Pour l’hiver prochain, la haute couture retravaille ses classiques. Variations en noir, inspirations historiques ou ballets russes revisités, la mode fait un bond dans le passé pour mieux se tourner vers l’avenir.

Près de six mois après les défilés de prêt-à-porter (présentés en mars pour les collections de l’hiver 2005-2006), c’était au tour de la haute couture de faire son show début juillet. Or, quand le prêt-à-porter défile en mars, il prend le risque d’être copié. La haute couture, elle, se moque bien de ces tractations. Ici, pas de production de masse et de contraintes économiques majeures, pas de calcul forcené du coût de revient non plus. L’exercice est presque confiné aux seules robes du soir et c’est le travail sur le vêtement qui prévaut. Broderies, plumes, perles et compagnie font de ces vêtements de véritables £uvres d’art et les couturiers en profitent pour revisiter leurs classiques. Car la haute couture est un exercice de style. Un véritable héritage interprété à la mode d’aujourd’hui. Et l’occasion, surtout, de redessiner la mode sans impératifs de vente, ou presque. De l’image pure, du beau pour le beau. Du coup, quand les grandes maisons font défiler leur haute couture pour l’hiver prochain, impossible de définir une véritable tendance. C’est l’histoire de la mode qui inspire. Point final.

Cette histoire de la mode, justement, c’est un leitmotiv dans le vestiaire de John Galliano, maître d’£uvre de la maison Dior. L’exercice est difficile : s’inspirer de l’ancien sans sombrer dans le passéisme. Mais le créateur british n’est pas homme à tomber dans les pièges. Pour cette nouvelle collection haute couture pour Dior, il rend précisément hommage en grande pompe au fondateur de la maison, centenaire de la naissance de Christian Dior oblige, mais sans verser dans la caricature. John Galliano signe donc un défilé hommage au couturier mythique. Dans un décor de jardin déchu, où les statues, chandeliers et lustres enturbannés dans des toiles d’araignées jonchent sur le sol, il déroule son histoire. Et puisque le New Look dessiné par Dior en 1947 fait partie du patrimoine de la maison, il en profite pour le détourner. D’accord pour la taille cintrée et la jupe en corolle à mi-mollet, mais Galliano, revenu d’un séjour au Pérou, y va de sa petite touche sud-américaine : petit chapeau péruvien sur la tête et raphia, tulles ou broderies multicolores pour agrémenter le New Look d’aujourd’hui. Rien d’historique là dedans, c’est un présent qui vit bien avec son passé. Pile-poil dans l’air du temps.

Dans la même lignée, mais dans un tout autre genre, Karl Lagerfeld est passé maître dans l’art d’accommoder les symboles de la maison Chanel à la mode d’aujourd’hui. Camélia, tweed, double C mythique et matelassé : chaque saison le couturier s’amuse à les replacer. Mais pour cette collection de haute couture, il clame haut et fort un impératif : « Hidden luxury » ! Le luxe caché donc. Caché, ici, sous une armée de petits manteaux, capes et autres redingotes noirs dans lesquels défilent les mannequins en file indienne. Car un modèle haute couture n’a pas besoin qu’on le sigle des deux C. A grand renfort de plumes, de tweed brodé et de motifs placés, Lagerfeld signe une collection où chaque détail est pensé. Un luxe parfait, quand les paillettes et sequins d’une robe imitent les motifs du tweed, et que la doublure du manteau assorti reprend les mêmes broderies. Un luxe parfait, encore, quand le ruban serrant la taille d’une robe se répète à l’infini dans la doublure de son manteau. Et la révérence, Lagerfeld la fait avec sa mariée : une belle en blanc dont la robe est recouverte de dizaines de camélias.

A l’inverse, pour sa première collection chez Givenchy, le jeune Italien Ricardo Tisci, 31 ans, rompt avec les codes de la maison. On raconte même que c’est justement parce qu’il n’était pas obnubilé par le passé de Givenchy qu’il a été choisi. Et pour cette grande première, on se bousculait au portillon. Pas de défilé, mais une présentation, comme une exposition vivante, dans les salons de l’avenue George V, où siège la maison Givenchy. La maison de couture a été créée en 1952 par Hubert de Givenchy et l’icône, par excellence, de son travail, était Audrey Hepburn… Audrey Hepburn dans la petite robe noire de « Breakfast at Tiffany’s » plus encore. Mais Ricardo Tisci ne cède pas à la révérence, si ce n’est qu’il répète le noir, presque invariablement. Ce noir, indémodable classique, devenu référence dans l’histoire de la mode. Le noir élégant, le noir de toutes les circonstances, il le travaille dans un style personnel. Veste noire feutrée à la main, fourreau tricoté en mohair noir, jupe en cuir verni noir… Pour Ricardo Tisci, les femmes ont le teint pâle et jouent les mystérieuses romantiques. Presque macabres quand elles se parent de plumes de vautour. Mais l’exercice est réussi. Et il emballe.

