Habiller une star lors des Academy Awards, c’est, pour un créateur, le quart d’heure de gloire assuré. Avec retombées bankables en prime. La journaliste londonienne Bronwyn Cosgrave s’est penchée sur la relation si particulière qui, lors des Oscars, unit mode et cinéma. Décryptage.

Sauvée in extremis par la fin de l’interminable grève des scénaristes américains, la 80e cérémonie de remise des Academy Awards (AA), aura bien lieu, ce 24 février, à Hollywood. Et pour les quelques heures qui restent encore avant le grand soir, les c£urs de Cate Blanchett, Julie Christie, Marion Cotillard, Laura Linney et Ellen Page, ne sont sûrement pas les seuls à battre la chamade. Chez Armani, Versace, Dior ou Chanel aussi on croise les doigts. Dans l’espoir de voir sortir d’une limo ce dimanche, l’une des cinq nominées à l’Oscar de la meilleure actrice, vêtue d’une robe de la maison.

Après les Jeux olympiques, les AA sont l’événement médiatique le plus couvert au monde. Car aux retransmissions télévisées s’ajoutent d’innombrables retombées  » papier  » et électroniques, assurant à la marque qui  » place  » une toilette, une paire de sandales ou un bijou, une visibilité qui vaut de l’or. Beaucoup d’or… Il se dit ainsi en coulisses que les images de Julia Roberts émues aux larmes dans sa robe Valentino vintage lors de la remise de la statuette tant convoitée pour Erin Brockovich (2000) aurait rapporté à la griffe quelque 25 millions de dollars (plus de 17 millions d’euros) en publicité  » dérivée « .

La roue de la fortune ne tourne pas que pour les labels ayant déjà pignon sur rue.  » Si la photo d’une célébrité portant une marque peu connue hier apparaît dans un magazine, son créateur deviendra en un clin d’£il le designer le plus hype de la semaine « , reconnaît Rachel Zoe, l’une des stylistes de stars les plus en vue de Hollywood. Dépister les talents prometteurs – le Festival de Cannes en est le vivier idéal – dans l’espoir de les habiller s’ils réussissent à se distinguer et conserver la bienveillance des stars  » bankables « , l’enjeu est de taille pour s’assurer une présence remarquée sur le plus prestigieux tapis rouge du monde. Chez Giorgio Armani, Roberta, la nièce du grand patron, s’y emploie à plein temps.

 » Le stress autour de ce qu’allaient porter les actrices le soir des Oscars a toujours existé, assure la journaliste londonienne d’origine canadienne Bronwyn Cosgrave qui a consacré une monographie passionnante à la relation complexe qui a de tout temps lié Hollywood à la mode (*). Autrefois, les robes portées lors des Oscars étaient inspirées des films présentés en compétition ou dessinés par les créateurs de costumes qui travaillaient pour les grands studios. Lorsque ces grosses machines ont disparu, après quelques années de passage à vide, des créateurs, Armani en tête, ont recommencé à prendre soin des actrices à la manière des studios d’antan.  » Ce red carpet business, amplifié par l’avènement des médias électroniques, connaît une ascension vertigineuse que rien, semble-t-il, ne pourrait arrêter. Décodage.

Weekend Le Vif/L’Express : La cérémonie télévisée des Academy Awards (AA) est l’événement le plus médiatisé du monde, après les Jeux olympiques. Le tapis rouge serait-il devenu  » le  » catwalk de référence capable de créer le buzz autour d’un créateur ?

Bronwyn Cosgrave : Si l’impact d’une robe portée lors des Oscars ne se mesure pas en termes d’achat, la visibilité médiatique qui en découle, elle, sera maximale. Regardez ce que coûte une campagne de pub internationale : habiller une actrice lors d’un événement de ce genre, même si vous devez la payer un million de dollars (environ 688 000 euros) – et ce n’est généralement même pas le cas ! – pour qu’elle porte ce que vous avez créé pour elle, c’est un super deal ! La photo va circuler partout, surtout si l’actrice repart avec la statuette, et sera publiée dans les médias du monde entier. Les lecteurs qui la voient n’achèteront sans doute pas la robe, mais entendront parler du créateur. Et se laisseront tenter par un parfum, un sac, un tee-shirt.

Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi…

De tout temps, les stars ont été des fashion leaders. Mais l’arrivée de l’Internet a tout accéléré. En une minute, une image fait le tour des rédactions. Une robe portée à Los Angeles par une actrice lors d’une première ou d’une soirée peut être vue partout dans le monde. Et plus aucune célébrité ne voudra la remettre ensuite. Les créateurs le savent : c’est ainsi que Boucheron a accepté de me prêter pour les Academy Awards 2004 les bijoux que Nicole Kidman portait aux Golden Globes. Tout vêtement ou accessoire déjà vu sur un tapis rouge est  » mort  » pour les Oscars.

Il y aurait donc une gradation dans les événements people ?

En réalité, cela ne s’arrête jamais. Vous pouvez considérer que pour les créateurs comme pour les stars le décompte commence au Festival de Cannes où beaucoup de films sont montrés pour la première fois. Viennent ensuite les grandes premières de la rentrée, le Festival de Venise et bien sûr les Golden Globes suivis de près par les Oscars. Les actrices doivent trouver des tenues différentes pour chacun de ces événements sans oublier les fêtes qui se déroulent en marge et où il faut se montrer, comme celle du magazine Vanity Fair lors des AA ou de l’amfAR (American Foundation for AIDS Research) à Cannes. Elles n’ont pas le temps de s’occuper de cela. En plus, bien souvent, elles manquent de confiance en elles et sont terrifiées à l’idée de se faire épingler par les redoutables bloggeuses du site thefashionpolice. net les accusant de  » crime de mode « .

On pourrait penser, pourtant, que de jeunes actrices voudraient se singulariser en étant les premières à porter un modèle d’un jeune créateur, par exemple…

Des filles plus affranchies comme Mischa Barton, Kirsten Dunst, Anne Hathaway ou Reese Witherspoon s’y risqueront plus facilement. Elles n’ont pas envie d’être vieillies par de longues robes de  » dames  » qui se bousculent sur le tapis rouge. Elles ont tout le temps pour cela et recherchent des toilettes jeunes, fraîches, des petites robes qui conviennent plus à leur âge. Les jeunes talents qu’elles portent leur doivent souvent leur célébrité. Mais cela reste exceptionnel. Car les designers débutants ont du mal à approcher les stars : bien souvent, ils ne passent pas la barrière de l’agent ou de la styliste. Car à la différence des grandes maisons, ils n’ont pas, eux, les moyens de les gâter par de petits cadeaux.

Les stylistes professionnelles comme Rachel Zoe ou Jessica Pastor ont donc plus de pouvoir qu’on l’imagine…

Oui, leur influence est énorme car, au final, elles décident de tout. Elles ont leur nom dans les magazines de mode et sont presque aussi connues que leurs clientes aux côtés desquelles elles se retrouvent aux premiers rangs des défilés.

Comme il y a des événements plus porteurs, y a- t-il des stars plus convoitées que d’autres ?

Les nominés bien sûr, mais aussi les présentateurs qui vont remettre la statuette sont les personnalités que les créateurs rêvent d’habiller. Mais l’opération de séduction commence souvent bien avant l’annonce des nominations. Cannes, par exemple, est un bon indicateur pour les créateurs : ils peuvent voir comment un film a été reçu par la critique et si telle ou telle star s’y est distinguée. Ce qui laisse présager une éventuelle nomination. Cela vaut alors la peine de s’y intéresser de plus près. Giorgio Armani a été l’un des premiers, dès le début des années 1990, à prendre conscience de l’énorme potentiel de l’effet  » red carpet « . Il prend soin des célébrités comme les studios le faisaient autrefois. Il est à l’écoute de leurs désirs, leur envoie une très belle invitation pour le défilé Armani Privé, les y emmène en jet privé, les loge dans le plus bel hôtel de Milan. L’an dernier, il a même organisé un show à Los Angeles ! Au final, il leur donne ce qu’elles recherchent :  » la  » robe exceptionnelle à porter lors des Oscars…

De plus en plus de robes haute couture sont donc créées avec l’ambition d’être choisies pour les Oscars ?

