Aujourd’hui, près d’un livre sur quatre est spécifiquement dédié à la génération montante. Un beau résultat, porté par les licences et les blockbusters américains, qui cache toutefois d’autres réalités : pour les auteurs et éditeurs belges, chaque bouquin reste un défi.

Afficher une bonne santé économique aujourd’hui ? On pourrait se croire dans un récit fantastique pour ados – de ceux qui cartonnent – tant l’info paraît improbable. Et pourtant, en cette fin d’année, la littérature jeunesse peut se vanter d’une croissance en hausse, avec un demi-milliard d’euros de chiffre d’affaires rien qu’en France et, selon une étude de l’institut d’analyse des marchés Gfk publiée récemment, 74 millions de volumes écoulés en douze mois. Cela représente 24 % de l’ensemble du secteur, soit un bouquin sur quatre. Des observations auxquelles on peut ajouter une progression de 9 % pour les seuls romans destinés aux juniors, à côté des recueils illustrés, des BD et autres ouvrages pratiques. Une performance de taille alors que le genre, en soi, existait à peine il y a cinquante ans. Et que les 12-18 ans, dans l’inconscient collectif, semblent infiniment plus intéressés par leur smartphone ou les statuts qui circulent sur Facebook que par le dernier best-seller en librairie ( » une libraiquoi ? « ). Un paradoxe qui s’explique, mais qui fait sourire et, parfois, grincer les dents des auteurs ou éditeurs belges francophones :  » Le roman jeunesse, c’est une gageure. Les conditions pour ceux qui écrivent sont moins bonnes qu’en BD, c’est presque du bénévolat avant la vente « , exposent les premiers.  » C’est un domaine vraiment à part, renchérissent les seconds. Il faut non seulement convaincre les lecteurs, les distributeurs et les boutiques, mais aussi les professeurs, devenus un maillon essentiel. Et faire preuve de beaucoup d’imagination et de sueur pour qu’au final un titre existe.  »

LA RÉVOLUTION HARRY POTTER

La littérature pour les kids ne date évidemment pas d’hier. Si la première publication directement destinée à être lue par un enfant remonte à 1699 – Les aventures de Télémaque, par Fénelon -, le genre a connu son âge d’or au sortir de la Seconde Guerre mondiale, parallèlement aux bandes dessinées. Des maisons comme la Bibliothèque Rose – qui ne deviendra Verte qu’en 1971 – et L’Ecole des loisirs connaîtront alors leur période la plus faste, en s’éloignant de la sphère pédagogique pour peu à peu se concentrer sur la lecture plaisir, elle-même reconnue d’utilité culturelle par le corps enseignant. Le phénomène sera en profonde décroissance dès les années 80, avec l’explosion d’autres activités de délassement pour adolescents, des jeux vidéo au cinéma en passant par le numérique, et le désintérêt de plus en plus criant pour les livres.

Puis débarqua Harry Potter et surtout, son adaptation par Hollywood : l’engouement énorme pour les volumes de J.K. Rowling renforça l’attrait pour cette franchise forte de huit films, qui eux-mêmes réalimentèrent l’intérêt pour les versions papier du récit, devenu culte ! Un cercle rémunérateur plus que vertueux qui fait désormais office de norme dans le septième art, les blockbusters visant dès lors tous les ados et puisant allègrement leur inspiration dans les succès récents de la littérature anglo-saxonne : Hunger Games, Divergent, Twilight, Labyrinthe ou récemment Nos étoiles contraires… Autant d’aventures parues en français chez Nathan, Pocket Jeunesse ou Gallimard, dont les ventes sont boostées par leurs déclinaisons sur grand écran, bénéficiant elles-mêmes de colossaux plans marketing. Parallèlement, le phénomène des licences a lui aussi envahi la discipline : la fameuse Bibliothèque Rose chère à la Comtesse de Ségur publie aujourd’hui essentiellement des produits dérivés d’animations ou de programmes télé – cette année, Violetta, la série musicale de Disney qui fait le buzz chez les fillettes,a tout raflé ! Face à cette déferlante qui ne profite qu’à quelques-uns, les éditeurs plus modestes ou locaux n’ont, eux, pas d’autre choix que d’essayer d’investir à fond dans leurs ouvrages et ceux qui les ont rédigés… Les bibliothèques et écoles du pays deviennent alors leur planche de salut.

STRATÉGIE D’APPROCHE

 » Ceux qu’il faut convaincre, ce sont les profs « , insiste Xavier Vanvaerenbergh, fondateur et homme-orchestre de Ker éditions, dont le catalogue, adulte et pointu, s’est enrichi dès les origines, il y a deux ans, d’une collection pour la nouvelle génération.  » Ce n’était pas vraiment mon intention, mais Frank Andriat (NDLR : une des rares stars belges du genre) m’a proposé ses excellents Bob Tarlouze, puis certaines personnes que j’admirais étant môme ont accepté de me rejoindre, comme Marie-Aude Murail ou Yak Rivais, qui m’a permis de ressortir son Mouche et la sorcière. Or, en Belgique, il n’y a quasiment aucun relais médias pour ce type de produits. Ce sont les enseignants qui sont des créateurs d’habitude… et de lecteurs. Si l’un d’eux est convaincu, ça peut représenter jusqu’à 200 exemplaires commandés.  »

Le défi consiste dès lors à pénétrer dans des sphères habituellement interdites au commerce, en multipliant les stratégies comme se faire une place dans le prix Versele, le plus grand et plus jeune jury littéraire du monde, ou tenter de convaincre autant, voire plus, les bibliothèques que les librairies. Certaines maisons, dont Mijade, née en 1993 et désormais très bien implantée, multiplient aussi les fiches de lecture et les rencontres avec les auteurs. D’autres, telles que Ker éditions, développent un véritable plan d’accompagnement autour de chacun de leurs titres. Un suivi adapté et personnalisé, allant jusqu’à la fabrication de manuscrits exclusifs par et pour les élèves. Bref, le secteur se porte bien, mais ses petites mains souquent ferme.

PAR OLIVIER VAN VAERENBERGH

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