Grand vainqueur du dernier Festival international des Arts de la Mode à Hyères, le français Richard René décline sa vision du chic en langage grand public. Attention, talent !

(1) Carnet d’adresses en page 94.

L es silhouettes de Richard René tranchent dans l’air du temps. Délibérément monochromes, elles dégagent un parfum de séduction placé sous le signe d’une coupe impeccable et d’une sobriété exemplaire. Le glamour est retenu ; l’élégance, très années 1950.  » On me demande souvent pourquoi je ne fais que du noir, lance d’emblée le créateur. Et je réponds toujours que je ferai autre chose le jour où je trouverai que les gens sont vraiment bien habillés dans la rue.  » Le ton est donné. Richard René est un idéaliste et sa vision de la mode se veut aussi tranchante que ses robes.

A 33 ans, le lauréat du dernier Festival international des Arts de la Mode à Hyères ne sait pourtant toujours pas d’où vient sa passion du vêtement. Elle est naturelle, un point c’est tout :  » Je n’ai pas grandi dans un environnement propice à la mode, précise l’intéressé, puisque je viens d’un petit village de pêcheurs en Bretagne. D’ailleurs, ni ma mère ni ma grand-mère ne savent coudre. Pourtant, dès l’âge de 4 ou 5 ans, j’ai été irrésistiblement attiré par le tissu. C’était plus fort que moi : quand je revenais de l’école, il fallait que je monte au grenier pour couper cette matière et jouer avec elle. Mes parents ne trouvaient pas cela très sérieux, à un tel point qu’ils ne voulaient même plus me donner de tissu. Alors, j’ai commencé à couper dans les draps et les mouchoirs de ma mère !  »

Happé par le vêtement, le jeune Richard René s’applique alors à réaliser des modèles sur les poupées de sa s£ur et de ses copines de classe. Il expérimente, crée et rêve. Au fil du temps, il finit par convaincre ses parents de le laisser s’épanouir dans l’univers textile. Le baccalauréat en poche, il s’inscrit pour deux années d’études en industrie de l’habillement dans sa région natale ( » C’était le bonheur, j’apprenais enfin à coudre !  » se souvient-il) et monte ensuite à Paris pour suivre une formation de styliste-modéliste à l’Institut supérieur des Arts appliqués. Quelques stages plus tard, la désillusion s’installe rapidement :  » J’ai pas mal galéré au début, confie Richard René. Je n’arrivais pas à trouver de boulot et je commençais à déprimer dans ma petite chambre de bonne parisienne. Dans ma famille, j’étais même devenu le mouton noir. On n’arrêtait pas de me répéter :  » A quoi ça sert, la mode ? Allez, rentre en Bretagne et deviens boucher, ce sera beaucoup plus tranquille !  »

Désabusé, le jeune diplômé est sur le point de renoncer à sa passion lorsqu’il rencontre, par hasard, la célèbre designer Andrée Putman dans une rue de Paris au début des années 1990. Il joue la carte de l’audace et supplie son interlocutrice de le recevoir chez elle afin de lui présenter son travail.  » Elle était surprise, mais elle m’a finalement donné rendez-vous, poursuit Richard René. Malheureusement, lorsque je suis venu le jour J à son bureau, elle n’était pas là. J’ai donc laissé mon book à sa secrétaire et je suis venu le rechercher une semaine plus tard. Andrée Putman était de nouveau absente, mais elle avait laissé une très gentille lettre à mon attention m’invitant à persévérer et à prendre contact avec des personnes chez Hermès et Christian Lacroix pour un stage. Je pensais que je serais pistonné, mais pas du tout ! Elle n’avait pas contacté les personnes en question et je devais donc me vendre. Heureusement, son nom m’a quand même ouvert une porte.  »

A 23 ans, Richard René décroche enfin un stage de trois mois chez Hermès. Il découvre les vraies coulisses du luxe et nage en plein bonheur, d’autant plus que la prestigieuse maison lui offre un engagement en tant que premier assistant à la fin de son stage. Le jeune styliste se fait la main, dessine tous les modèles du catalogue de vente et assiste à tous les essayages. Nous sommes en 1994 et l’aventure va durer un peu plus de deux ans, jusqu’à ce que Richard René apprenne que Jean Paul Gaultier s’apprête à se lancer dans la haute couture.  » J’ai décroché un rendez-vous avec lui, mais l’entretien s’est très mal passé, se souvient le créateur. Jean Paul Gaultier était très froid, voire désagréable. Bref, je n’avais aucune envie de travailler avec lui, mais une semaine plus tard, on m’a rappelé et j’ai finalement accepté la proposition de devenir son premier assistant pour la collection haute couture. Les trois premières semaines ont été atroces ! Personne n’était prévenu de mon arrivée et l’ambiance était glaciale. Chacun avait peur de perdre sa place. Mais j’ai tenu bon et j’y suis resté sept ans !  »

