L’UN NE COMPREND RIEN AU FOOTBALL, L’AUTRE A CONSTRUIT SA VIE AUTOUR DU BALLON ROND. ILS NE S’éTAIENT JAMAIS RENCONTRéS, WEEKEND LE VIF/L’EXPRESS LES A RéUNIS POUR UN MATCH AU SOMMET.

Dans quelques jours, la Belgique vivra assurément à l’heure asiatique. Le 31 mai, exactement, débutera en effet la Coupe du monde de football, au Japon et en Corée du Sud, au cours de laquelle les Diables rouges tenteront, tant bien que mal, de se hisser jusqu’aux meilleures places de la compétition. Histoire de réconcilier supporters acharnés et allergiques au ballon rond, Weekend Le Vif/L’Express a eu la bonne idée de réunir Robert Waseige, l’entraîneur de l’équipe nationale, et Benoît Poelvoorde, le comédien décapant, autour d’un petit terrain en Lego sur la terrasse du restaurant La Petite Margaille à Huy. Précision importante: l’acteur belge, anti-héros du récent film « Le Boulet », ne s’intéresse pas au football. Rencontre sur les chapeaux de roue!

Robert Waseige: On peut gagner du temps en se tutoyant.

Benoît Poelvoorde: Oui, vous avez raison. Je veux dire: tu as raison, Robert!

R.W.: Seulement si vous me le permettez…

B.P.: Je t’y invite, Robert! J’espère qu’on t’a dit que je ne connais rien au football.

R.W.: On m’a même dit que tu n’aimais pas le football.

B.P.: Ah non, ce n’est pas vrai! Ce n’est pas que je n’aime pas, mais cela ne m’intéresse pas.

R.W.: En revanche, moi j’adore le cinéma et le théâtre. Donc, cela pourra peut-être marcher.

B.P.: Attention! J’ai quand même joué un peu au football! J’ai été extérieur gauche dans un petit club jusqu’à l’âge de 12 ans. J’aimais bien le football quand j’étais gamin, mais lorsque j’ai arrêté, je n’ai plus jamais voulu être spectateur. Bon, Robert, je ne résiste pas à l’envie de te poser la question: quelles sont nos chances?

R.W.: De remporter la Coupe du monde? Je dirais qu’elles sont nulles!

B.P.: Non, mais jusqu’où pourrions-nous aller?

R.W.: Oh… C’est impossible à dire.

B.P.: Non, mais à quel stade seras-tu heureux? En fait, je suppose que le fait d’avoir été sélectionné te rend déjà heureux…

R.W.: Oui. Mais il fallait se qualifier!

B.P.: Ah, mais je sais! J’ai même regardé certains matchs.

R.W.: Je pensais que le football ne t’intéressait pas!

B.P.: Sauf la Coupe du monde! Je regarde. C’est un truc que je comprends. Mais les autres matchs de la Coupe des coupes, de la Coupe des machins et que sais-je encore, je ne m’y retrouve pas!

R.W.: Ne t’en fais pas! Ma femme qui vit avec moi depuis quarante et un ans maintenant ne comprend toujours pas non plus. Et elle s’en fiche alors que sa vie, c’est aussi le football. Mais elle n’ironise pas parce qu’elle sait combien cela peut être important pour celui qui a cette passion-là.

B.P.: Non, mais la Coupe du monde, c’est vachement plus facile. En plus, comme ma femme est française, je supporte les Diables rouges et nous avons des rixes assez régulièrement. On a même deux télévisions avec les Belges d’un côté et les Français de l’autre. Mais à part la Coupe du monde, le football ne m’intéresse pas. D’ailleurs, je ne sais même pas qui a gagné le Championnat de Belgique. Le football ne m’intéresse que tous les quatre ans.

R.W.: C’est l’événement.

B.P.: Oui, parce que, en Belgique, je ne m’identifie pas aux équipes du Championnat, tandis que lorsque les Belges participent à la Coupe du monde, je m’identifie beaucoup plus facilement. Et puis, j’adore les fêtes où les gens se rassemblent et où il y a une liesse populaire. Le fait de s’intéresser au football en tant que tel n’a aucune importance. Pour moi, l’important est de partager ensemble une joie de gagner. Point!

R.W.: Ce que tu expliques très bien là, c’est le discours que tient Michel D’Hooghe à propos du football. Il dit:  » Dans football, il y a rencontre. » Voilà la grande justification de cet immense sport. Et dans le cadre de la Coupe du monde, c’est ce qui apporte aussi un peu de piment dans la routine. C’est un été différent.

B.P.: C’est la joie. Même si je n’y connais rien! D’ailleurs, je ne me permettrais jamais de critiquer un joueur. Bon, j’ai joué au foot lorsque j’étais gamin et je sais tout de même comment ça marche. Mais de là à dire:  » Mais qu’est-ce qui fout celui-là avec la balle! », ça non! Je voudrais tout de même dire que je suis nettement moins pessimiste que toi. Je me dis qu’on va gagner. Et mon rêve serait que l’on batte les Français en finale! Parce que ça fait quatre ans que j’entends dans mes oreilles: « On est les champions, on est les champions… ». Au fait, tu penses vraiment que la France est la meilleure équipe du monde pour l’instant?