Un autre petit nouveau a fait l’événement lors des défilés haute couture de l’hiver 05-06 : Christophe Josse, un créateur qui a longtemps £uvré dans l’ombre de Rose Torrente-Mett au sein de la maison que celle-ci dirigeait. Pour son premier défilé en nom propre, ce  » jeune premier  » n’a évidemment pas les moyens des grandes maisons. Quand quarante-trois modèles défilent chez Dior, et que cinquante mannequins portent, chez Chanel, leurs petites robes sous le manteau, Christophe Josse peaufine quinze silhouettes. Juste quinze, encore fallait-il qu’elles soient réussies. Mais la minutie avec laquelle le jeune homme a travaillé chacun de ses modèles fait des miracles. Pour le jour, il dessine un pantalon à la taille très haute, porté sur un pull à col entonnoir en doudoune, ou bien un trench au dos plissé. Pour le soir, il multiplie les longs fourreaux qui ne se ressemblent pas : gigantesque col Directoire pour l’un, col en renard embijouté pour l’autre, ou bien encore crochet rebrodé, robe plissée en coquillage ou col-capuche relevé de plumes d’oie frisée. Surprenant, Christophe Josse fait défiler une mode élégante, bien dans son temps, où les classiques sont retravaillés avec quelques détails décalés : un boléro en doudoune, qui donne un faux air de Chaperon Rouge, par exemple. Dans la lignée d’un Yves Saint Laurent, oserait-on dire.

Permanentes, les références se multiplient ainsi d’un défilé à l’autre. Chez Franck Sorbier, ce sont vingt-et-une silhouettes qui déambulent inspirées par l’opéra. Le couturier manie les volumes qui lui sont chers : jupe courte et en volume, ou long fourreau à traîne. Et il distille ses influences historiques û opéra oblige û au fil des modèles : veste et gilet de marquis pour le décalage, dentelle et ex-voto brodé inspirés par Venise ou bien encore kimono du Japon d’autrefois. Franck Sorbier va même jusqu’à appliquer sur une veste des motifs floraux brodés en 1910 par la maison Lesage. Une vraie manière de tisser un fil entre hier et aujourd’hui.

Rêveries slaves

Chez Christian Lacroix, mêmes emprunts à l’histoire et aux autres continents. Robe à volants volée au Flamenco espagnol, brocart et broderies du xviiie siècle, déshabillé orientaliste… Pour lui, ces inspirations-là ne sont que détails. Elles dessinent, au final, une véritable couture bien ancrée dans son temps, où les couleurs donnent le ton et chavirent d’un rose Stabilo à un vert canard. Jean Paul Gaultier, quant à lui, choisit les continents slaves comme terrain de sa haute couture. Un choix dans la droite ligne du prêt-à-porter de cet hiver, où la tendance russe inspire largement les créateurs. Chez Gaultier, chaque silhouette a donc un nom emprunté là-bas : Nastassia, Ninotchka, Aparatchik ou Matriochka. L’influence est bien là. Côté podium, le couturier ne tombe pas dans l’exercice facile du folklore. Il s’inspire, mais ne reproduit pas. Les blouses roumaines appellent des robes aux manches ballons, en velours de soie, à multiples galons ou à volants. Elles se jouent courtes ou longues, s’assortissent à de petits gilets sans manches, ou se brodent de motifs au point de croix. Le vestiaire des fantassins russes est également revisité : sacs en bandoulière et bottes cavalières, veste casaque et pantalon moujik, redingote ou manteau à cartouchière, Jean Paul Gaultier les assortit à des gants mousquetaire ou des bottes en fourrure. Cette collection, véritablement connotée hiver, n’est pas sans rappeler la collection « Opéra-Les Ballets russes » qu’Yves Saint Laurent avait fait défiler pour l’hiver 1976. Lui aussi avait réinterprété les blouses roumaines et boléro, les châles de soie et pelisses.

Mais c’est chez E2 qu’on retrouve finalement une nouvelle interprétation de la haute couture. Le duo composé par Michèle et Olivier Chatenet présentait sa nouvelle collection dans l’enceinte de la boutique Colette, en marge des défilés. Il s’est fait connaître pour les pièces vintage qu’il retravaille dans l’espoir d’en faire des pièces uniques. Et puisque ces pièces uniques-là, composées à partir de vêtements chinés et achetés aux enchères, ne peuvent pas être répétées, les clientes sont frustrées. Si elles ont vu un modèle porté dans les pages d’un magazine, impossible d’avoir le même ! Du coup, E2 invente un nouveau concept. Un modèle couture, c’est d’abord une toile : la reproduction du modèle du défilé, dans une toile écrue, aux mesures de la cliente. E2 reprend ce principe et présente donc ses « Toiles et reproductions ». Pour les toiles, prenez dix-neuf modèles de base, travaillés en crêpe de soie. Pour les reproductions, prenez ces dix-neuf modèles retravaillés dans des tissus anciens choisis par la cliente. L’idée, dans l’absolu, serait de décliner « cinquante fois un modèle en le proposant de la version la plus chic en mousseline à la plus décontractée en jean », confie Michèle Chatenet. Une pièce unique donc, parce que le tissu est unique. Mais répétable. Une haute couture plus accessible, qui se réinvente une histoire. Toute une histoire.

Louise Laude

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