Parce qu’ils cartonnent au box-office, les  » films de filles  » ont la cote à Hollywood. Même si le genre n’a pas bonne presse et peine à séduire. les hommes. La faute souvent à des scripts éculés. Mais aussi au machisme culturel ambiant. Décryptage.

C’est l’histoire d’une fille, la petite trentaine, max, qui gère à fond, côté carrière. Mais qui côté c£ur est équipée d’un sonar pour repérer et attirer les loosers. Cette top biche, blonde de préférence, rousse à la limite quand le casting ose faire preuve d’audace, est toujours flanquée d’une copine faire-valoir et d’un pote gay über branché. Ajoutez à cela la présence incongrue chez cette célibataire urbaine d’un  » gêne tulle  » qui lui fait perdre tous ses moyens dès que l’on prononce le mot  » mariage « . Et une fâcheuse tendance à noyer son chagrin dans des virées shopping au-dessus de ses moyens ou des pots de glace Ben & Jerry’s dévorés à la petite cuiller à même le container.

Si le pitch vous est familier, c’est qu’il constitue la trame même de ce que l’on appelle aujourd’hui les  » chick flicks  » – littéralement films de poulettes – devenus un genre cinématographique à part entière. Réservée au départ aux purs produits dérivés de la  » chick lit  » – les scénarios étant directement tiré de best-sellers appartenant à ce type de littérature -, le terme a de plus en plus tendance à s’appliquer à  » tous les longs-métrages susceptibles de parler aux femmes « , y compris donc les mélodrames et les films à costumes. Et l’étiquette – méprisante et péjorative – dérange aussi bien les producteurs et réalisateurs que fervents amateurs de ces longs-métragesà

 » Dans l’industrie culturelle, c’est toujours celui qui a le pouvoir qui crée la norme, la référence. La minorité a juste droit à un terme qualifiant, s’insurge Gloria Steinem, célèbre féministe américaine. Vous avez les « films » et puis vous avez les « chick flicks ». Si ce label peut aider certaines personnes à éviter des films qu’elles n’aiment pas, je suggère pour ma part qu’on en crée un autre. Pourquoi ne pas rebaptiser « prick flicks » ( NDLR : ce que l’on pourrait traduire par films de gros connardsà) toutes ces superproductions qui font l’apologie de la guerre, du terrorisme, de la torture et de la violence faite aux femmes ?  »

Comme le souligne l’anthropologue Catherine Monnot, la dévalorisation des produits culturels à connotation féminine n’est pas un phénomène nouveau.  » De tout temps, la culture avec un grand C, c’était la culture masculine. Ce que les femmes pouvaient faire dans leur coin, en peinture, en littérature, en musique, n’intéressait personne. Aujourd’hui, c’est pareil : la variété n’a pas droit aux mêmes honneurs que le rock davantage plébiscité par les garçons. Et les films de Judd Appatow – que l’on regarde rarement pour la profondeur intellectuelle des dialogues – sont plus souvent qualifiés de  » culte  » que d’idiotieà « 

Pire encore : si les hommes ont le droit d’affirmer publiquement leur mauvais goût – aux yeux des petits snobs, c’est même branché d’aimer le crade, histoire de s’encanailler deux heures par mois -, les femmes n’ont pas ce privilège. En clair : si les daubes des mecs sont  » décalées « , les bluettes dont raffolent – bien souvent en secret – leurs copines sont juste  » débiles « .

Difficile, dans ces conditions d’attirer la gent masculine dans les salles obscures quand on y diffuse 27 Robes ou Meilleures ennemies. Selon le code (d’honneur ?) des bro’s ( NDLR : raccourci pour brothers, autrement dit le superpote qui passe avant tout dans votre vie), céder à ce genre de tentation est un signe de faiblesse.  » Un film comme Sex And The City, c’est un supertest pour mettre à l’épreuve votre nouvelle petite copine, pouvait-on lire sur les sites des anti-fans de la série d’HBO passée au grand écran en 2008. Si elle vous demande d’aller le voir avec elle, larguez-là !  »