R.W.: Oui, je le pense. Sur les cinq dernières années, il n’y a pas photo. Mais bon, les Français ne sont pas seuls. Il y a aussi les Argentins. Et puis, les classiques comme l’Italie, l’Allemagne et le Brésil, même s’ils ne sont plus les grands favoris. Et peut-être l’Angleterre et l’Espagne….

B.P.: Quel est ton match rêvé pour la Coupe du monde? Celui que tu aimerais voir…

R.W.: Précisément France-Belgique à un stade avancé de la compétition, comme les quarts de finale, par exemple. Parce que la finale, c’est utopique pour la Belgique. Cela dit, le plus dur, pour nous, sera de figurer parmi les deux premiers de notre poule. Mais quand je dis ça, on ne me prend pas au sérieux et on dit même que je suis hypocrite.

B.P.: Attends, c’est quoi la poule? Parce que je te donne peut-être l’impression de comprendre, mais je ne comprends rien du tout ( rires)!

R.W.: Il y a 32 équipes qui participent à la phase finale. Elles sont la quintessence des 200 et quelques affiliés à la Fédération internationale qui ont disputé des éliminatoires pour pouvoir participer à cette phase finale.

B.P.: Jusque-là, je suis!

R.W.: Ces 32 équipes sont réparties en 8 groupes de 4 équipes. Ce sont les poules en question où chaque équipe doit affronter l’autre. C’est simple: les deux premiers de chaque poule passent le tour suivant.

B.P.: Ah, c’est ça…

R.W.: Ensuite, ce sont les huitièmes de finale, puis les quarts de finale, les demi-finales et la finale.

B.P.: Comme dans un tournoi de tennis.

R.W.: Oui. Et moi je dis que ce sera dur de figurer parmi les deux premiers de notre poule.

B.P.: On sait déjà contre qui on va jouer?

R.W.: ( Rires.) Oui! Il y a la Tunisie, le Japon et la Russie.

B.P.: Et ils sont forts ou pas?

R.W.: La Tunisie est l’adversaire le moins coté du groupe. Quant à la Russie et au Japon, il y a une discordance importante entre mon avis et celui des techniciens.

B.P.: Et quel est ton avis?

R.W.: Moi je dis que cela va être très difficile. Les Japonais ont le grand avantage de jouer chez eux. Et ils ont surtout beaucoup d’orgueil.

B.P.: Ils sont hargneux!

R.W.: Ils ont l’esprit nationaliste exacerbé. En plus, ils sont au courant de tout. Les médias japonais se sont infiltrés partout et, si ça tombe, il y a peut-être un journaliste japonais dans cette salle ( rires)! Cela fait quatre ans qu’ils préparent cette Coupe du monde et ils sont très très motivés.

B.P.: Et la Russie?

R.W.: Il n’y a pas si longtemps, ils ont fait un match nul contre la France, à Paris. Il ne faut pas l’oublier. Cela dit, on a quand même battu deux fois une des équipes figurant dans le Top 5 européen: la Tchéquie. C’est une performance. D’ailleurs, ça surprend…

B.P.: Donc, notre équipe peut surprendre.

R.W.: Oui, elle peut surprendre positivement. Mais je trouve que le Belge n’a pas le culte de la victoire.

B.P.: ( Rires.) Là, je suis d’accord avec toi! On a sans cesse un sentiment d’infériorité.

R.W.: Et on le cultive! En plus, je trouve que les médias remplissent très mal leur rôle de douzième homme.

B.P.: Je suis d’accord! Ils font très mal le relais de notre couleur et de notre lumière.

R.W.: Si la pression des médias est trop forte et trop négative, les types partent sans la foi. Cela dit, je dois faire un petit peu plus attention avec les médias parce qu’ils vont finir par croire que je ne les aime pas ( rires)!

B.P.: Je ne crois pas, Robert! Tu jouis d’un quota de sympathie dans la presse.

R.W.: Non, mais je fais une fixation.

B.P.: Tu n’as pas répondu à ma question: tu seras content à partir d’où?

R.W.: Volontairement, je ne fais pas de pronostics, parce que c’est trop aléatoire. En foot, on ne peut pas tout contrôler. Il y a une série de facteurs comme le vent, le soleil, l’état du terrain, l’arbitrage…

B.P.: L’endroit où vous êtes logés…

R.W.: Mouais, bon. On est bien là où on est. C’est très fonctionnel, mais avec le confort en plus. Il y a 30 chambres et il nous en faut 29.

B.P.: Ca veut dire que tu en prends deux! Une pour tes affaires personnelles et une pour tes nombreuses maîtresses à Séoul ( rires)! Tu sais que je serai à Séoul au début de la Coupe du monde?

R.W.: ( Interloqué.) Ce n’est pas vrai!

B.P.: Si! Je vais à un festival là-bas pour vendre « Le Boulet ». Et j’arrive le jour du lancement de la Coupe du monde.

