Année après année, les griffes de luxe ne cessent de rééditer ou réinterpréter leurs accessoires les plus emblématiques. Un vent de nostalgie qui cache aussi une stratégie commerciale payante…

Adidas, qui revisite son mythique modèle de baskets Stan Smith et met les réseaux sociaux en ébullition. Longchamp, qui souffle les vingt bougies de son iconique sac Pliage, avec une collection spéciale et une collaboration avec l’artiste américano-britannique Sarah Morris. La griffe belge de bijoux Wouters & Hendrix, qui imagine cinq capsules reprenant les pièces-phares de ses trente années d’existence. Le label italien Salvatore Ferragamo, qui puise deux fois par an dans les archives de son musée pour reproduire, en édition limitée et numérotée, quelques-uns de ses souliers  » historiques « . Pequignet, marque de montres fondée en 1973 dans le Jura et relancée dernièrement par deux nouveaux propriétaires, qui renouvelle sa ligne Moorea, pour le plus grand plaisir des amatrices de belle horlogerie. La directrice de la création de Gucci, Frida Giannini, qui réintroduit en 2009 le Jackie Bag, mis en scène cet hiver avec Kate Moss…

Il ne se passe pas une saison sans que des rééditions d’accessoires ne soient au rendez-vous. Impossible d’y échapper. A côté de la liste des modèles oubliés, puis remis au goût du jour, il faut également ajouter les collections à l’esprit vintage et les réinterprétations ininterrompues de pièces emblématiques. Sur ce sujet, nul besoin de revenir en détail sur le mythique 2.55 de Chanel, le Lady Dior, le Baguette de la maison italienne Fendi, le Lockit de Louis Vuitton, réinventé cette fois en cuir souple, et cetera, et cetera.

Même le prêt-à-porter est atteint par ce virus rétro. Histoire de célébrer en grande pompe les 40 ans de sa wrap dress, Diane von Furstenberg a par exemple fait défiler vingt versions dorées de sa robe iconique lors de la présentation de son vestiaire automne-hiver 14-15. Du côté de Levi’s, on a développé le label Icons, chargé de revisiter, tous les six mois, les looks signature de la marque, comme son mythique 501, sa chemise et sa veste en denim, revus de façon assez créative. Et la tendance ne se cantonne pas à la sphère fashion.  » Ces collections vintage s’inscrivent dans un mouvement profond et global, détaille Hélène Kassimatis, professeur à l’Institut français de la Mode (IFM), en charge des enseignements liés à l’accessoire. On les retrouve également au cinéma, dans la musique, l’automobile, le design et la décoration intérieure…  » Au niveau musical, le critique rock britannique Simon Reynolds a même rédigé près de 500 pages sur le sujet dans un ouvrage baptisé Rétromania. Comment la culture pop recycle son passé pour s’inventer un futur (éditions Le mot et le reste). Un titre qui n’a pas été choisi par hasard, puisque chez les Romains, Mania était la déesse des spectres et des esprits venant tourmenter les vivants, tandis que chez les Grecs, elle représentait la folie…

Cet attrait pour le rétro n’est pas récent. La première vague est apparue au début des années 2000. A l’époque, l’Américain Cameron Silver affole la scène mode internationale avec Decades, sa boutique de pièces vintage couture installée à Los Angeles. Preuve de cet engouement, Time Magazine le classe parmi les 25 personnes les plus influentes du secteur, en 2002. Plus d’une décennie plus tard, le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur, et ce pour des raisons multiples où interviennent à la fois sentiments et, beaucoup plus prosaïquement, logique économique.

TENDRES SOUVENIRS

 » En ces temps de crise, les périodes d’optimisme représentent un vivier d’inspiration, tant elles recèlent de créations foisonnantes, poursuit Hélène Kassimatis. On y recherche une esthétique, un parti pris, une ambiance.  » Quand ils se tournent vers le passé, les créateurs regardent généralement du côté des années 60 et 70.  » C’est l’âge d’or, l’émergence de la liberté. Une période heureuse qui fait rêver.  » De son côté, lorsqu’il acquiert un produit vintage ou réédité, le consommateur s’offre aussi une histoire et le plaisir de revivre une période révolue. Il donne ainsi de la valeur et du sens à son acte d’achat, ce qui est loin d’être négligeable dans une époque placée sous le signe de la surconsommation.

Illustration chez Delvaux, qui n’hésite pas à remettre sur le devant de la scène des sacs iconiques, imaginés dans les années 50, 60 et 70.  » Chaque saison, ceux-ci sont animés par des traitements de matières, des associations de couleurs, des nouvelles technologies qui leur donnent un look plus contemporain, énonce Christina Zeller, directrice produits et image de la maison d’accessoires belge. Nos clientes adorent ces « fulgurances » qui allient tradition et innovation.  »

Même état d’esprit du côté de Chloé :  » Les vrais succès sont difficiles à produire, alors oui, on peut être tenté de revivre ces moments uniques à travers des rééditions qui vont auréoler la marque d’une tendresse particulière et faire remonter des souvenirs communs « , expliquait la maison française au magazine M Le Monde, à propos de la confection, l’an dernier, d’une quinzaine de pièces historiques pour ses 60 ans. Cerise sur le gâteau, ces réinterprétations valorisent également le savoir-faire de la marque ; elles rappellent qu’elle a un passé et donnent de la profondeur à son travail.

