La collection qu’il a dessinée pour H & M s’est arrachée aux quatre coins de la planète fashion et il vient d’installer une enseigne à son nom dans la prestigieuse avenue Montaigne, à Paris. Rencontre en confidences avec le pape italien du glamour.

Le Ritz, à Paris, bien sûr. Roberto Cavalli n’allait tout de même pas donner rendez-vous dans un hôtel borgne. Roberto Cavalli, 66 ans, c’est l’ami des stars et de l’imprimé léopard (il prise aussi la vache, la girafe…), un héraut du flashy, capable de transformer un jean en arbre de Noël et en cela omniprésent sur les red carpets, un jouisseur enfin, qui continue de dire  » sexy  » là où, depuis dix ans, il est recommandé de préférer  » sensuel  » (tellement moins vulgaire). Bref, Cavalli aime la grosse cavalerie, option qu’il suit jusque dans son mode de vie, dont il ne cache rien : une maison-musée en Toscane, plusieurs voitures de sport, un hélico perso (qu’il pilote lui-même, naturalmente), un yacht de 41 mètres, et, cela va aussi de soi, une belle femme, en l’occurrence Eva, une Autrichienne qu’il a rencontrée lors d’un concours Miss Univers, devenue sa principale collaboratrice.

Salut express, lunettes fumées qui masquent le regard, discussion en italien avec un de ses sbires : à le voir arriver, on se dit que le contrat  » cash et kitsch  » va être rempli cinq sur cinq. Tiens, voilà Victoria Beckham qui se matérialise en courte robe vert pomme, toute frêle et l’air timide. Et patati et patata, elle papote avec Roberto, ils se connaissent bien, à l’occasion il prête son yacht à l’ex- Posh et à son David… Cinq minutes plus tard, le maestro balance sa vieille sacoche en croco dans un coin, commande un double expresso et deux croissants chauds. Il s’apprête à allumer un cigare quand une soubrette l’informe que ce truc-là ne se fume pas au bar du Ritz – ouf !

On est au lendemain de la soirée d’inauguration de la boutique Cavalli avenue Montaigne, 500 m2 dans le fameux  » triangle d’or  » de la capitale. Le raout s’est  » très bien passé, tout le monde est venu « , à savoir Victoria B., mais aussi Jade Jagger, le rappeur Kanye West, la danseuse classique Eleonora Abbagnato, les actrices Arielle Dombasle, Clotilde Courau, Elodie Bouchez, Vahina Giocante, les  » socialites  » Frédéric Beigbeder, Melita Toscan du Plantier, etc.  » C’est pour ça que je ne suis pas bien réveillé, commente le maître de céans de sa voix caverneuse. Je ne suis pas rentré tard, vers 1 heure du matin, mais, avec l’adrénaline, impossible de trouver le sommeil. Alors j’ai piqué un truc pour dormir dans les affaires de ma femme, ça a très bien marché, je suis tombé d’un coup sec… Mais là, j’ai la tête à l’envers.  » Pas pour longtemps, on se dit, vu les projets en cours : outre la boutique avenue Montaigne, Roberto Cavalli prépare l’ouverture, début 2008, d’un espace de 2 500 m2 répartis sur sept niveaux, à l’angle des ultrachics rues parisiennes Saint-Honoré et Cambon… Ça ressemble à une opération commando, non ?  » Je dirais, plutôt, à une arrivée en force. Moi, je ne suis pas quelqu’un d’organisé, je marche plutôt à l’instinct et j’avais envie de revenir à Paris, qui est pour moi l’épicentre de la mode et où j’ai vécu dans les années 1970.  » Il raconte un tout petit studio au cinquième étage sans ascenseur, mais, attention, dans l’île de la Cité, qu’il ralliait  » en Porsche ou en Maserati  » :  » L’été, je me faisais bronzer nu sur le toit du voisin !  » A l’époque, les choses se passaient à Saint-Germain-des-Prés, on trouvait encore  » des petits restaurants où la viande sentait le feu de bois « . Aujourd’hui,  » c’est plus froid « , même s’il  » adore toujours cette ville  » et espère pouvoir y vivre en partie quand l’ensemble rue Saint-Honoré sera ouvert –  » Vous viendrez goûter mes spaghettis « .

