Elle est la plus classique, mais aussi la plus délicate et complexe des fleurs. Les parfumeurs en explorent les multiples facettes, à la recherche d’accords résolument modernes.

Aentendre les parfumeurs, elle incarne la parfaite partenaire. Elle sait rester gracieuse et naturelle, se mélanger à toutes sortes d’autres notes et, quand elle le veut, déployer ses artifices, affirmer sa personnalité. La rose quitte alors sa robe pastel pour se vêtir de rouge. L’amoureuse romantique se mue en femme fatale.  » Cette fleur possède 450 molécules odorantes différentes. C’est une matière première des plus complexes, dont on peut extraire une multitude de facettes « , remarque Annick Le Guérer, anthropologue et philosophe, auteure de Parfum. Des origines à nos jours (Odile Jacob).

La rose se cultive depuis l’Antiquité. Les Egyptiens, à l’époque des pharaons, étaient déjà fans de son odeur. Aujourd’hui, très rares sont les fragrances féminines qui ne possèdent pas une note rosée dans leur composition.  » La rose est à la parfumerie ce qu’est la femme à la peinture, c’est un sujet infini « , confie sans rougir Frédéric Malle. Avec Une rose, conçu par le nez Edouard Fléchier sur une base de truffe, le plus chic des éditeurs de parfums a réussi à donner à ce grand classique une nouvelle allure. Ce qui n’a rien d’évident. Car si cette fleur se conjugue à des tas d’accords,  » placée au centre, elle peut donner une odeur poudrée très rétro qui tire vers le vieillot « , pointe Kilian Hennessy, fondateur des parfums By Kilian.

Une belle fragrance à la rose reste donc un défi pour tous les créateurs. Mais le jeu en vaut la chandelle. Il n’y a qu’à constater le nombre de grands classiques qui ont mis la rose à l’honneur : Nahéma de Guerlain, Paris d’Yves Saint Laurent (qui fête ses 30 ans cette année), Trésor de Lancôme, Stella de Stella McCartney et, plus étonnamment, l’Eau d’Issey d’Issey Miyake. Chloé, créé par Michel Almairac en 2008, s’est dernièrement imposé dans le top 20 du marché. Ce jus fait partie des dernières roses modernes. L' » idée de promenade dans une roseraie  » trottait dans la tête d’Almairac depuis des années.  » Cet accord est le résultat de vingt ans de travail « , avoue-t-il. Pour donner du caractère fruité et pétillant à la rose, le nez l’a associée à des notes de litchi et de poire, gages de fraîcheur.

Les nouveautés de la saison suivent la même voie. Trésor Midnight Rose utilise des notes de framboise acidulée pour obtenir une rose  » rock et féminine « . Chez Balenciaga, l’Eau rose joue également la carte de l’envolée fruitée. Domitille Bertier (IFF), coauteur du jus avec Olivier Polge, explique :  » Pour nous éloigner du côté vieille Anglaise de la fleur, nous avons associé une essence de rose turque à un effet vert de poire et fruits rouges.  » De son côté, c’est en associant la pivoine à une note rosée qu’Aurélien Guichard a trouvé la touche qu’il cherchait pour l’Eau for Her de Narcisco Rodriguez.  » Olfactivement, la pivoine s’apparente à un pétale de rose fraîche, mais elle est plus aérienne, explique le nez de Givaudan. C’est une fleur généreuse mais pas opulente qui nous permettait de nous inscrire dans la lignée de For Her.  » Ce chypré transparent, lancé il y a tout juste dix ans, est devenu un des incontournables du marché alors que la marque Narciso Rodriguez était inconnue des Françaises.