VITE FAIT, BIEN FAIT

Mais derrière ces jolis discours nostalgiques, la réalité est également plus pragmatique.  » Il est beaucoup plus facile de mettre au point un accessoire à partir de quelque chose qui existe déjà, plutôt que de partir de zéro, considère Hélène Kassimatis. On peut se contenter de reprendre une forme du passé, de raccourcir la bride, de modifier la fermeture…  » Alors que les collections se multiplient à l’excès (cruise, pre-fall, capsule…), ce processus est non seulement efficace, mais permet de gagner un temps considérable.

Pour cette raison, les années 2000 ont vu bon nombre d’équipes de style parcourir les marchés aux puces et boutiques de fripes, quand elles ne puisaient pas leur inspiration dans les garde-robes de collectionneuses, comme celle d’Anouschka, l’égérie des années Palace.  » Résultat des courses, on rencontre beaucoup de modèles de sacs ou de chaussures qui nous rappellent franchement quelque chose, même s’il ne s’agit pas d’une reprise littérale de l’époque, reconnaît la spécialiste. C’est davantage de la re-composition que de la création ex nihilo.  »

A côté de cette économie manifeste sur les coûts de développement, cette mode référencée facilite également la vie des consommateurs… et celle des responsables marketing.  » Economiquement parlant, il est beaucoup plus aisé de concevoir une variation d’une chaussure ou d’un sac connu de tous que d’implanter un nouveau modèle, estime le professeur de l’IFM. C’est une façon très maligne de s’assurer du succès d’une pièce. Dans un marché saturé, les clients ont besoin d’aide pour savoir quoi acheter. En ce sens, ces objets icônes sont pour eux des repères.  » Ils captent plus facilement l’attention, car leur forme est déjà connue, comme le confirme Christina Zeller, chez Delvaux :  » Nos clientes sont rassurées à l’idée d’acheter des modèles « légendes », qui s’inscrivent dans la longue histoire de la marque.  »

Pour le professeur de l’IFM, à partir du moment où un produit appartient à l’imaginaire collectif, l’attachement affectif n’en est que plus fort.  » L’accessoire transporte avec lui un mythe, qui lui confère une très forte valeur ajoutée, immatérielle.  » Cette dernière se chiffre néanmoins en monnaie sonnante et trébuchante. On parle d’un prix plus élevé de 15 % environ lorsqu’il s’agit d’une réédition.

 » C’est la quête du Graal. Toutes les marques rêvent en fin de compte d’imaginer LE sac iconique, qu’elles pourront ensuite décliner en moult versions, reconnaît Hélène Kassimatis. Il ne faut pas oublier que leur vocation première est de faire du business, et ce d’autant plus au vu de la concurrence et de la crise actuelles. Il s’agit là d’un atout dont les griffes n’ont pas envie de se priver. Cette tendance vintage n’est dès lors pas près de s’arrêter…  »

L’OCCASION 2.0

Attention toutefois de ne pas abuser à outrance d’un tel procédé.  » Le client ne sera sensible à ces pièces que si elles ont effectivement marqué l’histoire de la mode et que si le « storytelling » autour d’elles est juste et bien pensé, considère Pascaline Smets, responsable de l’achat des collections pour les concept stores Smets, à Bruxelles et au Luxembourg. Or, il faut reconnaître qu’il ne s’agit généralement que d’une pure stratégie marketing et commerciale. De ce point de vue, ces références temporelles trouvent davantage de légitimité lorsqu’elles ont été chinées dans des boutiques vintage ou acquises auprès d’une maison de vente spécialisée.  »

Loïc Bocher et son associé Nicolas Orlowski ont bien compris tout l’enjeu de cette question. Dans la mouvance du site Internet Vestiaire Collective ou de la bien plus modeste plate-forme belge Oh My Dress !, ces deux Français ont lancé, il y a un an, le site de vente en ligne Collector Square. Ce dernier rassemble des sacs, montres et bijoux griffés d’occasion, qui ont été préalablement vérifiés et estimés par l’équipe d’experts – c’est d’ailleurs là toute la spécificité de ce concept de ventes vintage. Le succès est au rendez-vous, puisque l’entreprise possède actuellement un catalogue de plus de 2 000 biens de luxe, dont plus de cinquante modèles Kelly, signés Hermès.

 » Désormais, il n’est plus du tout honteux d’acheter ou de vendre en seconde main, note Loïc Bocher. C’est même devenu tendance !  » Les uns trouvent leur bonheur sur ce genre de plate-forme parce qu’ils n’ont pas les moyens de s’acheter un accessoire de marque neuf. Les autres revendent le(s) leur(s) pour renflouer les caisses ou faire un peu de place dans leur dressing, en vue de nouvelles acquisitions. Et puis il y a aussi les collectionneurs ou amateurs de belles choses, qui souhaitent se distinguer, ne pas posséder le même objet que tout le monde.  » C’est l’envie d’une pièce unique, d’une ancienne édition qui les propulsera tout en haut de l’échelle pyramidale du style.  »

Un attrait pour l’occasion qui déplaît au secteur du luxe ? Pas sûr.  » La concurrence reste selon moi assez marginale, confie le patron de Collector Square. Par ailleurs, cela fait circuler la marchandise et décomplexe l’acte d’achat d’un accessoire griffé, d’un certain prix. Mais, surtout, cela valide le fait que ces maisons fabriquent des biens d’exception et de qualité, dans la mesure où ceux-ci ne perdent pas tellement de leur valeur, voire en prennent, comme le prouve notre base de données LuxPrice-index©, qui détaille le résultat des ventes aux enchères de telles pièces.  » Une raison de plus de craquer, sans ciller, pour une icône… que celle-ci soit neuve ou pas.

PAR CATHERINE PLEECK

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