Propulsées au rang de stars par Brigitte Bardot et Serge Gainsbourg, les ballerines Repetto comptent à nouveau parmi les accessoires les plus en vogue. Relookées par des pointures de la mode, elles s’affichent désormais aux pieds de Mathieu  » M  » Chedid, Bénabar, Kate Moss ou Thomas Dutronc. Cet été, la styliste Catherine Malandrino leur offre même une dégaine made in USA.

La soie rose, râpée, a perdu son lustre d’origine. Surtout à l’extrémité rigide du chausson que les professionnelles de la danse appellent la  » boîte « . Mais sur la semelle usée de cette paire de pointes, conservées par fétichisme depuis plus de vingt ans, se devinent encore quelques lettres gravées dans le cuir : Repetto. Un nom qui parle à toutes les danseuses : les  » vraies « , celles qui virevoltent sur les scènes les plus illustres du monde et puis les autres, toutes ces ballerines du dimanche qui, un beau jour, ont préféré aux entrechats et aux grands jetés, des pirouettes plus adaptées aux pistes de danse de leur adolescence. Les petits rats ont grandi. Mais ils n’ont pas oublié ces chaussures si spéciales capables de leur donner des ailes.

Le chausson de danse fabriqué depuis 1947 selon la technique du  » cousu-retourné  » est devenu soulier de ville. Un million de paires de ballerines – sorties de l’atelier artisanal de Saint Médard d’Excideuil – plus tard, ce sont aujourd’hui les grands noms de la mode qui taillent de nouveaux costumes à ces modèles mythiques. Désormais, plus de 50 % du chiffre d’affaires de Repetto se fait sur sa ligne citadine. Cet été, Catherine Malandrino leur fera même battre la semelle sur le béton de Manhattan. Intitulée  » New York New York « , la collection de cette styliste française, coqueluche des stars américaines Angelina Jolie, Sandra Bullock et Demi Moore, habille de cuir imprimé et de tissus délavés les cinq modèles qui portent aussi le nom des quartiers les plus mythiques de Big Apple.

 » Lorsque je suis arrivée aux Etats-Unis en 1998, je ne quittais pas mes ballerines Repetto, rappelle-t-elle. Pour moi, elles ont toujours été le pendant féminin des sneakers.  » Une analyse qu’elle partage avec Jean-Marc Gaucher à la tête de la marque depuis 1999. Pour cet ancien PDG de Reebook France, Repetto est aux petites filles ce qu’Adidas est aux petits garçons.  » Je connais très peu de griffes qui véhiculent un tel imaginaire construit depuis l’enfance, constate-t-il. Le sportswear, dérivé du football, fait aujourd’hui partie de notre quotidien. Mais dans ce que j’appelle le dansewear, tout restait à faire.  » Fort de l’image de Repetto, synonyme d’élégance, de féminité, de raffinement et de créativité, notre homme fait le pari, lorsqu’il reprend la société en piteux état financier, de lui redonner un contenu, charpenté sur son histoire. Celle de la danse bien sûr, secteur dans lequel il entend bien rester au top, mais aussi de la mode où, il y a cinquante ans déjà, la marque faisait parler d’elle comme initiatrice de tendances.

De Gainsbourg à  » M  »

Pourtant, lorsqu’elle fabrique ses premiers chaussons pour son fils Roland Petit et ses amis de l’Opéra de Paris, Rose Repetto était loin de s’imaginer qu’elle dessinerait, neuf ans plus tard, une paire de souliers rouges en cuir souple, cousins des demi-pointes, pour une blonde pulpeuse en passe de devenir l’icône sulfureuse de toute une génération. Le film de Roger Vadim  » Et Dieu créa la femme  » (1956) allait lancer la vogue Brigitte Bardot en même temps que celle des ballerines. Aujourd’hui réhabilitées au rang d’accessoires pointus, on les retrouve aux pieds de Kate Moss ou de Charlotte Gainsbourg. Pour cette dernière, on peut bel et bien parler de tradition de famille puisque c’est Jane Birkin qui fera enfiler à son dandy de père sa première paire de Zizi.  » Serge cherchait des gants pour ses pieds car il avait horreur de marcher « , rappelle- t-elle (1). Après avoir glissé son pied nu dans ce chausson de jazz de cuir blanc dessiné par Rose pour sa belle-fille Zizi Jeanmaire, il en consommera chaque année plus de 30 paires. Comme lui, c’est la nouvelle scène française incarnée par Thomas Dutronc, Benjamin Biolay, Bénabar ou Mathieu Chedid qui proclame désormais  » Repetto à perpet’ !  »

 » Pour M, nous avons créé tout spécialement des Zizi à paillettes argentées qu’il porte à tous ses concerts, rappelle Jean-Marc Gaucher. C’est un signe de respect pour Serge Gainsbourg mais, en même temps, ses chaussures reflètent sa propre identité.  » Réinterpréter deux fois par an, dans de nouvelles matières et de nouvelles couleurs, les modèles cultes, reconnaissables au premier coup d’£il par les amateurs, c’est ce que font les sept stylistes qui travaillent désormais pour la griffe quand ils ne développent pas des produits totalement originaux, comme la Tango, cette ballerine à talon de 70 mm directement inspirée des chaussures de danse de salon, ou la Bolchoï qui fait descendre la  » boîte  » des pointes dans la rue, sans oublier cette ligne de bottes que l’on découvrira l’hiver prochain, tout en plissé le long du mollet comme les jambières d’échauffement…

La guest star des défilés

La ferveur que lui vouent aujourd’hui des fashionistas du monde entier ne devrait pourtant pas faire oublier que Repetto a bien failli périr avec le siècle dernier. Début des années 1980, le chausson, supplanté par l’arrivée de la basket triomphante, s’offrit une hibernation de vingt ans au rayon pantoufles. C’est à l’automne 2002 que le couturier Albert Elbaz, en en faisant la guest star du défilé Lanvin, signe son retour en grâce. Aussitôt, John Galliano, Karl Lagerfeld pour Chanel et Balenciaga suivent le mouvement et font appel à Repetto pour accessoiriser leurs shows. Jean-Marc Gaucher qui mesure très vite l’importance des marchés émergeants américains et japonais fera tour à tour appel à Yamamoto, Comme des Garçons, et tout récemment Catherine Malandrino pour détourner les produits mythiques de la marque en leur apportant une nouvelle dimension à la pointe de la mode.

