Chaque saison, au début du mois de juillet, Paris se met à l’heure de la haute couture. Définition polyphonique de cette appellation protégée, siglée hc, version automne hiver 09-10. Forcément magique.

La haute couture, c’est croiser Emmanuelle Béart, brune et enchignonnée, chez Stéphane Rolland, au Palais de la Découverte. Elle n’est pas là par hasard, elle aime ce créateur  » qui a de la gueule « , passé chez Scherrer et adoubé au sein de la haute couture en décembre 2008, le tout dernier donc. Elle applaudira le noir, les inspirations puisées chez Richard Serra et Karim Rashid, la robe de mariée avec poches,  » c’est tout ce dont on rêve quand on se marie « , son sens de la géométrie, du rigide et du flou, son point de vue –  » il n’est pas dans le consensuel, dira-t-elle. On a affaire à un vrai artiste « . Acquiescement.

La haute couture, c’est applaudir Monsieur Giorgio Armani , cravaté, venu saluer à la fin de son défilé au Palais de Chaillot. S’esbaudir devant tant de rutilance, de cristaux Swarovski, de zip bijoux, de gros colliers à boules, de laques platine et or pâle, de bleu encre, de robes du soir glamour. Craquer pour un petit bibi porté crânement de guingois, tout strass dehors. Ne rien trouver à redire de cette collection Giorgio Armani Privé faite de  » basiques au style masculin et sportif  » qui magnifie le genre. Penser enfin que Cate Blanchett, guest star en front row, est drôlement belle de près. N’aurait-elle pas un peu maigri ?

La haute couture, c’est entrer dans le saint des saints. Cela n’arrive qu’une fois dans une vie, si vous êtes vernie. Avenue Montaigne, voici les salons de Christian Dior. Comme au bon vieux de temps de Monsieur. D’ailleurs, en montant les volées d’escaliers pour s’installer dans la petite alcôve, chaises grises, bouquets de roses blanches comme s’il en pleuvait, on suit en jeu de piste les photos en noir et blanc de Christian Dior à l’£uvre – ici en tablier blanc, là avec ses mannequins préférées. Eclats de rire juvéniles, gloussements malicieux, la bande-son donne le la. Joyeux, coquin, frais, énergique, léger.  » C’est la fièvre de la cabine  » et c’est le nom de la collection. Une mise en abymemagnifique. Tout est pensé, pesé, mais jamais lourd, jamais littéral. Ni les vestes Bar, ni le new-look façon Galliano, ni la bouclette de laine violette brodée, ni le taffetas et la mousseline de soie orange, ni la lingerie dévoilée, ni la corsetterie affichée, ni les bas couture, ni les chapeaux un brin nostalgiques de Stephen Jones. Que c’est beau.

La haute couture, c’est faire le pied de grue devant le musée des Arts décoratifs pour tenter de s’y faufiler, sans invitation, et de regarder le dernier défilé très privé de Christian Lacroix, en redressement judiciaire – cela sent la débâcle. Voir passer Inès de la Fressange et Marie Seznec, ex-mannequins reconverties dans la mode (respectivement, Roger Vivier et Christian Lacroix) qui portent leur âge comme un trophée. Demander à la seconde si l’heure est à la tristesse. L’écouter répondre que  » pas du tout, nous avons tous beaucoup d’énergie. Toute la maison s’est mobilisée pour faire ce défilé. Et Monsieur Lacroix a la niaque, il se bat pour trouver une solution. Je pense qu’il va en trouver une, ce n’est pas fini « . Ne pas pouvoir franchir la barrière Nadar, ne pas ignorer que ce défilé tient du miracle – 24 passages, une mariée, des larmes d’émotion.  » Monsieur Lacroix, avait conclu Marie Seznec, a plein de choses à dire encore, voilà. « 

La haute couture, c’est découvrir comment sublimer l’ordinaire. Et en prendre de la graine. Dans la suite ELLE Décoration et sa carte blanche à Maison Martin Margiela, avoir droit à une présentation privée de la Ligne Artisanale pour femme – 0 du plus invisible des Belges. Comprendre désormais à quoi servent les catadioptres – orner une veste ou le dessus d’une robe avec impression cachemire. Calculer qu’il a fallu 35 heures et entre 150 à 300 catadioptres pour finaliser ce vêtement décalé, mais pas tant que ça. Innovation : cette collection faite de  » vêtements, d’accessoires, d’objets usagés et parfois neufs  » que la maison fait revivre  » après transformation tout en conservant l’empreinte du temps et l’usure due à leur première vie  » se décline en deux fois dix pièces, en couleurs et en noir et blanc. Parce que MMM aimait  » cette idée de voir la photocopie en noir et blanc de la collection, de traiter chaque matière en négatif « . Deuxième innovation : dorénavant, une capsule de pièces artisanales sera spécialement créée et intégrée aux collections Homme et Femme prêt-à-porter. C’est conceptuel mais pas seulement. Et c’est magistral.