Mais le succès reste imprévisible, à l’instar du parfum lui-même, qui, comme l’explique Serge Lutens, est avant tout une matière organique.  » Quand on crée une fragrance, on a une idée de départ, et puis les choses bougent et évoluent. Le parfum va vous emmener vers des routes insoupçonnées.  » La dernière création de Serge Lutens pourrait être le titre d’une nouvelle : La Fille de Berlin raconte le goût du créateur pour les extrêmes et rappelle sa passion pour l’expressionnisme allemand, dont Berlin fut la capitale dans les années 20 et 30.  » C’est l’histoire d’une fille qui traverse ses propres ruines, elle ne baisse pas la tête, elle avance « , explique-t-il. Son parfum évoque une beauté colérique, un peu surannée, à l’image de sa rose capiteuse en overdose. Les femmes se laisseront-elles séduire par ce roman olfactif, ou craqueront-elles plutôt pour le n° 14 Rossetto, la nouvelle essence exclusive de Prada ? A travers cette composition, la parfumeuse Daniela Andrier a voulu exprimer une féminité d’aujourd’hui.  » Rossetto pourrait évoquer une période révolue par la présence d’ingrédients classiques que sont la violette et la rose, mais les accords synthétiques de framboise et de rouge à lèvres lui confèrent une vraie sensibilité moderne « , explique-t-elle.

Pour renouveler leur approche, les maisons de parfums regardent également vers l’Orient. La rose s’associe de plus en plus à l’oud, cette essence exceptionnelle longtemps considérée comme aussi chère que l’or. Son odeur vient d’une résine aromatique au parfum légèrement fumé et balsamique, recréée dans les laboratoires avec des ingrédients de synthèse. Marie Salamagne, l’un des jeunes nez prometteurs d’IFF, a imaginé la Rose d’Arabie d’Armani Privé à la suite d’un voyage à Dubai où elle avait été très impressionnée par  » le sillage de rose qui émanait des hommes enturbannés « . Elle a ainsi conjugué la rose à de l’oud et à des notes boisées. Pour sa fragrance baptisée Rose Oud, Kilian Hennessy a, lui, travaillé une facette  » haschisch  » et la reconstitution d’une odeur de fumée proche de celle du bakhour,  » ces copeaux de bois d’ambre qui sont brûlés dans les maisons au Moyen-Orient « .

Si c’est à Grasse, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, que la fleur était principalement cultivée, les producteurs locaux ont perdu leurs champs au profit de programmes immobiliers, et la production s’est déplacée en Italie, puis en Egypte et au Maroc. Aujourd’hui, c’est en Bulgarie et en Turquie qu’elle est majoritairement distillée.  » C’est la fille facile de la parfumerie, la rose nous en donne pour notre argent, on peut l’avoir à 1 ou à 1 000 euros le kilo « , ironise le nez de Cartier Mathilde Laurent.  » Mais aucune n’égale la beauté de la rose centifolia qui a fait la réputation de Grasse « , estime Annick Le Guérer, qui prépare une exposition sur la fleur (*). Seul Chanel posséderait encore des champs de cette précieuse variété, mais ne l’utiliserait plus que dans des quantités infinitésimales, pour certains de ses parfums.

Telle est la vie des fragrances. Elles éclosent, puis évoluent au fil du temps, selon les matières premières disponibles ou autorisées. Mais la rose, elle, s’adapte et traverse les modes en continuant de véhiculer une certaine idée de la féminité.  » Si elle est autant utilisée, c’est aussi parce que son parfum fait partie des plus consensuels, pointe Annick Le Guérer. Or, plaire au plus grand nombre et à la terre entière, c’est aujourd’hui ce que toutes les grandes marques recherchent.  » C’est sûr, la rose, cette parfaite compagne, se mariera encore cette année.

(*) Au nom de la rose. Entre Orient et Occident, musée de Saint-Antoine-l’Abbaye, à 38 160 Saint-Antoine-l’Abbaye (Isère).

www.musee-saint-antoine.fr Du 23 juin au 11 novembre prochain.

PAR MARION VIGNAL / PHOTOS : FABIEN SARAZIN

 » UNE MATIÈRE PREMIÈRE DES PLUS COMPLEXES.  »

 » LA ROSE NOUS EN DONNE POUR NOTRE ARGENT.  »

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