De 1997 jusqu’au printemps 2004, Richard René travaille donc dans l’ombre de Gaultier. Son coup de patte est irréprochable, mais cette vie de salarié confortable commence tout doucement à le lasser. A vrai dire, c’est la frustration de ne pas pouvoir développer des projets personnels qui le mine et le jeune trentenaire songe donc de plus en plus à voler de ses propres ailes. L’élément déclencheur sera l’édition 2004 du Festival international des Arts de la Mode à Hyères dédié à la jeune création.  » J’ai remis mon dossier d’inscription avec quelques croquis en septembre 2003, poursuit Richard René, et lorsque j’ai su que j’étais sélectionné en janvier 2004, je ne me suis plus posé de questions sur le fait de rester ou non chez Jean Paul Gautier. Il me restait quatre mois à peine pour réaliser une collection et je savais que j’avais besoin de tout mon temps pour la mener à bien. Quelques semaines plus tard, j’ai donc remis ma démission et je me suis entièrement consacré au Festival de Hyères. J’étais conscient qu’il s’agissait là d’un vrai coup de poker car je pouvais très bien ne gagner aucun prix là-bas, mais j’en avais tellement assez de ne pas m’exprimer en mon nom que plus rien d’autre n’avait d’importance.  »

Bien lui en a pris. Le 2 mai dernier, Richard René devenait le grand lauréat de la 19e édition du Festival à Hyères avec, pour la première fois dans l’histoire de ce rendez-vous pointu de la jeune création internationale, pas moins de quatre prix à son actif : le Grand Prix du Festival (ex aequo avec le duo britannique Sarah Swash et Toshio Yamanaka), le prix de la Ville de Hyères (attribué par le public), le prix Nordstrom (du nom d’une société américaine de mode qui assure une commande de la collection pour quelques boutiques) et le prix 1.2.3. (remis par la chaîne de vêtements du même nom et qui garantit la commercialisation d’une nouvelle collection à prix démocratique).  » Je serais incapable de dire lequel de ces prix m’a le plus touché, reconnaît Richard René. A vrai dire, je ne me suis rendu compte de rien car j’étais obnubilé par la présence de mes parents ce jour-là à Hyères. J’étais tellement heureux qu’ils soient venus au défilé et voir ce que je faisais vraiment pour la première fois ! Il n’y avait que leur avis qui m’importait vraiment. Mais c’était tout aussi atroce car, au moment des résultats, mon père a failli avoir une attaque !  »

Baptisée  » Contraintes d’élégance « , la collection signée par Richard René a marqué les esprits pour son côté à la fois chic et austère. Célébrant une vision de la femme extrêmement classique que n’aurait pas renié Greta Garbo et Marlene Dietrich, les silhouettes de l’ancien assistant de Gaultier révèlent un glamour épuré doublé d’une jolie rétromodernité. Le coup de ciseau se révèle parfait et l’allure générale flirte même avec un certain esprit couture. Disponible en janvier prochain dans quelques boutiques pointues d’Europe et des Etats-Unis, la collection de Richard René est toutefois d’ores et déjà accessible dans une version repensée pour la marque 1.2.3. C’est le principe même de ce prix particulier décroché à Hyères : décliner les vêtements présentés au festival dans une minicollection réalisée dans un processus industriel et distribuée au grand public à un prix démocratique ( voir la fenêtre Espace Créateurs à l’adresse Internet www.1-2-3.fr). Vendue en France et en Belgique dans certaines boutiques 1.2.3. depuis le 15 novembre dernier ( 1), les silhouettes noires de Richard René déclinent toutes les bases fondamentales du vestiaire féminin (ensembles et robes du soir) dans des coupes parfaites et des matières raffinées (crêpe et satin de soie) sous l’angle du chic et pas (trop) cher.

Reconnu dans les coulisses du luxe, récompensé sur le devant de la scène médiatique et désormais vendu sur le marché textile, Richard René ne rêve pas pour autant de gloire et de reconnaissance démesurée.  » La célébrité ne m’intéresse pas, conclut le créateur. J’ai travaillé pendant sept ans aux côtés de Jean Paul Gaultier et j’ai pu mesurer tous les effets néfastes du statut de star : on lui sautait dessus dès qu’il se promenait en rue ! C’était invivable. Bref, je ne cherche pas à être célèbre mais j’aimerais en revanche que mes vêtements soient connus, reconnus et portés. Ah ça, oui !  » C’est tout le bien qu’on lui souhaite.

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