A 42 ans, Roy Krejberg quitte en beauté la direction artistique de Kenzo Homme pour vivre désormais de nouvelles aventures vestimentaires. Portrait d’un créateur danois dont l’univers singulier se situe bizarrement entre Asie et Scandinavie.

Carnet d’adresses en page 107.

A priori, le moment peut sembler mal choisi pour dresser le portrait de Roy Krejberg. Depuis le 3 février dernier, le créateur danois a en effet été remplacé par Christophe Blondin (ex-Lanvin) à la tête de Kenzo Homme. Pourtant, les impératifs de la mode sont tels que Roy Krejberg est plus que jamais dans l’actualité de la prestigieuse maison. Son gentil fantôme rôde non seulement sur la collection masculine de l’été 2003, mais aussi sur la prochaine saison de l’hiver 2003-2004 dont il a présenté les silhouettes au début de cette année.

Au vu des bouleversements qui agitent encore et toujours la marque renommée, on pourrait facilement faire l’impasse sur le travail de ce Danois discret. Malheureusement, ce serait faire affront à la justesse et à la poésie de ses dernières collections imaginées pour Kenzo. Jouant sur une certaine idée de la nonchalance raffinée, l’été 2003 selon Roy Krejberg est l’une des interprétations les plus percutantes du calendrier des défilés masculins. L’air de rien, ses silhouettes naviguent intelligemment entre élégance et décontraction, pureté et séduction, sur fond de souvenirs jalousement gardés.  » La collection évoque le bonheur des choses vécues, précise le créateur danois. Un peu comme si l’on venait de sortir sa veste préférée de sa garde-robe. C’est l’idée d’une sensation de vécu avec tout le bien-être que cela suppose. La collection est partie d’une photo d’un mur craquelé que j’avais faite à Paris. Sur cette base, on a développé une série de cuirs patinés et de tissus un peu vieillis. Bref, il fallait que cela ne sente pas le neuf ! A vrai dire, il s’agit surtout de souligner l’idée selon laquelle il faut être à l’aise avec ce que l’on porte et avec ce que l’on est.  »

Doté d’un physique résolument scandinave, Roy Krejberg a sans doute puisé la sérénité qui l’habite dans les paysages danois de son enfance. La nature qui l’a vu grandir lui a inculqué un  » sentiment durable de liberté  » ( sic), une vertu qu’il cultive encore aujourd’hui dans son travail comme dans sa vie privée. Amateur d’espaces sauvages, le jeune créateur a dû pourtant s’acclimater à la frénésie des villes au cours de ses nombreuses expériences professionnelles. Le voyage et la rencontre des différentes cultures restent en effet le fil rouge qui parcourt, plus que jamais, son itinéraire professionnel.

Diplômé de l’Académie de la Mode et du Design au Danemark en 1981, Roy Krejberg débute sa carrière en terre natale chez la créatrice danoise Soes Drasbek. Il l’aide à lancer sa première ligne Homme et parcourt l’Europe à la recherche de tissus délicats. Après quatre années de bons et loyaux services, il quitte l’entreprise et collabore ensuite pour différentes marques (dont In Wear Matinique) qui le font voyager à travers le monde. Londres, Milan, Tokyo, New York, Hongkong… Les grandes métropoles se succèdent et le jeune styliste peaufine son apprentissage dans la maîtrise du style, des matières, des couleurs et des imprimés.

Au début des années 1990, Roy Krejberg débarque à Paris et participe au développement du prêt-à-porter masculin de Daniel Hechter. La maison Kenzo n’est pas loin et, en 1994, le Danois trentenaire sollicite un entretien avec le maître en personne, Kenzo Takada, fondateur de la marque.  » C’était un peu étrange, se souvient Roy Krejberg. Je ne parlais pas français et lui ne connaissait que quelques mots d’anglais, mais nous avons quand même réussi à discuter pendant une heure ! J’étais venu avec mon book et le courant est vraiment bien passé entre nous.  »

Roy Krejberg intègre donc d’emblée l’entreprise comme collaborateur free-lance, avant de devenir conseiller pour Kenzo Homme en 1996 et finalement directeur des collections masculines en 1999 suite au départ de Kenzo Takada à la retraite.  » J’ai appris énormément pendant ces huit ans et demi passés chez Kenzo, enchaîne le créateur. Ce qui m’a le plus frappé, en définitive, ce sont les similitudes qui existent entre les cultures japonaise et scandinave. Même si les deux pays sont extrêmement différents, il y a de nombreux points communs par rapport à la beauté et à la simplicité. Tout ce qui touche au design des objets quotidiens fait appel au même sens de l’esthétique et de la fonctionnalité. Est-ce lié au fait que les deux pays sont entourés d’eau et cultivent le même respect de la nature ? Peut-être. En tout cas, j’ai découvert au Japon un esthétisme proche du mien par sa pureté et sa simplicité.  »

Voilà sans doute pourquoi Roy Krejberg fut le protégé de Kenzo Takada jusqu’en 1999, année de la retraite de l’honorable fondateur. La vie de créateur ne sera ensuite plus exactement la même pour le jeune Danois, même s’il avoue aujourd’hui ne cultiver aucune nostalgie.  » J’ai vraiment adoré cette période de ma vie, poursuit-il. Evidemment, le départ de Kenzo m’a attristé parce que, jusque-là, je pouvais faire ce que je voulais. J’étais dans l’ombre et j’avais une liberté totale ! Lorsqu’il est parti, je me suis retrouvé sur le devant de la scène et j’ai dû apprendre à gérer cette célébrité relative. J’ai dû donner des interviews, assumer un nouveau rôle et cela a été un véritable choc pour moi.  »

Ce changement brutal de statut serait-il la véritable raison du départ de Roy Krejberg de la maison Kenzo ou le créateur danois a-t-il été débauché, in fine, par un autre grand acteur du luxe ? Sur cette question, ô combien délicate ! le principal intéressé laisse volontairement planer le mystère.  » Aujourd’hui, on imagine beaucoup de choses à mon sujet, plaisante-t-il. Pour l’instant, je ne peux encore rien dire, mais il est évident que j’ai plusieurs projets en cours. A vrai dire, je ne suis pas fatigué de Kenzo, même si le travail commençait à être un peu répétitif. J’ai plutôt envie de nouveaux défis et surtout d’un projet où la cohérence serait totale entre les collections, les boutiques et les campagnes de publicité. Tout doit être lié et cette nouvelle étape sera essentielle pour moi.  »

De là à imaginer que Roy Krejberg lancera, dans quelques mois, sa première collection Homme éponyme, il n’y a qu’un pas que les initiés veulent d’ores et déjà franchir.  » Tout est envisageable, poursuit le Danois. Mais vous savez, je pourrais aussi bien intégrer une grande marque de luxe ou me lancer dans la mode féminine. Sincèrement, il est encore trop tôt pour parler du futur, mais, en tout cas, je suis très enthousiaste.  » Cultivant habilement le mystère, le temps d’une demi-année sabbatique consacrée aux voyages et à la concrétisation de ses nouvelles ambitions, Roy Krejberg attend donc patiemment l’heure de son grand retour sur la scène des défilés. Mais pour l’instant, la nature et les grands espaces sauvages l’aident encore et toujours à cultiver ce  » sentiment durable de liberté « …

Frédéric Brébant

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