C’est évident. Vous savez, auparavant les shows haute couture se terminaient toujours par  » la  » robe de mariée. Dans l’espoir d’attirer une princesse qui la porterait pour son mariage. Aujourd’hui, les people ont remplacé la noblesse et les familles royales. A la fin d’un défilé, vous allez voir passer des robes candidates au tapis rouge. Vous entendrez même les rédactrices de mode spéculer sur le nom de la star pour laquelle elles auraient été créées

La présence d’une star au premier rang d’un défilé est donc un bon indicateur de ce qu’elle pourrait porter lors d’un événement à haute valeur médiatique ?

Un indicateur, oui, mais en aucun cas une garantie. Jusqu’à ce que les actrices apparaissent sur le tapis rouge, personne ne peut être certain de ce qu’elles vont choisir. Les célébrités ne sont plus aussi fidèles qu’avant. C’est un peu comme s’il fallait à tout prix créer la surprise, pour être sûr d’attirer l’attention. Autrefois, vous saviez que Catherine Deneuve porterait du Saint Laurent. Audrey Hepburn du Givenchy. Aujourd’hui, même lorsqu’elles sont sous contrat avec une maison, elles peuvent porter autre chose : Sharon Stone est le visage de Dior pour Capture Totale, ce qui ne l’a pas empêchée de porter de l’Armani au dernier Festival de Cannes. Il y a d’ailleurs de mémorables déceptions : Calvin Klein était persuadé qu’Hillary Swank monterait sur scène chercher son Oscar de la meilleure actrice pour Million Dollar Baby (2004) dans une robe créée sur mesure dans ses ateliers. Au final elle a choisi Guy Laroche. Et la robe CK n’a jamais été portée. C’est dur pour l’ego du créateur mais aussi pour tous les artisans qui passent des heures à confectionner ces toilettes sublimes qui parfois ne sont jamais montrées…

Quelles sont finalement les qualités que doit avoir la robe parfaite pour les Oscars ?

Vous savez, être nominé aux Academy Awards, c’est un signe d’acceptation à Hollywood. Tout à coup, vous faites partie de la bande. C’est un moment très important dans une carrière et vous n’allez à aucun prix prendre le risque de le gâcher. C’est un milieu paradoxal : décadent et extrêmement conservateur à la fois ! Quand une actrice est nominée, elle ne veut se compromettre sous aucun prétexte. Elle voudra une robe sexy… mais pas trop. Et préférera toujours jouer la carte de la sécurité. N’oubliez pas aussi qu’elle doit rester assise pendant des heures. Pour optimiser 15 minutes de célébrité, la robe doit donc être élégante, simple, confortable et toujours présentable lorsque la gagnante montera sur la scène. Les présentatrices qui remettent l’Oscar, elles, sont plus relax. Elles peuvent davantage se mettre en avant et oser des toilettes plus originales.

Les hommes aussi sont désormais convoités par les créateurs…

Oui, et ça c’est nouveau. Ils ont longtemps eu le droit d’être plus détendus : Jack Nicholson s’est même offert le luxe d’arriver un jour en chemise hawaïenne et lunettes de soleil. Mais la plupart ne prenaient pas de risque, se contentant d’un smoking noir. Steven Soderbergh a été le premier à oser quelque chose de moins orthodoxe, un costume de ville Prada couleur champignon l’année de la consécration d’ Erin Brockovich (2000). C’était très élégant. Une fois de plus, c’est Armani qui a le mieux pris la mesure du pouvoir de séduction de ces acteurs : prenez Clive Owen, Tom Cruise, George Clooney. Ces hommes sont beaux, ils font rêver, ils prennent soin d’eux, ils inspirent. Peut-on rêver de meilleure publicité pour des costumes chics ? Tom Ford l’a compris aussi : Brad Pitt est une icône parfaite pour ses créations grand luxe.

Si vous deviez nominer vos  » Best Red Carpet Designers « , ce serait…

Armani sans aucun doute. Oscar de la Renta, aussi. Dior, bien sûr, qui a toujours eu une présence à Hollywood depuis qu’il a commencé à habiller Marlene Dietrich. Et puis les outsiders comme Nicolas Ghesquière pour Balenciaga qui propose vraiment des robes  » old Hollywood « , créées avec le tapis rouge en tête. Et Francisco Costa pour Calvin Klein, à suivre absolument…

(*) Made for Each Other, par Bronwyn Cosgrave, Bloomsbury. L’ouvrage n’est malheureusement pas encore traduit en français.

Propos recueillis par Isabelle Willot

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content