles de cuisine Obumex ou encore le chocolat de Barry Callebaut – autant de produits dans lesquels je me retrouve. Idem pour les livres de recettes publiés chez Minestrone : ce sont vraiment des éditions exceptionnelles, qui sortent du lot. Tout cela vient s’ajouter au reste, mais est en réalité secondaire : mes restaurants passent avant tout.

Vous n’avez donc pas vraiment davantage de temps libre…

J’apprécie pourtant vraiment d’avoir quelques heures rien que pour moi… Quand j’ai une journée de congé, je m’aperçois qu’un quart de siècle de métier, ça laisse des traces. C’est que je n’ai plus 20 ans ! Il m’arrive parfois de décrocher et de laisser la maison aux mains de mes collaborateurs à 2 heures du matin, en leur disant que j’ai eu mon compte et que je vais me coucher. J’ai aussi d’autres centres d’intérêt. J’ai la chance d’avoir quatre enfants de 15, 9, 6 et 4 ans avec qui tout se passe bien. L’été dernier, nous sommes partis ensemble à Ibiza. Pour tout vous dire, ce n’est que maintenant que je me sens vraiment papa… J’ai aussi appris à profiter davantage de la nature et je prends plaisir à quitter Anvers pour retourner à la côte, alors que je n’aspirais autrefois qu’à la ville.

Le maître s’est-il un peu calmé ?

Je ne suis plus ce fou furieux qui se démenait dix-neuf heures par jour : l’activité reste certes frénétique, mais moins qu’avant. Bien sûr, il m’arrive encore de sortir de mes gonds, car j’ai du mal à supporter la négligence, le laxisme et la bêtise. Dans le passé, je n’hésitais pas à virer quelqu’un sur-le-champ. Je n’avais aucune patience, il fallait avancer ! Ma position actuelle exige une autre approche : je suis davantage amené à être aux côtés de l’équipe, à accompagner, discuter, guider. Avec l’âge, on apprend à voir les choses autrement.

Vous recherchez une certaine simplification avec The Jane, mais cela ne se ressent pas vraiment dans l’assiette, qui reste de tout haut niveau !

A l’Oud Sluis, nous allions dans le mur. Pour The Jane, nous avons choisi de démanteler ce style culinaire, même si la signature et la manière de travailler sont restées les mêmes. Il est impossible de proposer, dans un restaurant de cette taille, une carte du même niveau qu’à Sluis, et ce n’est d’ailleurs pas notre objectif. Nous avons voulu évoluer vers une cuisine plus accessible mais aussi plus épurée, qui fait la part belle aux produits et nous permet de mieux suivre les saisons. The Jane a toutefois aussi l’ambition de proposer une expérience totale qui va bien au-delà du repas lui-même.

Pourquoi avez-vous voulu faire du Jane un tel concept ?

Je pense qu’aller manger au restaurant, aujourd’hui, ce n’est plus du tout la même chose qu’il y a dix ans. Personnellement, les ambiances feutrées, j’en ai ras-le-bol : c’est complètement dépassé. Les clients doivent pouvoir bavarder, il faut de la musique, de la vie. La nouvelle génération recherche des plats de qualité à un prix correct et dans un cadre sympa. En soirée, il y a beaucoup de jeunes au Jane, et je trouve ça super. Au premier étage, nous avons essayé de créer une ambiance de  » food bar  » avec des cocktails, des boissons, des amuse-bouche et des suggestions simples. Dans la partie restaurant, au rez-de-chaussée, nous nous efforçons de proposer un menu hors du commun, où mes racines zélandaises se mâtinent d’influences venues des quatre coins du monde : nous y présentons la cuisine du futur dans une ambiance internationale. Le prix moyen d’un repas tourne autour de 120 euros, boissons comprises. Pour le moment, je ne pense pas aux étoiles Michelin… même s’il nous reste encore une marge pour nous développer.

Certains reprochaient à l’Oud Sluis cette multiplicité de petits plats peut-être un peu excessive…

Au Jane, le rythme du repas est beaucoup moins soutenu parce que nous regroupons les mets pour les apporter à table en une seule fois, ce qui évite les allers-retours incessants. Par contre, cela implique qu’en coulisses, nous finalisions plus de choses en même temps. Nous ne nous sommes donc pas facilité la tâche…

Peut-on attendre d’autres nouveautés dans un avenir proche ?

Le Strandhotel, qui abrite actuellement le Pure C, va céder la place à un nouveau projet, où je m’occuperai de tout ce qui touche à la nourriture et aux boissons. Le Pure C se doublera notamment d’un second restaurant plus accessible. Le nouveau Beach Hotel proposera également une formule petit-déjeuner originale ainsi que des  » Sergio Suites « , qui seront réalisées en collaboration avec le designer Piet Boon. Je ne vais donc pas avoir le temps de m’ennuyer…

Les recettes proposées dans ce magazine sont signées Sergio Herman et Nick Bril.

PAR PIETER VAN DOVEREN / PHOTOS : KRIS VLEGELS

 » J’ai atteint l’âge où on commence à relativiser et à accorder moins d’importance à son ego.  »

 » Je ne suis plus ce fou furieux qui se démenait dix-neuf heures par jour. « 

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