Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Durant tout l’été, Le Vif Weekend zoome sur de grands photographes et leur vision de la femme. Pour débuter cette série, les années 1940, avec Richard Avedon qui a sorti les modèles du studio pour leur laisser une liberté de mouvement novatrice.

Les femmes des années 1940 ? Marquées par le halo de la Seconde Guerre mondiale qui les a mises au premier plan. Elles assument la vie d’une famille privée de père/mari parti au front. Soignent les plaies et douleurs de l’après-conflit. Et puis se propage aussi l’image hollywoodienne d’une créature indépendante, fumeuse, chargée de glamour et de désir. On pense à Lauren Bacall et ses poses de Cléopâtre californienne, alanguie dans des lumières qui sculptent ses formes avantageuses. Dans ce contexte d’une mise en scène sublimée du quotidien, débarque Richard Avedon, né le 15 mai 1923 au sein d’une famille juive new-yorkaise. A 19 ans, trimballant le Rolleiflex offert par papa, il saisit les visages des marins en partance pour le large, puis passe brièvement dans la réclame. Il y est débusqué par l’un des mentors du Harper’s Bazaar, Alexey Brodovitch.

La pratique de la photographie de mode est alors coulée dans un bronze ultraconvenu : en studio, dans des poses privées d’émotion et de fantaisie. Avedon crée une première révolution visuelle en niant cette convention-là : il saisit la beauté féminine en mouvement, dans la rue ou dans le réel d’intérieurs qu’il vampirise. Chez lui, on danse, on bouge, on vit. Comme dans l’image ci-contre, le modèle est immanquablement alerte et même peut-être drôle. Sur cet improbable canevas, Avedon construit une esthétique techniquement éblouissante. L’éclairage rompt avec la dramatisation quasi expressionniste des photos posées et le noir et blanc crée un halo de lumière qui deviendra une véritable marque de fabrique. Les images d’Avedon irradient donc de maîtrise et de plaisir : la frivolité n’est que l’appendice d’une élégance obligatoire.

Dorian Leigh est le modèle qui tire la langue en se maquillant sur ce cliché d’août 1949. Son geste de se mettre le crayon à l’£il se fait la bouche ouverte – un réflexe primal – et le tout, trône en dessous d’un chapeau signé Madame Paulette. Les deux oreilles de l’engin la font ressembler à une Bunny girl. Les accessoires – perles à tous les étages – sont d’un chic éternel, supposé très français ; la photo a d’ailleurs été prise à Paris. En fabriquant cette ingénuité triomphale, Avedon ne sait pas encore que Dorian Leigh et sa cohorte d’images, serviront d’inspiration huit ans plus tard au film Funny Face : Audrey Hepburn y sera une sorte de Dorian Leigh en couleurs, pimpante, et irrésistiblement espiègle. C’est cette dernière caractéristique qui sauvera toujours le travail d’Avedon de tout soupçon d’académisme. Il élargit l’esthétique de la photographie de mode, il en ouvrira aussi les portes à des modèles non stéréotypés, des femmes asiatiques et des Afro-Américaines. L’Avedon des années 1940 a déjà mis en place la quasi-intégralité de son dispositif artistique. Le statut iconique qu’il développe dès la décennie suivante puis son passage en 1966 au prestigieux magazine Vogue, en feront un pilier de l’establishment mode. Mais jamais, jusqu’à sa mort en 2004, il ne perdra la puissance de son geste photographique, ses images gardant une irréductible liberté et cette lumière solaire, indémodable.

A voir : Avedon Fashion 1944-2000 , International Center of Photography, 1133, Avenue of The Americas, à New York.www.icp.org.

Jusqu’au 6 septembre prochain.

Retrouvez, la semaine prochaine, les années 1950, avec Frank Horvat.

Philippe Cornet

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