Son épicentre à lui, c’est Florence. Où il est né, où il a grandi, et où il a construit son empire, qui va du vêtement à l’accessoire, en passant par le parfum, jusqu’à… une vodka. Une réussite d’autodidacte, il faut le préciser. Car si les biographes se plaisent à mettre en avant son grand-père, Giuseppe Rossi, un peintre du mouvement macchiaioli, lui évoque un milieu d’origine plus que modeste : un père géomètre dans les mines, que les Allemands fusillent quand l’enfant a 3 ans ( » On habitait un petit village à côté de Florence, des hommes ont été raflés « ), une mère qui se retrouve seule avec ses enfants (Roberto a une s£ur), le gamin qui traîne dans la rue, ne  » parle pas jusqu’à l’âge de 17 ans « . Jusqu’à l’entrée à l’école d’art de Florence, où il commence à expérimenter des impressions sur tissu : on est au début des années 1960, ses tee-shirts connaissent un succès immédiat ; il passe ensuite à l’impression sur cuir, daim, autant d’innovations largement reprises par les autres. Dix ans plus tard, il a lancé sa propre marque de prêt-à-porter et, en 1972, BB porte du Cavalli pieds nus à Saint-Trop’, où il a ouvert sa première boutique. Las ! c’est compter sans Gianni Versace, qui devient le nouveau héros des riches immuablement bronzés ; et, surtout, Cavalli fait les frais de la vague minimaliste. Résultat, au milieu des années 1990, la marque se traîne comme une beauté flétrie qui aurait bu une coupette de trop.

Quand soudain, à la surprise générale, reprise : en septembre 1994, Cavalli présente sa nouvelle ligne de jeans et, dans la foulée, ouvre trois nouvelles boutiques, à Saint-Barth’, puis Venise et Saint-Trop’. Quatre ans plus tard, il lance Just Cavalli, une ligne plus accessible, notamment pour les budgets des jeunes. Et d’éminents portemanteaux viennent consolider cette renaissance : Puff Daddy, JLo, Courtney Love, Beyoncé, Lenny Kravitz, Mary J. Blige, Sharon Stone… Preuve de cette confiance retrouvée : à Milan, lors de la présentation du prêt-à-porter du printemps 2008, Cavalli s’est offert le luxe de prendre ses fans à revers avec une collection romantique, à base de blanc et d’imprimés floraux, qui a suscité l’intérêt du sérail. Commentaire de l’intéressé :  » Mais moi, je suis romantique ! Vous savez, dans la rue, il arrive que des jeunes m’arrêtent en disant :  » Vous êtes mon idole !  » Idole… vous vous rendez compte ? C’est pourquoi les créateurs manquent souvent d’humilité : on les traite en rock stars, on leur donne trop d’importance. « 

Ça, c’est la surprise : le roi du show off qui prône le profil bas. On se pince, non ? Eh bien non. Cavalli apparaît sincère. Et, sinon romantique, indubitablement sentimental. Voir, par exemple, comment il parle de la collection qu’il a concoctée pour H & M, à la suite de Karl Lagerfeld, Viktor & Rolf, Stella McCartney et Madonna (une de ses clientes) :  » J’ai trouvé la proposition amusante et, surtout, c’était une façon de mettre ma mode à la portée de ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter du Cavalli. Rendre un peu de ce qu’on m’a donné, c’est important.  » Voir aussi le souci manifeste que lui cause l’avenir de sa marque :  » J’y tiens tant que je souhaiterais presque qu’elle disparaisse avec moi. Par exemple, je trouve que ce qui arrive à Yves Saint Laurent est terrible… Cette marque, faite maintenant par un Italien ! Mon Dieu…  » Lui est secondé par une brochette de stylistes mais continue à avoir l’£il sur tout. Et il tient à faire fabriquer à domicile, maudit les délocalisations, reproche aux créateurs de mode d’avoir cédé aux sirènes de la fabrication de masse. Un discours d’artisan dans la bouche d’un as du show-biz : le personnage est évidemment plus complexe que sa caricature.

Ces derniers temps, des contacts entre Cavalli et le groupe suisse Richemont, spécialisé dans le luxe (l’horlogerie surtout, avec Cartier, mais aussi Chloé, Lancel, etc.), ont été rendus publics. L’objectif serait pour le Florentin d’assurer la pérennité de sa marque, sachant que s’il travaille en famille, entouré notamment de ses enfants (deux d’un premier mariage, trois de l’actuel), mais aucun nom n’est adoubé pour prendre la relève sur le versant créatif. Affaire à suivre…

Louise Witt

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content