Baccarat, Christofle, Cristalleries Saint-Louis, Lladró, Nymphenburg, Royal Tichelaar. Les grandes maisons d’antan s’entourent de designers contem-porains. Une cure audacieuse de sang neuf. Iconoclaste, parfois. Mais nécessaire à leur survie. La manufacture belge Royal Boch l’a très bien compris.

Comment négocier le virage de la modernité sans vendre son âme ? La faïencerie Royal Boch, implantée à La Louvière depuis le xixe siècle, vit une profonde remise en question de son positionnement sur le marché de l’art de la table. Un marché, phagocyté par la concurrence chinoise et les services design à prix imbattables des grandes surfaces. La marque hennuyère a beau figurer, au même titre que Delvaux ou Val Saint Lambert, au panthéon des grandes références noir-jaune-rouge, le temps où tous les jeunes ménages belges investissaient naturellement dans un Boch est définitivement révolu. Face à cette nouvelle donne socio-économique, il faut donc changer. Moderniser. Surprendre.

 » Revitaliser, tout en capitalisant sur notre valeur patrimoniale et notre label de qualité « , résume Diane Hennebert, administratrice déléguée de la Fondation Boch Keramis. Depuis 2003, l’ASBL fait appel à de nouvelles signatures. Ainsi, le designer Charles Kaisin a-t-il créé, en 2005, plusieurs objets résolument contemporains dont  » Gala « , trois magnifiques plats réversibles et superposables.  » La marque me semblait à ce point immuable et traditionnelle que je n’y voyais vraiment pas ma place, se rappelle le créateur. J’avais gardé le souvenir du service Copenhague de mes grands-parents. Je me suis dès lors intéressé au processus de création de la faïence et de la céramique et me suis alors rendu compte des prouesses techniques dont Royal Boch était capable. C’est impressionnant.  » Séduit, Charles Kaisin planche actuellement sur un nouveau mug.  » J’aime valoriser des marques belges qui s’exportent, s’enthousiasme celui qui a aussi collaboré avec Delvaux et Vange (cette maison d’édition où il s’est illustré avec le déjà culte banc K-Bench). Et puis, Boch travaille encore totalement de façon manuelle, une réelle plus-value. Aujourd’hui, on valorise davantage l’aspect Arts and Crafts. Prenez par exemple les pièces de mobilier faites à la main et tirées à quelques exemplaires seulement de Ron Arad ou de Marc Newson. Si Royal Boch recherche une niche pour se distinguer, je pense qu’elle l’a trouvée.  » La sculptrice Lucia Bru, qui a signé deux vases, une corbeille et un vide-poche en série limitée, a ainsi profité de la spécificité manufacturière de la marque :  » Comment faire pour que chaque pièce soit unique alors qu’elle est réalisée selon un schéma répétitif, me suis-je demandée. J’ai simplement suggéré à l’opératrice de donner une caresse à l’objet quand on le démoule, ce qui lui apporte une tension, une pulsion, une humeur particulière.  »

Sur sa lancée, Royal Boch vient par ailleurs d’engager une toute jeune graphiste pour rafraîchir l’identité visuelle de ses collections traditionnelles telles que le Copenhague ou le Kitchen. Diplômée de l’Ecole supérieure des Arts plastiques et visuels de Mons, Gwenaëlle L’Hoste, 26 ans, revisite également le large éventail de formes disponibles dans le catalogue en y apposant des motifs très graphiques. Comme ce gros vase  » goutte  » dessiné par Charles Catteau au début du xxe siècle, sur lequel elle a décalqué deux lignes de couleur autour de l’embout, apportant à l’objet un caractère à la fois ludique et moderne.

Autre nouveauté : le designer Alain Berteau a également accepté de collaborer avec Royal Boch.  » On refuse difficilement de travailler pour ce genre d’entreprise au savoir-faire historique, confie l’artiste. C’est une des rares faïenceries capables de produire ce type d’objet de qualité. Ses dirigeants n’ont pas peur de remettre en question les acquis du passé. Ce qui est essentiel : assis sur une mine d’or, ils choisissent soit de vivoter sur leur réputation, soit ils apportent un nouveau souffle. Comme designer, c’est intéressant d’être appelé à intervenir dans ce processus. Ce genre d’aventure m’excite tout autant que de créer un canapé branché pour une grosse boîte italienne.  »

Baccarat

La célèbre cristallerie de Baccarat, petit village de Meurthe-et-Moselle, est entrée dans le xxie siècle au son de buzz l’éclair. Avec la ligne  » Tranquility « , dessinée en 2000 par la designer américaine Barbara Barry, la marque entendait déjà  » associer hauts verres et gobelets pour donner un coup de jeune à l’art de dresser une table « . Quand Philippe Starck signa, en 2003,  » Zénith « , le fameux lustre en cristal noir, Baccarat se créait une place au soleil au côté des éditeurs les plus trendy. Un mélange subtil de luxe extrême et d’accents contemporains que l’on retrouve intact dans la nouvelle collection  » Intangible  » signée par le designer israélien Arik Lévy. Vases et gobelets où les motifs (croix, cercles, courbes, entrelacs) s’inscrivent en creux dans le cristal clair, bougeoirs cubiques donnant à la lumière un bel espace d’expression, sculpture pouvant faire office de presse-papier ou de bijou,  » Intangible  » allie la noblesse de la matière au talent d’Arik Lévy, un des créateurs sans doute les plus éclatants de la scène internationale du design.

