Austère et pourtant sublime, l’iris s’affirme comme l’ingrédient le plus précieux et le plus convoité de la parfumerie d’aujourd’hui. Rafraîchi par des muscs blancs ou uni à la rose et à la violette, il se révèle plus séduisant que jamais.

Rien n’est plus désirable que ce que l’on a du mal à apprivoiser. Pas étonnant donc que l’iris, dans toute sa complexité aristocratique, soit à la source des plus beaux sillages de l’histoire de la parfumerie. Pourtant, des jus comme Y (1964) d’Yves Saint Laurent, Après L’Ondée (1906) de Guerlain ou Iris Gris (1947) de Jacques Fath ont acquis leur statut mythique sans rencontrer toujours le succès commercial mérité. Chez Chanel, le N°19, construit autour d’un départ foudroyant de galbanum tanguant entre l’odeur acidulée de la cosse de petits pois et celle de l’herbe fraîche, soutenu par des notes de muguet, de jacinthe, de vétiver et bien sûr d’iris pallida, a marqué d’une pierre verte la généalogie des grands parfums de la maison. Imaginé en 1970 par Henri Robert, ce sacré numéro – le chiffre 19 faisant référence à la date de naissance de Gabrielle Chanel – fut aussi la dernière fragrance commandée et approuvée par la frondeuse Coco.

 » Le 19 a longtemps souffert de l’ombre que lui faisait le 5, reconnaît Jacques Polge, nez « in house » depuis 1978. Pour porter le 19, il faut avoir de la personnalité. C’est un parfum de connaisseurs. Quand on l’aime, on a envie de lui rester fidèle. Il en a d’ailleurs inspiré beaucoup d’autres – je pense à L’Infusion d’Iris de Prada ou Hiris d’Hermès, entre autres – qui se sont aventurés sur le territoire du 19. Nous avons eu envie de le revitaliser. En proposant une version – baptisée N°19 Poudré – qui reste 19 et qui en même temps présente un visage nouveau, notamment en travaillant l’accord initial avec des notes plus contemporaines. « 

Afin de couvrir, à l’avenir, ses besoins en absolu d’iris qu’elle espère croissants si le succès du N°19 Poudré est bien au rendez-vous, la maison Chanel s’est lancée dans un vaste programme de replantation de rhizomes pallida à Pégomas, dans le sud de la France. Un pari à long terme qui exige une patience et un investissement exceptionnels. En dépit – ou à cause ? – des demandes croissantes de la profession – l’iris s’invitant aussi bien dans les formules pointues des marques niches que dans les fragrances d’Yves Rocher ou de The Body Shop -, les fournisseurs historiques installés en Italie sont tentés de jeter le gant – les champs d’iris se délocalisant en Chine – ou d’écourter les étapes de production ( lire en page 26 ) du beurre d’iris au détriment de la qualité finale.  » Dans la mode, Chanel a intégré de la même manière les savoir-faire d’artisans spécialisés dans le travail des plumes ou dans la broderie qui sans ça risquaient de disparaître, rappelle Jacques Polge. Travailler l’iris de manière traditionnelle, c’est aussi un métier d’art.  »

Sur le c£ur d’iris plus que jamais présent du N°19 Poudré, rafraîchi par un nuage zesté de mandarine et réconforté par le moelleux amandé de la fève de tonka, est venue se greffer une nouvelle génération de muscs cotonneux.  » On n’a rien enlevé, insiste Christopher Sheldrake, directeur de la recherche et du développement des parfums chez Chanel. Mais on a balancé les choses différemment.  » Un liant ouaté a pris le pas sur les notes de tête terreuses et un brin racinaires du parfum d’origine.

 » Ces expressions un peu rêches que l’iris développe intrinsèquement, de plus en plus de maisons tentent de les gommer en pratiquant une distillation fractionnée, souligne Denyse Beaulieu, auteur du blog Grain de Musc et conférencière au London College of Fashion. La force de l’iris, c’est justement sa complexité qui lui permet de transcender tantôt des accords poudrés fleurant la violette, tantôt des odeurs froides, presque métalliques de linge frais, voire même une facette carrément chocolatée. Dans le N°19  » classique « , les senteurs vertes étaient très présentes. Si elles sont très appréciées par leurs fans, ces notes sont aussi très segmentantes. Les parfums à dominante verte sont, hélas, rarement très populaires. « 

Dans son Infusion d’Iris, lancée en 2007, Prada a dosé avec précaution le galbanum et le lentisque pour mieux exacerber la sensation fraîche de draps claquants au vent qui s’en dégage immédiatement.  » Tout ici parle d’odeur de linge propre qui glisse sur la peau, souligne Denyse Beaulieu. Le pitch – une invitation au voyage dans l’Italie profonde – est parfaitement respecté. L’iris, là-bas, c’est connoté propreté. On y glisse encore des sachets de poudre et des papiers parfumés dans les placards pour embaumer les vêtements. C’est un marqueur culturel très fort. « 

Pour Anne Pascale Mathy-Devalck, propriétaire de l’Antichambre, à Bruxelles, l’iris serait surtout une merveilleuse machine à remonter le temps. Lorsqu’elle ouvre, en 2009, sa parfumerie de niche, spécialisée dans la conception de fragrances personnalisées, elle choisit délibérément d’effacer les contours râpeux du capricieux rhizome dans sa base irisée pour célébrer son affinité naturelle pour la violette et le rendre ainsi plus accessible. La jeune femme en fait aussi l’ingrédient phare de La Mémoire Retrouvée, l’un des jus signature de sa maison qui ressuscite le parfum disparu de sa grand-mère.  » L’iris donne du piquant, un petit côté pointu, même, au parfum qu’il habille avec un certain cachet, justifie Anne Pascale Mathy-Devalck. Pour moi, il reste associé à des senteurs de mouchoirs en tissu et de rouges à lèvres à l’ancienne que l’on trouvait dans les sacs à main. Pour d’autres, il évoque le talc, le propre, la crème de corps pour bébé. Mais dans les deux cas, on a affaire à des odeurs régressives et réconfortantes. « 

Loin d’être jugées désuètes, les senteurs des fards d’autrefois inspirent de plus en plus les parfumeurs modernes.  » C’est l’une des grandes tendances aujourd’hui, confirme Denyse Beaulieu. Rose Bertin, la modiste de Marie-Antoinette le disait déjà au XVIIIe siècle. « Il n’y a de nouveau que ce que l’on a oublié. » Et les odeurs dites cosmétiques cartonnent.  » Comme si, derrière ces nouvelles formules teintées de rose, d’iris et de violette, flottait l’ombre tant désirée d’un parfum d’éternité.

PAR ISABELLE WILLOT

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