La haute couture, c’est se rendre à la Halle aux Chevaux, ne pas y croiser d’équidés, mais des vestales mystérieuses dessinées par Riccardo Tisci pour Givenchy. Se demander ce que signifient les prénoms de ces silhouettes drapées, noires ou rose poudré – Lamta, Elkhoras, Mechbouh ou Khamsa… Laisser tomber. Se dessiller les yeux devant tant de puissance créative. Prendre le temps de tout digérer – ce velours jais, ces vestes corsetées, ces pantalons sarouel, ces robes longues rebrodées de cônes tridimensionnels, cette modernité épatante.

La haute couture, c’est méditer l’un des derniers twitters de Karl Lagerfeld ( » The most important thing is to do things, not to have done them « ) tandis que l’on pénètre sous la verrière du Grand Palais à la nuit tombante. Quatre flacons de N°5, blancs, gigantesques sur un podium virginal quadrillé de noir. On est bien chez Chanel. Des mannequins avec long catogan et camélias de cheveux à foison. Petit chapeau cloche en tulle enfoncé jusqu’au menton, tailleur tweed réinterprété avec pan de tissu dans le dos, asymétrie, flashes de couleur (du rose, des cocardes pailletées, du bleu marine) et micro-mitaines. Tout ça, sur une bande-son sortie tout droit de l’oreille de Michel Gaubert. Penser à lui dire merci – les basses puissantes font des chatouillis au creux du ventre, émotions décuplées. Final à la hauteur : glissement de paroi d’un flacon de ce parfum chanelissime, apparition de la mariée (Lara Stone), qui n’est pas seule, Karl a pensé à l’accessoiriser d’un fiancé. Le charmant tableau.

La haute couture, c’est une histoire de gueules d’atmos- phère. Au Studio Harcourt, entre clichés noir et blanc au grain inimitable, Franck Sorbier préfère les tableaux vivants aux chapitres sur podium. En décor sonore, l’  » atmosphère, atmosphère  » d’Arletty. L’hiver 09-10 sera travaillé, couture  » corps et âme « , volontiers théâtral, voire dramatique. Un peu trop, hélas.

La haute couture, c’est parfois de l’archi-couture. Au Pavillon Cambon-Capucines, rue Cambon, celle du Libanais Elie Saab a la couleur du blanc, toute la palette, du nacre à l’écru. Le créateur convoque l’Art nouveau, Alfons Mucha, le rock, les années 1980 et surtout l’éternel féminin qui rêve d’épousailles sur tous les tons. Quand c’est mini, c’est mini. Quand c’est long, c’est long, avec traîne, c’est souvent mieux. Dentelle chantilly, fleur en organza, strass, plumes d’autruche et manches en renard, la blancheur virginale est de mise. Vivement la neige.

La haute couture, c’est il était une fois le cinéma. Dans sa maison de la rue Saint-Martin, sous les yeux de Sonia Rykiel, Mickey Rourke et Kylie Minogue, Jean Paul Gaultier fait la révérence. Il s’incline devant Micheline Presle et son Falbalas qui l’avait marqué enfant, il rend hommage à ces stars de la pellicule qui enchantaient Frédéric Mitterrand pas encore ministre, poète tremblant, magnifique, d’ Etoiles et toiles et voix de la bande-son de ce défilé cinématographique. La Ninotchka, la Barbarella, la Gigi, la Gilda, la Mae West de JPG ressemblent exactement au souvenir que l’on en avait. Plus quelques seins en pointe (remember), quelques détournements réussis – sa Jeanne Moreau dans La Notte d’Antonioni (1961) – et une mariée dont le voile majestueux sert d’écran blanc à tous les imaginaires. Ne pas s’étonner que Jean Paul Gaultier monte sur scène en enfant terrible (c’est la fiction d’une fiction), court sur le podium en léchant sa glace eskimo qui désormais porte un autre nom. La nostalgie n’est définitivement plus ce qu’elle était, quel luxe.

Anne-Françoise Moyson

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