Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Irriguée par des milliers d’étudiants lui insufflant une vie trépidante, la ville espagnole de Salamanque se révèle particulièrement séduisante par son dédale de ruelles piétonnières taquinant les souvenirs du baroque et du troisième siècle avant Jésus-Christ…

La Plaza Mayor  » groove « . Ses trois cents ans d’existence n’en reviennent pas du spectacle : des centaines d’étudiants, déguisés et peinturlurés en costumes d’autrefois, ou en papillons d’aujourd’hui, fêtent la rentrée scolaire de l’automne. Une célébration se faisant ici plutôt dans une humeur baroque. Créée au xiie siècle, l’université de Salamanque est la plus vieille d’Espagne après celle de Palencia. L’une des plus impressionnantes aussi, avec son mur d’entrée façon citadelle interdite. Trente mille étudiants la fréquentent, auxquels s’ajoutent plusieurs milliers d’étrangers venus y apprendre la langue espagnole. Soit un cinquième environ de la population de la ville.

Salamanque célèbre la vie tout en exposant des trésors architecturaux qui dessinent le passé glorieux et multiculturel de l’Espagne. A commencer par cet espace impressionnant de la Plaza Mayor, c£ur de la cité et pouls de sa vie sociale, aussi élégante qu’une place Saint-Marc vénitienne. De son centre, cerné par les constructions jumelles, elle donne une impression d’immense cloître carré. D’autant plus inoubliable quand elle se laisse dorer par le soleil de fin d’après-midi. En parcourant ses arcades, on y décrypte les médaillons de chevaliers épiques ou de seigneurs de la guerre, collés aux façades construites en élégante pierre de Villamayor. Comme toute ville qui se respecte, Salamanque entretient sa mémoire, marie réminiscence du passé et pulsions du présent. Ce n’est pas pour rien qu’un magasin Zara est installé dans l’une des innombrables églises anciennes de la ville, à deux pas de la Plaza Mayor, dans la Calle Toro. Sous sa voûte, deux lustres géants nous assurent que le troisième millénaire n’est pas si loinà En tout cas à Salamanque !

L’ancienne nef est découpée en quatre niveaux aux matériaux transparents pour un résultat à l’esthétique culottée mais assurément dépaysante.

Bars et églises

Depuis les rives de la rivière Tormes, affluent du Douro, on découvre la vue que s’offrit le Carthaginois Hannibal au iiie siècle avant Jésus-Christ, quand il prit la ville connue alors sous le nom d’Helmantica. De cet endroit précis, le vieux Salamanque, nid haut perché, citadelle dominante, surgit au milieu de l’immense plaine pelée menant de Madrid à la frontière portugaise. Devant tant de beauté, on ne s’étonne pas que la vieille cité soit reprise au Patrimoine mondial de l’Unesco. On y pénètre par un dédale de rues encombrées qui mènent pratiquement toutes à cette curiosité architecturale qu’est la double cathédrale. Pas d’effets spéciaux ou de psychotropes ici, les deux énormes églises, la Catedral Vieja et la Catedral Nueva, sont bien acollées l’une à l’autre. Il faut alors goûter au plaisir de pénétrer sous une voûte qui se perche à trente mètres et se laisser bluffer par les énormes arc-boutants. Dans la Vieja, les chapelles privées autrefois réservées aux grandes familles sont greffées à la cathédrale publique. Au milieu de cet énormodrome, une enclave tout en stucs boisés garnie de sièges monumentaux accueillait les dignitaires religieux en concile. Le style roman embrasse le gothique et on reste pantois devant tant d’espaces sculptés. A ce plantureux édifice construit entre les xiie et xive siècles, les autorités ont ajouté une s£ur tardive : la Catedral Nueva, qui aura également mis deux siècles à grandir, entre 1513 et 1733. Le soir venu, dans la Pia y Daniel, menant à la Plaza Mayor, on flâne entre restaurants et étudiants en sortie permanente, débusquant par hasard une façade ornée de plusieurs étoiles de David. Vieille de plusieurs siècles, Salamanque constitue un exemple parmi d’autres d’une ville qui a compilé à la fois styles et cultures, à l’image de bien d’autres grandes villes d’Espagne. En dehors du centre, dans la ville contemporaine où les bâtiments sont relativement ternes et les rues monotones, se niche le superbe parc des Jésuites. Des allées d’oliviers et un jardin tiré au cordeau, dessinent des journées paisibles et réparatrices après des nuits autrement agitées par la ferveur étudiante. En accueillant quelques milliers d’étrangers parmi lesquels pas mal de Belges, Salamanque présente un profil différent de bien d’autres villes touristiques, en Andalousie notamment. Le mélange de bars et d’églises, étant ici, si on peut dire, une spécialité locale !

Après les cathédrales jumelles, le monumental couvent de San Esteban, l’iglesia de San Marcos et ses rondeurs romanes ou la superbe bibliothèque Casa de las Conchas, il faut aller voir le Museo de Art nouveau y Art déco, la Casa Lis, inauguré en 1995 (14, calle El Expolio. www.museocasalis.org). Déposé en contrebas des cathédrales dans une maison de style, le musée semble totalement incongru face aux murs où des visages de pierre vieux de plus mille ans s’effacent avec le temps. Une fois à l’intérieur, le luxuriant des périodes concernées, fin xixe et début du xxe siècle, est saisissant. Préciosité, calme et volupté sculptés dans les matériaux qui signent des objets comme ceux du célèbre René Lalique, des chryséléphantines – délicates statuettes de bronze et d’ivoire – ou plus étrange encore, cette mégacollection de six cents poupées de porcelaine au troublant réalisme magique. Deux mille cinq cents pièces au total et une plongée dans un monde délicat, précieux, presque onirique.

Philippe Cornet

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