Les grands studios pourtant ne l’entendent pas de cette oreille et rêvent de réconcilier Mars et Venus, au moins le temps d’une toile. Et pour ce faire, tous les moyens (de com) sont bons. Ainsi, on pouvait entendre, en janvier dernier, Jerry Bruckheimer himself,  » le  » fabricant de blockbusters à haute valeur en testostérone ajoutée – Pirates des Caraïbes, c’est lui – défendre bec et ongles le monument de chick flick qu’il venait de produire.  » Un film comme Confessions d’une accro du shopping ne s’adresse pas seulement aux femmes, martelait-il lors de la première du film à New York en janvier dernier. Nous avons tous tendance à dépenser plus qu’il ne le faudrait. Moi le premier.  » Même type d’opération séduction pour la sortie, il y a quelques mois, de He is just not that into you : cette fois, ce sont les trois acteurs principaux de cette comédie romantique qui mouillent leurs chemises dans une petite capsule – plus drôle il faut bien le dire que le film lui-même – listant les 10 clichés du genre absents du long-métrage.  » On sait les gars ce que vous pensez, assure en préambule Bradley Cooper. Mais bon, pourquoi vous énerver, c’est juste un film, ok ? En plus vous n’avez aucune raison de vous inquiéter, vous êtes en sécurité ici ( sic). On est là pour vous le prouver : vous pourriez même trouver cela sympa.  » Et si cela ne suffit pas, le dernier artifice en vogue chez les scénaristes d’Hollywood consiste à créer un nouveau produit hybride, flirtant – essentiellement dans la bande-annonce pour bien ferrer le poisson – avec le registre macho de la bromance ( NDLR : des histoires de bro’s pour les bro’s). Derniers exemples en dates : The Ugly Truth et Knocked Up. Outre le fait d’avoir tous les deux au casting la Meg Ryan des années 2000, à savoir Katherine Heigl, ces monuments du 7e art ont très opportunément choisi de pimenter le script avec un héros mal dégrossi, sexiste et bien lourd mais doté d’un c£ur d’artichaut.

 » Les studios ont de plus en plus tendance à proposer en marge des grands films fédérateurs comme Indiana Jones ou Pirates des Caraïbes, des produits de niche qui ciblent un public bien particulier, analyse Iris Mazzacurati, critique cinéma pour le magazine français Studio Ciné Live. Les genres sont extrêmement codifiés et tant que cela marche, on ne va pas demander aux scénaristes de faire preuve d’originalité. Et il faut bien constater que l’histoire de Cendrillon fonctionne encore et toujours depuis la nuit des temps.  »

En fait, c’est un peu le serpent qui se mort la queue : malgré la faiblesse des scénarios proposés, les femmes, à qui l’on n’offre rien d’autre, continuent à se contenter des mièvreries qui se retrouvent à l’affiche.  » Que diraient de tout cela Thelma et Louise « , se désespère la critique du New York Times Manohla Dargis chaque fois qu’elle se trouve confrontée à la énième version de Legally Blonde revisited.  » Les scénarios originaux, c’est dans le cinéma indépendant qu’il faut aller les chercher, constate Iris Mazzacurati. Mais l’on ne parle pas des mêmes moyens de production ni de diffusion.  »

On peut pourtant se demander ce qui explique ce manque d’audace : quand ils touchent bien leur cible – qui en principe représente potentiellement ni plus ni moins que la moitié du marché – les films de filles cartonnent lentement mais sûrement au box-office. Et c’est sans doute là que réside une part du problème : les femmes – parce qu’elles ont d’autres priorités ? – ne se précipitent pas toujours dans les salles obscures le premier week-end de la sortie du film. Un sérieux problème lorsque l’on sait qu’à Hollywood tout ou presque – la distribution internationale, la durée de présence dans les cinémas, le tournage éventuel d’une suite – se décide sur la base des résultats financiers engrangés lors de ces trois jours fatidiques.

La crise risque peut-être d’inciter les studios à encore davantage de prudence. L’heure n’étant plus à la dépense inconsidérée même sur grand écran, on peut espérer qu’elle aura un impact bénéfique sur les scénarios. En remettant enfin un peu de plomb dans la cervelle de toutes ces superbimbosà n

Par Isabelle Willot

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