A 26 ans, la belge Sandrine Collard chatouille les ondes avec un premier album aux mélodies minimalistes et aux textes délicieusement amers. Rencontre avec une artiste multiple qui a relevé, pour nous, le défi d’une séance de photos de mode.

Sandrine Collard aime brouiller les pistes. Violoncelliste, ex-critique de rock, photographe, auteur, compositeur, interprète, elle tâte aussi du clavier informatique et réalise volontiers ses propres clips vidéo. Insaisissable, elle a sorti, il y a quelques semaines déjà, un premier album baptisé « Je communique » où les sonorités très « années 1980 » disputent la vedette aux propos délibérément aigre-doux. Titres phares: « Le Coup sensass », « Cache-cache dans le noir » et « Les Marionnettes » audacieusement reprises du répertoire de Christophe. Leitmotiv : une certaine ironie désabusée enrobée de mélodies faussement naïves. Pour Weekend Le Vif/L’Express, cette jeune maman d’un garçon de 3 ans a accepté de jouer au mannequin d’un jour ( voir pages 26 à 31) et de répondre à nos questions en toute décontraction.

Weekend Le Vif/L’Express: Cette séance de photos pour notre magazine a-t-elle modifié votre regard sur le monde de la mode en général et sur la profession de mannequin en particulier?

Sandrine Collard: Je n’ai jamais voulu être mannequin mais je connais bien le milieu parce qu’un de mes bons amis est justement styliste. J’ai souvent défilé pour lui quand il était encore à l’école en Angleterre et je trouvais ça assez terrible parce qu’il était très dur avec les autres filles qu’il sélectionnait. Moi, j’étais à part, mais j’avais souvent le sentiment qu’il traitait les autres comme des morceaux de viande! Je dois avouer aussi que je n’ai jamais tellement aimé le monde de la mode. D’ailleurs, les explications des créateurs de mode au sujet de leurs vêtements me font souvent rire. Donc, je ne m’y intéresse pas vraiment. En plus, je n’aime pas faire du shopping, ce qui n’arrange rien au problème! Mais je sais que je devrais faire attention à mon image, surtout à cet instant de ma vie…

Il est vrai que l’image d’un artiste est devenue aujourd’hui presque aussi importante que sa musique, si pas plus…

C’est sûr et je m’en rends très bien compte. Donc, je devrais faire gaffe à mon image parce que là, je suis en train de faire une grosse erreur! Je m’habille encore avec des vieux trucs achetés aux puces il y a dix ansparce que je veux croire qu’il est encore possible, dans ce métier, d’être soi-même. Or, un ami chanteur me disait encorerécemment : « Sandrine, protège-toi! Dans ce milieu, c’est dangereux d’être soi-même ». La plupart des artistes disent en effet qu’il faut jouer un rôle. C’est presque impossible d’être soi-même. Sinon, on nous attaque là-dessus et ça se retourne contre nous. Mais bon, je me dis qu’il doit encore être possible de ne rien changer. D’ailleurs, dans mes textes, je raconte des histoires qui me sont assez proches. Donc, j’ai envie d’être moi-même. Honnêtement, je n’ai pas envie d’être une star. J’ai d’abord envie d’être reconnue en tant que musicienne. Je n’ai pas envie d’être une image.

Comment peut-on vous définir? Le mot « bidouilleuse » vous convient-il, pour reprendre un terme informatiquequi vous est cher?

Oui. C’est très bizarre parce que, au départ, j’étais plutôt prédestinée à devenir médecin, chirurgienne ou quelque chose dans le genre. J’étais une très bonne élève et j’avais vraiment envie de faire de grandes études. Malheureusement, j’ai subi quelques sales coups à l’école. J’en ai été fortement marquée et je n’ai plus supporté l’autorité. Je suis devenue quelqu’un d’autre, une espèce de paillasse et je me suis tournée vers des formes d’expression plus artistiques. J’ai nourri l’idée de faire des films et des documentaires. J’ai fait de la photo et puis j’ai commencé à chipoter sur un vieil ordinateur et à composer de la musique avec des vieux programmes. Mon album est né comme ça, un peu par hasard. C’était de l’amusement pur!

Précisément, votre album fait immédiatement penser à la musique électro-pop minimaliste des années 1980. La comparaison avec Elie et Jacno vous énerve-t-elle ou pas?

