Quand on est une jeune fille franco-brésilienne et que l’on est adoptée par une tribu d’Indiens de la jungle amazonienne, comment, après, vivre quelque chose d’aussi fort ? Créer des chemises blanches. Anne Fontaine a trouvé sa réponse.

Elle porte une petite robe volantée noire griffée Anne Fontaine sur son ventre arrondi – une troisième fille à venir en décembre prochain, ses cheveux sont longs, pas une trace de maquillage, des yeux bruns qui parfois brillent d’un éclat humide quand elle parle de  » sa  » tribu amazonienne mais très vite, elle s’excuse, elle le sait, elle parle beaucoup, d’arbres, de chemises blanches, d’idées qui n’attendent qu’à être développées, de la reforestation de la planète et du Brésil, surtout, de la Mata Atlantica décimée, dont il ne reste que 7 % de la superficie originelle, complètement ratiboisée par l’homme, mais qu’il faut replanter, de toute urgence, sous l’égide des Nations Unies et The Billion Tree Campaign, de ses racines qui sont là-bas, on ne se refait pas, même si aujourd’hui elle est mariée à un Français, habite en Normandie et y cultive son potager  » entièrement organique « , pour sa petite famille, elle ne veut que le meilleur, qui voudrait le contraire ?

L’INITIATION

Elle est née à Rio de Janeiro, le pain de sucre comme décor, un champ de vision qu’elle élargit, gamine, en faisant le mur de son école pour aller gambader dans la forêt voisine. Plus tard, à 18 ans, elle décide de voyager  » quelques mois  » à découvrir son Brésil.  » J’étais très militante, déjà, à l’époque, je voulais vivre une expérience avec les Indiens de la jungle amazonienne. Dans chaque village, il existe une maison pour que les tribus puissent y faire du troc. En arrivant là-bas, j’étais déçue : les Indiens qui s’y trouvaient étaient soûls, portaient des tee-shirts de foot et puis j’ai entendu un chant d’oiseau, quelqu’un m’a dit  » mon chef veut vous voir  » et j’ai alors rencontré de vrais beaux Indiens, avec des oreilles percées, des peintures sur la tête…  » Une invitation, trois nuits et trois jours de marche, un  » grand monsieur aux cheveux blancs  » pour l’accueillir, un baptême, la voilà adoptée par les Kanel,  » beaucoup de choses de ma vie d’aujourd’hui viennent de là « .

L’INTUITION

Retour à la réalité, un billet pour la France, le projet d’étudier la biologie mais une rencontre amoureuse et le destin qui change. Anne Fontaine  » n’en fait qu’à sa tête « , épouse l’homme, ne sait plus quand, il faudrait qu’elle regarde la date sur son alliance, découvre la vie d’une belle- famille  » dans le textile « , qui  » possède des usines et fabrique pour la couture, des chemises notamment « . Parfait : elle a  » toujours créé des vêtements « , voudrait  » sauvegarder ce savoir-faire  » en passe de disparaître – les temps sont durs,  » l’entreprise en difficulté « , on est au début des années 90. Elle a alors 22 ans, dessine  » très mal  » mais a des idées. Sa belle-mère a gardé un exemplaire de chaque chemise cousue par ses soins, pourquoi ne pas lancer une collection d’essentiels en blanc, pour la vitrine et en noir, dans les tiroirs. Une boutique rue des Saints Pères à Paris, 24 m2,  » un petit écrin de luxe  » dans lequel débarque Andy MacDowell,  » elle fut l’une des premières à acheter mes chemises et puis les Japonais ont adoré le concept, ils sont venus pour un partenariat, on a signé avec un groupe, on a eu du cash-flow, on a ouvert des magasins petit à petit.  » En 1997, Anne Fontaine traverse l’Atlantique, un bureau new-yorkais, des ouvertures en cascade et aujourd’hui,  » un peu partout dans le monde, nous avons 80 boutiques…  » Lesquelles, au départ, ont été pensées par l’architecte Andrée Putman,  » j’aime les femmes qui sont un peu en avance et elle m’a toujours impressionnée. Ma maison commençait à avoir un peu plus de maturité et de moyens, je voulais ouvrir mon flagship store à Paris et qu’elle le dessine.  » Viendra ensuite sa boutique spa, en 2007 : un magasin de 700 m2, rue Saint Honoré, bien trop grand pour ses seules chemises, transformé en un clin d’£il en espace bien-être –  » on ne peut être belle dans ses vêtements si on n’est pas belle dans sa peau  » – avec ligne de soins  » organiques  » basés sur les fibres, lin, soie, coton, bambou et l’huile de babaçu, pour la réminiscence brésilienne.

L’INVITATION

Aujourd’hui à Bruxelles, elle honore de sa présence son nouvel espace confié à Gabriel Kowalski,  » disciple d’Andrée Putman « , tous les codes y sont, avec cette  » galerie  » vitrée sur laquelle s’expose sa collection de cols, souvent volumineux, qu’il suffit de nouer, boutonner ou poser simplement sur ses chemisiers. Et que l’on peut agrémenter de bijoux, de sacs et de quelques pièces d’une garde-robe toujours construite autour de la chemise. Et d’une histoire. Cet hiver, par exemple, Anne Fontaine s’est raconté un amour à Deauville, un homme et une femme sur une plage, Claude Lelouch pas trop loin et les chabadabada qui vont avec. Tout est en noir et blanc, toujours, parce que  » c’est le ying et le yang, le bon et le mauvais, le jour et la nuit, j’ai besoin de cet équilibre, et puis je n’arrive pas à travailler l’étoffe si c’est rouge « .

Quand elle prépare sa collection, cela ressemble à ça, dans son studio à Honfleur, qu’elle a choisi comme pied-à-terre parce que c’est une ville d’artistes :  » Je passe une semaine enfermée, je dessine compulsivement, il faut que j’écoute de la musique, de la bossa, je suis quand même née au Brésil et à la fin de la semaine, j’ai 500 à 700 nouveaux modèles, après je dois faire un choix, n’en garder que 100, c’est le moment le plus dur. Parfois je travaille aussi sur le mannequin directement, je ne veux pas couper l’étoffe, juste épingler, j’ai toujours cette notion de non-gaspillage des choses, même quand je dessine, c’est sur une feuille de papier déjà utilisée…  » On en revient tout naturellement à son amour des arbres, de la forêt, du Brésil, de la Mata Atlantica amazonienne : ce 20 octobre, dans toutes les boutiques Anne Fontaine du monde, 50 % des ventes seront consacrés à la reforestation, via sa nouvelle fondation et The Billion Tree Campaign,  » on va lancer le premier projet avec cet argent. On travaillera avec les populations locales. Car il est facile de dire à un Brésilien de ne pas couper les arbres mais comment voulez-vous qu’il arrête si ses enfants meurent de faim ? ». Le juste retour des choses.

Carnet d’adresses en page 78.

ANNE-FRANÇOISE MOYSON

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