R.W.: Je dois te dire que j’ai vu « Le Boulet » et que j’ai ri de bon coeur. L’autodérision est un art. C’est du bon temps. On sort de là et on est détendu. C’est comme aller au théâtre. Je vais pour me désintoxiquer. J’entre et je plonge dans le contexte. Le texte est souvent important mais il faut que cela soit bien joué et que la mise en scène suive. Et quand je sors de là, je suis nettoyé et remis à neuf.

B.P.: Tu aurais aimé être acteur?

R.W.: Je crois que j’aurais été… ( Silence). Non. Dans mon métier où il y a beaucoup de communication, je me reconnais un gros défaut: j’entre trop dans les détails. Quand on me pose une question, je m’éternise et j’ai tendance à compliquer. Donc, je ne sais pas si j’aurais été un bon acteur.

B.P.: Moi je pense que oui. Je peux t’écrire un texte!

R.W.: Oui, mais il y a une barrière à franchir.

B.P.: Mais tu as déjà un bon rapport à la caméra!

R.W.: Oui. Mais je n’aime pas me revoir à l’écran.

B.P.: Personne, à part les cons!

R.W.: Et je n’aime pas non plus me réentendre.

B.P.: Encore une fois: personne, à part les cons!

R.W.: Pour te dire comment les gens sont méchants, certains disent que j’ai un accent ( rires)!

B.P.: Nooooon!

R.W.: Non, sérieusement, pour répondre à ta question, je crois que j’aurais des difficultés à vaincre un certain trac. Et aussi de me concentrer.

B.P.: Moi, je suis sûr que tu pourrais le faire.

R.W.: Ce n’est pas d’actualité pour moi! Je n’ai plus de plan de carrière. Tiens, je voulais te demander ce que tu pensais des politiciens par rapport à la subvention de la création théâtraleen Belgique?

B.P.: Inexistante ( rires)!

R.W.: Ils sont absents, quoi!

B.P.: Oui, mais c’est un peu logique parce que le théâtre et le cinéma sont considérés comme des divertissements et, à ce titre, on ne débloque pas beaucoup de fonds.

R.W.: Moi, je ne suis pas d’accord avec cela!

B.P.: Mais moi non plus!

R.W.: Ce n’est pas logique comme attitude parce que, pour moi, les comédiens sont des thérapeutes. Sorry, hein! On favorise toujours la pratique du sport , mais il faudrait aussi le faire pour les loisirs des gens. Il y va de leur équilibre.

B.P.: C’est agréable à entendre. Je vais te nommer ministre!

R.W.: Je te parle de ça parce que l’un de mes fils, Thierry, a presque été poussé à chercher une autre activité, faute de soutien. Pourtant, il est comédien professionnel, il a plus de 1 200 représentations à son actif et il a fait plusieurs tournées en France, en Suisse et au Québec. Et malgré cela, rien ne semble bouger. Chez nous, on ne fait rien pour aider la création et la production. Cela dit, il continue parce qu’il a la foi et il a cette passion qui le fait avancer. Et il a fini par créer sa propre compagnie pour ne plus être obligé d’attendre. Mais il déplore toujours l’inactivité des politiciens dans ce domaine-là.

B.P.: Avec tout le potentiel que l’on a en Belgique, c’est vraiment malheureux qu’on ne le booste pas plus.

R.W.: On est bien d’accord.

B.P.: En France, ils ont un vrai système de production. En Belgique, pas du tout. A la limite, on devrait être sponsorisé dans le spectacle comme on l’est dans le sport. Mais je crois que cela n’intéresse pas les sponsors. Le théâtre ne draine pas les foules. En revanche, dans le football… Au fait, combien y a-t-il de spectateurs lors d’un match?

R.W.: Cela dépend…

B.P.: Un match de la Belgique pour la Coupe d’Europe, par exemple…

R.W.: Pour l’Euro? C’est chaque fois stade comble, donc cela fait 50 000 personnes.

B.P.: ( Rires.) 50 000? Mais c’est la carrière d’un film belge qui se porte très très bien ( rires)! Et en plus, on ne parle même pas des spectateurs télé! C’est quoi? 400 000 personnes en plus?

R.W.: Même plus! Mais ce sont des milieux qui ne sont pas comparables…

B.P.: Même si le football est une superproduction! Il y a chaque fois 22 acteurs, plus l’arbitre, plus toi, le metteur en scène! Sans compter tous ceux qui sont sous les douches! Et puis, il y a tous les chefs-op des nombreuses caméras. C’est fou!

R.W.: Oui mais sais-tu combien il y a de millions de pratiquants de foot sur la planète? Rien qu’en Belgique, il y a 450 000 affiliés! C’est une organisation colossale.

B.P.: Effectivement. Bon, je voulais terminer en te disant que j’appréciais aussi ton parfait bilinguisme. Tu passes toujours dans les bêtisiers ( rires)!

R.W.: Oui! Et je suis le premier à rire parce que je crois être le seul Wallon dont le flamand peut être compris par tout le monde ( rires)!

B.P.: Oui et parfois, il y a carrément une phrase en wallon dedans( rires)!

R.W.: Même ma femme qui ne comprend pas le néerlandais parvient à suivre ( rires)!

Propos recueillis par Frédéric Brébant

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