Christofle

Baptisée  » Beautiful design « , la dernière collection de Christofle donne le ton. Brigitte Fitoussi, directrice artistique de la maison d’orfèvrerie française, a sollicité une série de créateurs contemporains de renom et émergents. Après  » Reflet  » (2001), ensemble minimaliste de plateaux, coupelles et boîtes en argent massif poli et le couvert à succès  » Téneré  » (2004), le designer Martin Szekely propose pour Christofle  » Radius « , une ligne complète d’objets argentés (bougeoirs-soliflores, plateaux découpés dans de la feuille d’argent…). Andrée Putman, qui collabore avec la marque depuis 2002, invite le Corian ® blanc au catalogue. Quant au duo Savinel & Rozé, à qui l’on devait en 2006 la ligne gothique chic d’accessoires au  » motif têtes de mort « , il réinvente l’ergonomie du couvert  » Elémentaire  » en acier inoxydable. Nouveaux noms également : le collectif Square G revisite le motif historique baroquisant  » Marly  » sur des cadres, miroirs de poche et clés USB, sans oublier l’étui à préservatifs en argent massif présenté par les étudiants de l’ECAL à Milan en 2006. Cette année, Christofle était par ailleurs bien présent au Salon international du meuble. La marque y présentait  » Atomes d’Argent « , une collection inédite d’objets pour la maison et la table, signée par le Néerlandais Richard Hutten. Quand la fantaisie s’incruste dans l’argent, cela donne, entre autres, le Vase Pique-Fleurs :  » une Lune et ses cratères « , selon son créateur, qui n’a apparemment pas totalement oublié ses débuts au sein du collectif Droog Design.

Saint-Louis

Hilton McConnico multiplie les casquettes créatives. Tout à la fois peintre, décorateur, réalisateur, photographe, designer et scénographe, celui qui a signé les décors d’une vingtaine de films (de Truffaut à Beineix) et ceux du tout nouveau musée Hermès de Séoul, vient de boucler un projet étonnant avec les ancestrales Cristalleries Saint-Louis. Le lustre  » Extravagance  » porte bien son nom : entièrement réalisée à la main, cette magnifique pièce, composée de 8 globes photophores terminés par des  » poignards « , a demandé des centaines d’heures de travail : soufflage du cristal, taille en pointe des… diamants. Conjointement, McConnico a conçu une collection d’art de la table éponyme. Ses verres à vin, à eau, chopes, bougeoirs, carafes et flûtes de champagne estampillés  » Extravagance  » sont ultrachics et délicieusement décadents. A noter : pour permettre aux amateurs d’en savoir plus, l’éditeur Bernard Chauveau a édité un  » Cahier  » sur le projet (www.bernardchauveau-editeur.com).

Royal Tichelaar

Après Hella Jongerius et Marcel Wanders, Royal Tichelaar a fait appel en 2007 à l’excentricité du bureau belgo-néerlandais de Studio Job pour créer une nouvelle ligne en céramique pour la table. Le Belge Job Smeets et le Néerlandais Nynke Tynagel ont imaginé  » Biscuit « . Soit une série d’assiettes et de différents objets (bougeoir, vase, plateau à gateau…) où se détachent en relief des personnages fantastiques et des contes de fées. Ou encore des décors orientalisants, comme dans ce vase en tour de Babel ou cette lanterne à bougies aux airs de Kremlin. Un parti pris plutôt iconoclaste mais louable pour cette maison fondée en… 1572.

Nymphenburg

 » Pour un designer nourri aux mantras du xxe siècle selon lesquels  » la forme suit la fonction (form follows function) et  » moins, c’est mieux (less is more) « , travailler pour Nymphenburg est un fameux péché « , ironise le New-Yorkais Ted Muelhing. A la suite de Konstantin Grcic et comme Hella Jongerius, Kashayar Naimanan et les tout jeunes Barnaby Barford et Sebastian Menschhorn, il fait partie de l’équipe de designers contemporains dont la porcelainerie bavaroise, créée à la fin du xviiie siècle, s’entoure pour entretenir sa force de création. Si les motifs romantiques inspirés de la faune et de la flore chers à la maison  » rococoïsante  » restent présents et reconnaissables dans ces nouvelles collections d’art de la table, ils sont subtilement revisités à l’aune d’un programme décoratif et formel débarrassé de toute lourdeur. On pointera particulièrement l’harmonieuse collection  » Nymphenburg Sketches  » d’Hella Jongerius et  » White Coral « , la ligne organique signée Ted Muelhing.

Lladró

Jusqu’il y a peu, personne n’aurait parié que les figurines kitschissimes du porcelainier espagnol Lladró se retrouveraient un jour chez Colette, la boutique hype parisienne. Mais voilà : le kitsch est lui aussi trendy et, surtout, le designer Jaime Hayon s’en est mêlé. Nouvellement nommé directeur artistique de la marque, la figure montante du design ibérique a lancé Re-Deco. Comme son nom l’indique, cette collection propose une réinterprétation des figurines traditionnelles de Lladró par le biais d’un nouveau programme décoratif. Le but est de démontrer que toutes les pièces, même ultraclassiques, peuvent radicalement évoluer et prendre un tout nouveau sens selon les motifs qui l’habillent. Privilégiant le blanc naturel de la porcelaine, Hayon insuffle à la gamme une (très) légère dose de sobriété. Sans pour autant éluder les accents kitschy fondateurs de la marque, le designer parvient finalement à marier son goût pour la poésie second degré à son penchant sincère pour l’historicité.

Baudouin Galler

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