Comment une marque de tradition, ambassadrice de l’élégance et de l’esprit tailleur made in Italy, s’inscrit-elle dans le rythme infernal et le foisonnement des tendances dictées par la doxa modeuse ? Décryptage à Vicence, chez Pal Zileri.

C’est l’automne à Vicence, la lumière de saison caresse doucement les façades ocre de cette cité provinciale de la Vénétie, célèbre pour ses villas palladiennes. En fin d’après-midi, à l’heure de la passegiatta, véritable institution inscrite au patrimoine immatériel de la Botte, les hommes et les femmes avancent d’un pas fier et lent, arborant leur sens de l’élégance avec chic et fausse négligence, écharpes joliment nouées, souliers parfaitement cirés, vêtements aux couleurs audacieuses, improbables autant qu’enviées au nord des Alpes. Une leçon de style quotidienne. C’est ici que siège Pal Zileri, une des griffes qui, avec Ermenegildo Zegna, Canali ou encore Corneliani, perpétuent l’esprit tailleur italien.

La marque, fondée par un groupe d’amis en 1970, entretient depuis quatre décennies sa réputation auprès des aficionados du style péninsulaire à travers une quarantaine de magasins en propre (en Belgique, à Hasselt) et près de 200 franchises à travers le monde. Une réputation bétonnée par une production rigoureusement italienne, ne cédant pas aux sirènes de la délocalisation (contrairement à la ligne Lab, petite s£ur nerveuse et urbaine de Pal Zileri assemblée dans les pays de l’Est, donc plus accessible).

Travaillés à la main, les costumes de la ligne haut de gamme et, a fortiori les pièces sur mesure, sont ici confectionnés selon la technique de l’entoilage, sept fois moins rapide que la fixation de la toile par thermoadhésif (le thermocollage). Rançon de ce respect de l’héritage artisanal ? Pour la fabrication des pièces tailoring de leur collections, des maisons de luxe telles que Cerruti, Moschino, Lanvin ou encore Jil Sander s’en remettent aux centaines de petites mains qui officient ici, dans la manufacture du Groupe Forall, propriétaire de Pal Zileri et de Lab.

À la différence des griffes fashion, foulant tous les six mois, sous le regard fumé des rédacteurs mode, les catwalks milanais et parisiens à la faveur de shows les plus subjuguant possible, Pal Zileri ne s’inscrit pas dans la frénésie. Et ne le souhaite pas, sachant à quel point un défilé de costumes classiques risque à coup sûr le qualificatif de  » boring  » comme on dit dans le milieu. Plus posée, moins directement dépendante de l’humeur des podiums, sa garde-robe reflète sa clientèle, allergique à la radicalité et à l’expérimental. Didier Reynders est un fidèle, par exemple.

Cependant, le secteur de la mode masculine ayant, pour le coup, radicalement changé ces dix dernières années, Pal Zileri ne peut pas non plus faire l’autruche. Derrière la figure marketing du métrosexuel se cache en effet une évolution bien réelle : l’homme a retrouvé le goût de la coquetterie. Même dans les bastions les plus traditionnels, la sensibilité aux tendances est plus marquée que par le passé. C’est ici qu’intervient Yvan Benbanaste, ingénieur textile français de 38 ans au CV bien rempli. Ce fils de tisseur lyonnais, qui a entre autres bossé pour des sous-traitants de H&M et Zara et assuré la direction artistique du chausseur de luxe a.Testoni, est, depuis 2007, chargé d’énergiser le vestiaire de Pal Zileri. Pour lui éviter le purgatoire des belles endormies, telles qu’on appelle ces maisons prestigieuses prenant un peu trop la poussière, ce dernier relève une mission pour le moins subtile : infuser l’air du temps, par petites touches, dans la marque sans en écorcher l’identité relativement conformiste.  » La règle numéro un, c’est que nos clients aiment leur costume. L’homme est fidèle en matière de mode. Quand il se rachète un costume, il veut retrouver cette relation stable et confortable qu’il entretenait avec le précédent. Si vous le décevez, vous le perdez. « 

Du coup, pour apporter le sursaut de créativité néanmoins nécessaire au marché, la stratégie est de vendre de saison en saison un univers fort et classique à la fois, d’habiller les collections de références vectrices de fantasme : la Dolce Vita romaine cet hiver, Capri pour l’été prochain, le Chicago des années 30 pour l’hiver 11-12. Une manière d’introduire un peu de rêve et de rendre désirables de nouvelles couleurs, de nouveaux motifs, ceux qui précisément sont approuvés par la presse sur les podiums, et qui sommeillent dans l’imaginaire de ces clients masculins de plus en plus au fait en la matière. Car pour Yvan Benbanaste, si la mode créateur telle que la conçoivent un Kris Van Assche chez Dior ou un Lucas Ossendrijver chez Lanvin –  » les deux stylistes les plus influents du moment  » – ne concerne directement qu’une infime partie d’hommes, elle reste un puissant stimulant, un émulateur pour le secteur dans sa globalité. Un laboratoire, producteur de formes et de silhouettes vantées par les magazines avant d’être digérées et traduites en mode mineur par la rue. Et par ricochet par les marques ultraclassiques qui, énergisées par l’esprit de nouveauté, évitent ainsi de sombrer paresseusement dans l’esthétique du banquier de province. Ce qui serait fâcheux à l’heure de la passegiatta.

Par Baudouin Galler

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