Véritable valeur refuge face à l’omniprésence des sneakers, la ballerine réussit aussi la gageure de concilier élégance et confort.  » Nous avons un taux de rachat proche des 100 %. Les essayer, c’est bien souvent les adopter pour toujours « , affirme Jean-Marc Gaucher en dévoilant la paire de Zizi qu’il porte aux pieds, malgré les menaces de neige qui pesaient ce matin-là sur Paris.  » Et croyez-moi, je n’ai pas enfilé ça parce que vous alliez passer « , ajoute-t-il avec malice avant de détailler tous les projets qui lui permettront, dans les années à venir, de consolider encore l’assise lifestyle de sa griffe. Pour toutes ces fillettes de moins de 12 ans qui, en France, sont aussi nombreuses à se mettre à la barre que les gamins à taper dans un ballon, il a ainsi créé, avec la fabricant italien Marèse, une première collection de vêtements enfants reprenant, dans des tons poudrés allant du rose chausson au gris souris, tous les codes de la danse. Parallèlement, en confiant le stylisme de sa ligne dansewear (pantalons et sweats en molleton, mat ou satiné) à une jeune créatrice venue du prêt-à-porter, il a fait de ces tenues d’entraînement des vêtements d’intérieur à part entière.  » Comme Adidas avec Stella McCartney, renchérit Jean-Marc Gaucher. Notre styliste qui ne connaissait rien à la pratique a apporté un regard neuf sur ces produits. Mais ses modèles conviennent parfaitement aux danseuses à qui nous les avons présentés.  » Lorsqu’il lance, au printemps 2005, 15 modèles de sacs, on y retrouve une fois encore toute la tradition du Palais Garnier dont on aperçoit les coupoles dorées à travers les bureaux de la société.  » Fond de besace en forme de semelle gros grain, compartiments en tulle, pochons intégrés en toile pour ranger les chaussons et les justaucorps, l’authenticité prime avant tout, ajoute-t-il encore. Lorsque nous créons quelque chose de nouveau, nous mettons toujours les prototypes dans les mains des danseuses. Ce sont nos premiers juges.  »

Des pointes professionnelles sur mesure

C’est pour elles, aussi, que la marque s’est lancée dans le développement de trois nouveaux types de pointes testées dès le stade du prototype par des professionnelles.  » Il est très important de trouver le chausson qui vous convient vraiment bien, précise Leila Dihac, danseuse dans le corps de ballet de l’Opéra de Paris. Pour ma part, j’utilise toujours plusieurs paires en parallèle, ce qui permet de les garder plus longtemps, environ deux semaines, en moyenne. Mais parfois, au cours d’un seul spectacle, le chausson se casse ou se déforme tellement qu’on ne peut plus le remettre ensuite. J’ai testé les nouvelles Gamba et j’y ai apporté les modifications nécessaires, avant de passer une commande de chaussons réalisés spécialement pour moi, sur mesure.  » Des pointes plus confortables qui lui donne surtout un joli galbe de pied et lui assure une bonne stabilité sans être trop bruyantes.

Mais à côté des étoiles et des membres des corps de ballet qui représentent en nombre de paires achetées la plus grosse part de sa clientèle, Jean-Marc Gaucher se garde bien de dresser un profil trop précis de la  » fille Repetto « .  » Je préfère parler d’attitude, d’état d’esprit ou d’âge aspirationnel, nuance-t-il. Ce sont ceux d’une jeune femme libre de 22 à 28 ans, telle qu’on peut l’imaginer au travers des images que nous en renvoient les magazines.  » Dans la boutique Colette à Paris, où l’on trouve cet été en exclusivité des BB en python aux côtés des modèles plus mode proposés par Comme des Garçons, le come-back dans les rues et dans les placards ne fait que suivre le retour de la vague rock et d’une certaine forme de dandysme vestimentaire tant chez les femmes que chez les hommes.  » Le client type est plutôt jeune, de silhouette fine et d’allure prononcée, précise Guillaume Salmon, chargé de la communication du célèbre concept-store. Amateur de jeans serré, voire carrément skinny.  » Pour Vincent Grégoire, lifestyle manager pour le bureau de style Nelly Rodi, le succès de la ballerine aujourd’hui s’insère tout naturellement dans une société où les femmes ne veulent pas grandir.  » Elle leur rappelle l’enfance, les premiers cours de danse, la liberté, la souplesse, la légèreté, presque le nomadisme (2). L’insouciance d’un temps révolu où tous leurs rêves étaient encore permis. Enfiler ce soulier de satin, c’est devenir étoile, même sur l’asphalte. Ne dit-on pas que lorsqu’on a, un jour, été danseuse, on le reste, même en pensées, pour toute sa vie ?

(1) In  » Les Inrockuptibles « ,

13 février 2001.

(2) In  » Le Figaro « , 3 mai 2005.

Carnet d’adresses en page 98.

Isabelle Willot

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content