Dans la famille  » labels respectables-créateurs pointus « , je demande Rodier et Jérôme L’Huillier. Entre le king du tricot chic et le prince de la féminité stylée, le lien est fort.

Quel fil d’Ariane, quelle filiation artistique peut-il y avoir entre le label Rodier, roi de la maille bon chic et Jérôme L’Huillier, sémillant créateur de mode amoureux de la féminité vraie? Davantage que vous ne le pensez et c’est sans doute cette osmose inattendue mais épatante qui permet, telle la potion magique d’Obélix, de requinquer les  » bonnes vieilles marques  » et de leur conférer une franche vigueur tant créative qu’économique ( lire aussi notre article  » Opération coup de jeune  » en pages 64 à 68).

Depuis quelques saisons, en effet, le lifting des griffes vénérables a la cote. Un premier vent de fraîcheur avait soufflé sur les grandes maisons de mode du genre de Dior, Givenchy, Hermès, Céline, Gucci, Louis Vuitton, Lanvin, Nina Ricci et  » tutti quanti « . Le deuxième alizé caressa les représentants du vêtement ou/et de l’accessoire haut de gamme. Les Burberry, Bally, Cacharel, Lacoste, Marks & Spencer, Jaeger, etc. réchauffent en effet à ravir leurs  » vieux os  » au feu inspiré de jeunes bretteurs du style comme l’Italien Roberto Menichetti, les Anglais Clements-Ribeiro, Julian Mac Donald, Matthew Williamson, Bella Freud ou encore les Français Christophe Lemaire et… Jérôme L’Huillier. Ce dernier, Breton têtu mais pas teigneux, né il y a 40 ans sous le signe du Capricorne, tisse depuis deux ans une créative complicité avec Rodier, vénérable maison née en 1853 et sacralisée, entre autres, par sa laine  » Kasha  » très moderne pour l’époque (1914) et son incontournable twin-set (1956). Défenseur de l’élégance chatoyante, ambassadeur des imprimés percutants et des jeux graphiques insolites, complice de cette allure fraîche et impertinente qui résume si bien la Parisienne, L’Huillier sait conjuguer la mode au féminin tant pour sa ligne éponyme que pour Rodier. Au king du tricot chic, le styliste a offert un printemps-été 2001 harmonieux et joyeux. Fuyant le maximalisme gratuit et attentif à une (r)évolution douce du label Rodier, Jérôme L’Huillier a préféré des silhouettes aux contours nets, aux proportions impeccables, au luxe invisible et au glamour simple. Côté textures, la maille, le lin, la mousseline, le crêpe de soie et la laine légère mènent la danse alors qu’au rayon des couleurs, le noir et le blanc vibrent en duo pendant que les teintes punchy s’entremêlent dans une farandole infinie.

 » Selon moi, tant la puissance créative de Paris que l’explosion d’une mode féminissime n’ont jamais été occultées. Simplement, une certaine presse a prétendu le contraire durant quelques années et est bien obligée, aujourd’hui, de célébrer un retour de valeurs qui n’ont jamais disparu, sourit Jérôme L’Huillier. Et dire que tout ce ramdam fut engendré par les Américains qui essayaient – la mode est un business comme les autres -, d’enfoncer la mode parisienne au profit de la leur, faisant ainsi rimer nationalisme et affairisme. Seulement voilà: même s’il y a du talent outre-Atlantique, on n’y retrouve pas ces pulsions inventives, ce bouillonnement typiquement parisien.  » Paris, où l’originalité est érigée comme un art, où le cosmopolitisme met l’humanité en polychromie et où l’enchevêtrement des cultures génère une fantastique énergie créatrice, a aussi vu naître le label  » Jérôme L’Huillier  » en 1990 (1).  » J’ai été l’un des premiers à proposer une mode ultra-féminine avec de la couleur et des motifs à foison, déclare le créateur. Aujourd’hui, tous les gros labels agissent de même et les gens oublient – à commencer par cette satanée presse de mode hexagonale -, les designers français  » poids moyen  » comme José Lévy, Isabel Marant, Xuly Bët, Corinne Cobson ou moi-même qui sommes toujours restés fidèles à un esprit de mode cohérent et vecteur d’avant-gardisme.  » Sincère et réaliste sans être réellement amer, Jérôme L’Huillier reconnaît que son partenariat avec une maison telle que Rodier lui permet aussi, outre une manière supplémentaire et intéressante d’appréhender la mode, de pouvoir mettre suffisamment  » de beurre sur sa tartine  » afin de financer et faire avancer sa marque perso.  » La femme L’Huillier et la femme Rodier de l’été 2001 sont différentes, bien sûr, remarque le créateur. Mais, sur le plan du chic désinvolte, de la coupe en biais complice du corps en mouvement ou des camaïeux de couleurs par exemple, elles s’accordent volontiers des points communs. « 

Avant Rodier, le sieur L’Huillier, qui a aiguisé ses premières aiguilles chez Junko Shimada, Givenchy et Balmain, a oeuvré comme directeur artistique auprès de Georges Rech et sa collection  » Unanyme « , Shiseido, L’Oréal, etc.  » Cela dit, ma mission créative chez Rodier ne va pas parrainer ma propre ligne, poursuit ce boulimique du travail. Ce sont là deux missions différentes. Chez Rodier, la subtilité consiste à mélanger une verve créative pointue avec les coutumes de la maison et au-delà, les habituées de la griffe. Cela aurait été une erreur de bousculer la clientèle fidèle dans un désir de renouvellement radical et brutal. Avoir deux ou trois fashionistas qui s’égosillent de bonheur devant un ancien label totalement revisité puis aucune arrivée en masse de la clientèle, c’est l’échec assuré. « 

Si cette osmose progresse parfois trop lentement au goût de Jérôme L’Huillier, le regain d’intérêt pour Rodier, marqué chaque fois davantage d’une saison à l’autre, représente un bel encouragement pour celui qui dit créer pour toutes les femmes, peu importe leur identité physique, du moment qu’elles sachent pétiller dans leurs vêtements.

Alors,  » elles assurent toutes en L’Huillier « ? Ben justement, ce slogan très eighties, genre amazone carriériste piétineuse de mâles, ne botte pas le créateur.  » Au sein de Rodier comme pour mes propres collections, je tiens à proposer une tout autre image de la femme contemporaine, souligne Jérôme L’Huillier. Sans chichis ni chipotages de chiffons, certes, et bien que pourvue d’une féminité authentique, la femme qui me sert de modèle ne se déguise guère et ne triche pas sur son allure.  » Ou si elle le fait, le geste reste très fair-play et doté de la plus grande élégance.

(1) Le label  » Jérôme L’Huillier  » compte aujourd’hui plus de 76 points de vente dans le monde.

Carnet d’adresses en page 168.

Marianne Hublet

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