Ad Francos, un château médiéval proche de Saint-Émilion, retrouve la vie et la vigne sous l’impulsion d’un couple de Belges passionnés. Visite guidée.

Dans son livre Le Médoc, presqu’île du vin, Emile Peynaud évoque  » une mystérieuse correspondance entre la noblesse des vins et la beauté de leurs sites d’origine « . Le beau qui engendre le bon, le programme n’est pas pour déplaire. Même si l’on ne se trouve pas dans le Médoc mais bien dans le Libournais, très précisément dans le petit village de Francs, l’étrange alchimie pointée par l’£nologue français va comme un gant à Ad Francos. Une âme toute particulière, magnétique, se dégage de ces vieilles pierres qui dominent une campagne vallonnée qu’on pourrait croire toscane.

Vieilles pierres, l’expression est lâchée. C’est par amour de celles-ci qu’André et Viviane Vossen ont laissé derrière eux la résidence secondaire qu’ils avaient depuis quatre ans dans l’Entre-deux-Mers. La rencontre fortuite avec Ad Francos – une petite annonce dans un gratuit – a débouché sur la rénovation  » d’une belle endormie « , soit une imposante demeure dont l’histoire mouvementée remonte au XIe siècle. Cette aventure aux confins du vignoble bordelais ne s’est pas faite en un jour. Au contraire, c’est brique après brique que le projet a pris forme : achat de l’aile ouest en 2001, de l’aile est en 2005, et acquisition des vignes en 2008.

Amateur de design et collectionneur de peinture belge, le couple, originellement basé près de Jodoigne, a relevé le défi de revenir au plus proche de la vérité historique du lieu tout en y insufflant une certaine épure contemporaine.  » Une rencontre entre l’histoire, l’art et le vin « , telle est la promesse sur laquelle s’ouvrent les deux portes en acier Corten – marquées d’une version stylisée du blason Ad Francos – de cet édifice qui a traversé le temps.

UN PUZZLE ARCHITECTURAL

Riche d’un passé complexe, Ad Francos a vu se succéder les propriétaires. Chacun d’entre eux, comme le note l’aquafortiste Léon Drouyn dans un recueil de 1854,  » a contribué à diviser et à dénaturer l’édifice « . Amer, l’auteur de La Guyenne militaire prédit le pire,  » dans peu de temps ils auront fait disparaître tout ce qu’il peut enfermer d’intéressant « . Plus de 150 ans plus tard, les Vossen, conscients des heurs et malheurs de ce patrimoine – abandonné et en sale état lorsqu’ils l’acquièrent – ont entrepris de recoller les morceaux de l’histoire.

C’est donc avec beaucoup d’humilité et de respect qu’ils ont entamé la rénovation du château érigé par la famille Ségur de Francs. On en prend la mesure dès l’arrivée dans la cour d’honneur. Deux ailes XVIIIe construites par Hardouin de Chalon prolongent la partie centrale qui date, elle, du XVIIe siècle. La douceur toute girondine des lignes invite à passer sous les armoiries des Gauffreteau – une autre lignée de seigneurs qui y ont eu leurs quartiers – afin de poursuivre la visite. S’offre alors au regard une vaste pièce de réception semi-ouverte. Un sol en pierre blanche de Dordogne sert de toile de fond discrète à deux grandes tables en cèdre dessinées par Stéphane Lebrun, gendre des Vossen et architecte du bureau Kyo-Co.

Délicatement déposées sur le mur qui mène à l’aile est – où sont installés les actuels propriétaires – les anciennes portes du chai indiquent la direction d’un vaste bâtiment coiffé de tuiles romanes situé de l’autre côté de la cour intérieure. Ce parallélépipède en pierre du pays dissimule l’actuelle cuverie. Aussi fonctionnelle qu’esthétique, elle se distingue par une structure en chêne en parfaite adéquation avec la pierre des murs et l’Inox des cuves. C’est également à l’architecte Stéphane Lebrun que l’on doit cet agencement – inspiré par une grange datant de 1860 – devenu la signature visuelle de l’endroit.

Après avoir goûté à la fraîcheur du chai – celui-ci est rafraîchi par une source souterraine -, il convient de revenir sur ses pas pour découvrir l’aile ouest. Dédiée aux hôtes de passage – elle peut en accueillir une vingtaine -, cette partie du château s’articule autour d’une pièce monumentale : un escalier à vis de 4,5 mètres de diamètre. C’est par cette voie royale que l’on accède aux différents étages qui déclinent cuisine contemporaine, salle de bains isolée par une structure en bois et chambres d’amis – mention pour l’une d’entre elles, située sous une voûte.

