Son parcours l’a mené de Claude Montana à Celine, en passant par Jil Sander et Burberry à qui il a redonné un spectaculaire second souffle. A 38 ans, Roberto Menichetti se concentre désormais sur sa propre marque de vêtements qui surfe entre sportswear et minimalisme chic. Interview à Milan.

R oberto Menichetti ne colle pas à l’image du styliste à succès que l’on pourrait imaginer. Sa stature imposante de Geronimo contraste fortement avec une allure décontractée et un embonpoint bien présent. Homme de passion, il est généreux et reçoit ses hôtes avec plaisir. Discret, il préfère d’ailleurs s’isoler pour l’interview car il n’aime pas parler trop fort.

A 38 ans, Roberto Menichetti, est aujourd’hui considéré comme un surdoué de la mode. Découvert par Claude Montana au début des années 1990, il monte à Paris pour devenir son assistant avant de rejoindre Jil Sander pour concevoir ses collections Femme. Son parcours se poursuit ensuite chez Burberry où il marque durablement les esprits en ressuscitant l’illustre maison britannique et en décuplant par la même occasion les bénéfices de la marque au tartan à l’aube de l’an 2000. On l’appelle alors à la rescousse chez Cerruti, puis chez Celine. Il relève le défi, mais son esprit, à vrai dire, est déjà ailleurs : il veut créer sa propre marque de vêtements. En 2004, son rêve devient réalité et la griffe Menichetti défile à Milan. Aujourd’hui, le créateur poursuit paisiblement son aventure stylistique entre sportswear technique et quête du vêtement parfait. Interview.

Weekend Le Vif/L’Express : Vous avez travaillé pour différentes maisons aux styles bien différents. Comment définiriez-vous aujourd’hui le style et l’identité de votre propre marque ?

Roberto Menichetti : En travaillant chez Montana et Jil Sander, j’ai assimilé un style très minimaliste, propre aux années 1990, qui m’a longtemps poursuivi. Avec Burberry Prorsum (anciennement Burberry’s), j’ai davantage joué sur les mélanges : les collections mariaient le style anglais classique à, disons, un style londonien plus moderne. Aujourd’hui, je pourrais dire que le style Menichetti est une recherche de l’essentiel. C’est vraiment ce que je recherche dans mes vêtements. Il y a également une grosse influence sportswear. J’ajoute d’ailleurs des éléments plus techniques issus des vêtements de sports extrêmes comme le motocross, le windsurf ou encore le skateboard ; comme, par exemple, les renforts aux articulations ou l’intégration de pièces en plastique dur dans certaines silhouettes. Pour l’instant, je me considère être à une première étape où, d’une part, j’essaie de mixer des matières et divers procédés techniques et, de l’autre, de mettre en place des idées plus formelles. Il y a également des frontières dans l’habillement que je souhaite transgresser. On divise généralement le vestiaire en trois : les vêtements techniques destinés au travail ou au sport, les pièces basiques et les vêtements de tailleur. Là où certaines maisons présentent trois lignes différentes, j’essaie de mon côté de tout intégrer dans une collection unique.

Mais comment l’idée de créer votre propre griffe a-t-elle finalement germé ?

Je n’ai jamais considéré le fait de créer ma propre griffe comme une nécessité absolue. Travailler pour des maisons comme Burberry ou Celine m’a apporté une grande ouverture d’esprit et d’incroyables expériences. Je me suis aussi senti très fier d’assumer autant de responsabilités. En fait, j’ai créé ma propre marque parce que j’ai simplement pensé que le moment était venu. Nous vivons dans un monde en pleine mutation et j’ai senti qu’il fallait que j’y apporte ma propre contribution. Certes, je me rends compte aujourd’hui de la difficulté de la tâche, mais c’est bien plus intéressant.

Vous dites que le monde de la mode est en pleine mutation. Qu’en adviendra-t-il selon vous ?

Ce n’est pas seulement le monde de la mode qui est en pleine mutation, mais toute la société qui commence à changer. La nouvelle génération pense autrement et fait ses choix différemment. Sans doute, d’une façon plus sincère. Aussi, les règles de comportement ne seront bientôt plus les mêmes. Pour traduire cela en termes de mode, cette génération recherche quelque chose de vraiment novateur que je m’efforce encore à déceler.

Vous créez autant pour l’homme que pour la femme. Dans quel domaine êtes-vous le plus à l’aise ?

C’est très différent. Lorsque je travaille pour l’homme, j’ai une implication évidemment plus personnelle et sensitive. Tandis que lorsque je travaille pour la femme, je m’inspire d’un idéal féminin que je désire concrétiser le mieux possible.

Vos croquis ressemblent plus à des personnages de bandes dessinées qu’à des silhouettes de mode. Y a- t-il une explication à cela ?

Bien vu ! Je me suis beaucoup intéressé à la bande dessinée durant mes études et j’y reste toujours attaché. Je n’en lis pas énormément pour l’instant, mais j’apprécie les auteurs de comics américains et les dessinateurs italiens. Le style BD me permet de dessiner plus vite, plus instinctivement et puis c’est bien plus sympathique que les croquis traditionnels.

Quels sont les meilleurs souvenirs de votre déjà belle carrière ?

C’est vraiment difficile à dire, car lorsque je regarde en arrière, j’ai le sentiment d’avoir eu beaucoup de chance. Chaque aventure était une étape. Chacune fut donc vraiment très importante. Cela dit, lorsque je termine de réfléchir à une collection, je pense directement à la suivante. Je regarde toujours vers l’avant en cherchant à évoluer. En fait, j’essaie de vivre le plus intensément possible. Mais lorsque je vois où je suis arrivé aujourd’hui, je réalise que le meilleur moment est certainement l’instant présent. Aussi, les trois ou quatre prochaines années seront très importantes. Parce que la marque doit se développer et que je suis à un moment où différentes directions s’offrent à moi.

Vous avez passé pas mal de temps à voyager et notamment à étudier les philosophies orientales en Inde et au Tibet. Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

(Un large sourire illumine son visage.) Un magnifique lever de soleil chaque jour, c’est quelque chose de très important pour moi. Si vous regardez, par exemple, les couleurs que j’utilise dans ma collection, ce sont pour la plupart des nuances d’orange et des tons chauds inspirés du Tibet. C’est une part de moi-même, de ma mémoire. Je pense être très connecté avec le monde.

Quelle est votre philosophie de la vie ?

Je crois qu’il est essentiel d’être impliqué à part entière dans ce que nous faisons. Aujourd’hui, plus que jamais, il faut être réceptif. Peu importe qui vous êtes et ce que vous faites, le plus important, c’est d’être en éveil et d’avoir l’esprit clair en toutes circonstances.

Vous côtoyez parfois les étudiants dans les ateliers de stylisme à Milan. Quels conseils leur donnez-vous ?

De travailler leur background, car les expériences personnelles sont très importantes pour comprendre ce qu’il faut appréhender dans le présent. Je les invite aussi à apprendre l’humilité et, en même temps, je leur suggère d’être ouverts sans être trop influencés. Il faut s’accorder des moments de réflexion pour se remettre en question tous les jours. Et puis, parler et sentir pour savoir comment interagir. Mais j’insiste surtout sur ces temps de pause, car rien ne se crée dans la précipitation.

Un dernier mot pour vous définir ?

La recherche de l’essentiel. C’est très important dans chaque chose et dans chaque action. C’est une grande part de ma vie et de ma personnalité. Parce que je cherche aussi du sens dans tout ce que je fais pour pouvoir encore creuser plus loin.

Propos recueillis par Cuong Nguyen

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