À tout juste 24 ans, la Tunisienne Hanaa Ben Abdesslem a mis la planète mode à ses pieds. Un rêve de petite fille devenu réalité pour celle qui est aussi le visage de Lancôme dans le monde entier. Rencontre avec une top engagée.

Lorsqu’elle fait son entrée, vêtue de noir de la tête aux pieds, dans le petit salon privé d’un hôtel bruxellois où elle nous a donné rendez-vous, il y a d’abord ces jambes interminables toutes gainées de cuir dont on a du mal à détacher le regard. Son sourire aussi, qui fait joliment pétiller ses yeux marron. Sans oublier ce teint plus parfait encore au naturel que sur les images glacées des magazines. Ce jeudi-là n’est pas un jour comme les autres pour Hanaa : la jeune femme s’apprête à fêter ses 24 ans, entre deux interviews et un shooting qui a laissé de fines traces de khôl le long de ses cils.  » Hier, j’étais Cléopâtre, glisse-t-elle, amusée. Pour un défilé comme pour une séance photo, on joue un rôle. La plupart des gens pensent, à tort, que pour être mannequin, il suffit d’être belle et d’avoir de jolies formes. Mais nous ne sommes pas des miss ! Les filles qui réussissent ont de la personnalité.  » Celle qui n’a pas hésité à couper net ses longs cheveux bouclés pour se faire un visage sait mieux que personne ce que s’accomplir veut dire. Car de la maison familiale de Nabeul au catwalk de Jean Paul Gaultier, le chemin était loin d’être tout tracé.

Est-ce vrai que toute petite déjà, vous aviez l’habitude de vous déguiser et de défiler main sur la hanche et sur la pointe des pieds ?

J’adorais ça ! Depuis l’âge de 5 ans et encore maintenant, je fais d’ailleurs toujours le même rêve : je suis habillée comme une ballerine, les flashes des photographes crépitent autour de moi. En Tunisie pourtant, personne ne connaît la danse classique. J’avais certainement dû voir des images à la télévision. C’est d’ailleurs de cette manière-là aussi que je suis tombée presque par hasard sur un défilé de Jean Paul Gaultier. Je suis restée scotchée. Mais c’était décidé : je voulais me retrouver sur les podiums, être mannequin !

Vos parents se sont-ils facilement laissé convaincre ?

Pas du tout ! Je viens d’une famille plutôt traditionnelle. À leurs yeux, faire des photos, défiler, ce n’était pas un métier. En Tunisie, ce n’était même pas une profession reconnue. J’ai fait en sorte que ce le soit aujourd’hui. Après mes études secondaires, je me sentais vraiment différente des autres filles. Ma maman s’est bien rendu compte que j’étais mal dans ma peau et mes parents ont accepté que je participe à un programme de télévision au Liban qui s’appelait Mission Fashion, une version locale de l’émission américaine Project Runway. C’est à la suite de cela que Sophie Galal, mon manager, m’a repérée et emmenée en Europe.

Entre-temps, vous aviez pourtant entrepris des études d’ingénieur en génie civil…

Dans ma famille, on est dans la construction depuis plusieurs générations. Et j’ai toujours été bonne en math. Une fois encore mon père était un peu inquiet : il ne me voyait pas diriger une équipe de maçons mais il m’a laissée me lancer. Lorsque ma carrière de mannequin a vraiment démarré, j’ai dû abandonner : pour percer dans ce métier, il faut opérer les bons choix et surtout accepter de beaucoup travailler. Dans le quartier d’où je viens, tout se sait. Quand les voisins ont appris que je lâchais mes études d’ingénieur pour tenter le mannequinat, j’ai fait ce qu’il fallait pour leur prouver que ce n’était pas une dégringolade mais une ascension. Aujourd’hui, je reçois tous les jours des mails de jeunes Tunisiens et Tunisiennes qui me disent :  » Hanaa, tu m’inspires.  »

Comment gérez-vous ce statut de role model ?

Je retourne dès que j’en ai l’occasion en Tunisie. Je suis la porte-parole d’Esmaani (photo ci-dessus : cette ONG fondée par une Belge distribue des livres et des jouets aux enfants dans les hôpitaux) et je travaille aussi en étroite collaboration avec Yeda, une association qui aide les jeunes de 14 à 28 ans à prendre confiance en eux et à trouver les ressources nécessaires pour développer des projets culturels, qu’il s’agisse de mode, de danse ou de théâtre.

Le virage plutôt conservateur pris par la Tunisie après l’élection de l’assemblée constituante du 23 octobre 2011 vous inquiète-t-il ?

C’est loin d’être gagné, en effet. Après le printemps arabe, nous rêvions de démocratie. Une démocratie qui donne aujourd’hui la parole et surtout le pouvoir à des groupements extrémistes qui limitent les libertés, brisent les énergies, détruisent les espoirs. Mais comme beaucoup de jeunes Tunisiens, je suis convaincue que nous ne devons pas nous laisser abattre. Les choses vont changer pour un mieux. Même si cela doit prendre du temps. La crise économique malheureusement ne joue pas en notre faveur.

Que répondez-vous à ceux qui s’étonnent que l’on puisse exercer le métier de mannequin et être musulmane ?

Je ne connais pas beaucoup de tops qui soient obligées de dire si elles sont catholiques, orthodoxes ou athées ! Bien sûr, il y a des choses que je ne fais pas : la nudité dans les photos, c’est totalement hors limites. Je suis tunisienne, oui. Arabe, oui. La religion, cela doit rester un choix et une affaire personnelle. Je ne vois vraiment pas pourquoi moi, je devrais en avoir des complexes.

Lorsque vous êtes arrivée à Paris, en 2011, pourquoi vous êtes-vous coupé les cheveux très, très courts ?

Avant tout, c’était une nécessité professionnelle : je devais dégager mon visage pour le rendre plus expressif. Ça a été un vrai choc pour ma maman : car les cheveux longs, bouclés, pour une femme arabe, c’est le symbole même de la beauté orientale. Maintenant, elle adore ! Mais cela marquait aussi mon entrée dans ma nouvelle vie. Longtemps, j’ai eu l’impression que mon existence était déjà toute tracée : j’allais terminer mes études, me marier, avoir des enfants. Aujourd’hui, j’écris ma propre histoire.

PAR ISABELLE WILLOT

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content