Si une partie de l’aile est constitue le jardin secret du couple – on peut y voir une belle série de tableaux signés par des noms tels que Petrus De Man, Walter Swennen, Yves Zurstrassen ou Lionel Vinche -, la partie accessible révèle une perle enfouie. En tentant d’exhumer les lignes originelles du lieu, les Vossen ont mis au jour une ancienne église accolée au château et ornée de peintures romanes du XIIe siècle. Avec beaucoup d’à-propos, Stéphane Lebrun a dessiné un écrin de bois et de verre pour en revêtir l’ogive. À l’étage de l’aile est, une pièce à l’acoustique étudiée – il s’agit de l’ancienne salle des gardes – s’ouvre occasionnellement au public à la faveur de concerts de jazz, de musique classique ou d’expositions. Les puissants volumes de cette salle auxquels une cheminée gothique parfaitement restaurée confère de la prestance se voient tempérés par un piano quart queue et de précieux luminaires portant la patte de l’architecte et designer Michele De Lucchi.

UN CERTAIN GASCON

Ségur de Francs, de Gauffreteau, de Poitevin, de Chalon… autant de familles plus ou moins illustres qui ont écrit les pages du livre d’Ad Francos – malheureusement interrompu au siècle précédent. Ce récit glorieux, les Vossen se sont attachés à en rassembler les bribes. En remontant le fil de l’histoire à travers une montagne d’archives, le couple a fait une découverte heureuse, prélude à des retrouvailles providentielles : l’opportunité pour le château de renouer avec la production de vin dans le but de faire à nouveau corps avec un paysage où la vigne prospère depuis des siècles.

Des documents ont permis à André Vossen d’établir qu’à la Révolution française Ad Francos avait été racheté par un ancêtre de Michel Rolland, le célèbre £nologue qui conseille 350 domaines à travers le monde, du prestigieux Château Ausone à Saint-Émilion au non moins fameux Beaulieu Vineyard dans la Napa Valley. Mieux, le père du  » flying winemaker  » ( NDLR : £nologue travaillant dans plusieurs vignobles à travers le monde) serait né dans la tour du château. Du coup, entre Ad Francos et Michel Rolland, la rencontre était inévitable. Très ému de renouer avec l’histoire familiale, celui qu’on surnomme le  » Napoléon de l’assemblage  » dispense ses précieux conseils pour l’élaboration des deux vins du château – Ad Francos et Le Priolat – produits sur l’appellation Bordeaux Côtes de Francs.

Cette appellation, certainement moins prestigieuse que les autres qu’il a l’habitude de travailler, Michel Rolland la traite comme une grande. Son ambition ?  » En assouplir les tanins, la rusticité pour gagner en rondeur et en profondeur « , commente celui qui aiguille 350 domaines dans 20 pays différents. Sa méthode ? L’expérimentation. Il se sert d’Ad Francos comme d’un laboratoire dans lequel il pratique tant des macérations spéciales que des fermentations longues du raisin entier – rafle comprise – en barriques. Pas de doute, les 9 hectares du domaine sont un terrain de jeu pour lui. Le résultat ? En deux millésimes seulement, la production d’Ad Francos a attiré l’attention des amateurs qui reconnaissent là un vin-révélation  » plein de fruit, juteux, croquant, complexe et d’une belle longueur « . Cette reconnaissance va droit au c£ur d’André Vossen dont l’ambition initiale est de proposer  » la qualité d’un grand vin à un large public « .

Fort de ce patronage aussi prestigieux qu’inespéré, les Vossen ont mis tous les atouts de leur côté. Depuis les analyses rigoureuses des sols argilo-calcaires par deux spécialistes en la matière, Lydia et Claude Bourguignon, jusqu’aux vendanges effectuées en cagettes et à la main, en passant par des pratiques culturales raisonnées, rien n’est laissé au hasard.  » L’image  » du vin, elle, a été confiée à l’agence bordelaise d’image et de communication Pistolet Bleu – on lui doit entre autres l’identité graphique de Mas Amiel, le vin d’Olivier Decelle. Sans oublier, sur place, le rigoureux travail de Vincent Galineau, le responsable de l’exploitation. Également vigneron pour son propre compte, l’homme a signé Le Blanc du Comptoir, un blanc atypique et remarqué issu du pressurage direct du cabernet franc. Autant de maillons essentiels d’une chaîne qui ont permis à ce phénix bordelais de retrouver tout le lustre de son beau blason.

Carnet d’adresses en page 112.

PAR MICHEL VERLINDEN

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