Cela me laisse indifférente parce que, au moment de la création de l’album, je n’y ai pas du tout pensé. A vrai dire, je n’ai pensé à personne, sauf peut-être à Kraftwerk. C’est vrai qu’il y a, depuis un an ou deux, un grand retour aux années 1980, tant dans la mode que dans la musique. Donc, on pourrait croire que c’est prémédité. Eh bien, non! Je dirais plutôt que ce n’est pas de bol pour moi! Parce que j’ai commencé à y travailler bien avant cette vague. Et comme un album, ça prend plein de temps, j’arrive un tout petit peu après les autres…

Venons-en aux textes de vos chansons. A la place du titre générique « Je communique », l’album n’aurait-il pas pu s’appeler « Souris puisque c’est grave »?

Ce n’est pas mal, ça! Mince, j’aurais dû y penser… Quel bon titre! C’est parfait parce que j’ai justement tendance à m’en sortir par l’autodérision. Dans la vie comme dans les chansons. Parfois, je me sens incomprise, non pas par les musiciens, les journalistes ou des amis qui ont bien capté le message, mais par les gens en général. Donc, effectivement, j’aurais pu prendre ce titre pour être plus explicite. Mais c’est déjà le titre d’une chanson de Chamfort, alors…

Le thème de l’angoisse du temps qui passe semble récurrent dans vos chansons. Auriez-vous peur de vieillir?

Ce n’est pas la peur de vieillir qui me hante, mais la peur de mourir. Je suis légèrement hypocondriaque. Chaque jour, je me réveille avec un cancer! D’ailleurs, je résiste toujours à l’idée d’aller chez le médecin, de peur qu’il ne m’annonce le pire. A vrai dire, je rêve de vieillir. Je me dis souvent: « Ah, si seulement je pouvais arriver à 35 ans, voire même à 50 ans! » Et quand je vois des vieilles personnes en rue, ça me fait carrément fantasmer! Je me dis: « Woaw! Quelle chance! Qu’est-ce que j’aimerais être à leur place!  » Mais j’ai toujours le sentiment que la fin est proche. Je ne sais pas d’où ça vient. Je dois être née comme ça! A 5 ans déjà, j’avais tellement peur de la mort que je voulais mourir. Depuis, je vis avec cette angoisse permanente et, depuis que j’ai un enfant, les choses ne font que s’amplifier. Cela dit, je crois que ma motivation à créer est sans doute venue pour vaincre cette peur de la mort et pour laisser des traces.

Le thème de la solitude est, lui aussi, très présent dans vos textes…

Oui. C’est très fort et c’est sans doute lié à ma peur de la mort. J’ai été phobique en fait. Une phobie de la solitude, surtout le soir. Avant, quand j’étais seule le soir chez moi, j’étais persuadée qu’il y a avait une présence. C’était vraiment affreux parce que je suis quelqu’un d’assez rationnel et tout d’un coup, je perdais complètement mes moyens. J’ai passé des nuits entières cachée sous mon lit, avec un couteau entre les mains. C’était un enfer! Et puis, on m’a aussi stressée par rapport à mon fils. On m’a dit: « Tu vas le traumatiser avec tes bêtises! ». Parce que, quand il est né, j’avais toujours ce problème. J’allais même dormir en dessous de son lit, persuadée que j’étais en sécurité. Je me disais: « Ils vont voir un bébé, ils vont faire demi-tour! » C’était affreux. Les rôles étaient inversés. C’est mon bébé qui me protégeait alors que j’étais sensée le protéger! Aujourd’hui, je vous rassure, ce n’est plus du tout le cas! Il faudra d’abord passer sur mon corps avant d’y arriver! En fait, j’ai suivi une thérapie de choc et je peux dire que ça a été la plus belle période de ma vie. Je me suis enfin retrouvée avec moi-même et j’en suis sortie beaucoup plus forte. Aujourd’hui, je suis devenue quelqu’un de beaucoup plus positif. Mais pour en revenir à l’album, je l’ai fait un peu dans cet état phobique-là. Donc le thème de la solitude était forcément récurrent…

Heureusement, il y a aussi un second degré plus libertin comme, par exemple, dans la chanson « Le GSM » où l’outil communicationnel se transforme en un « sex toy » pour corps solitaire…

J’ai toujours aimé faire du slalom dans l’écriture de mes textes. Je n’aime pas les choses trop évidentes et cela m’amuse donc de mettre, dans mes chansons, un réel double sens. Personnellement, je n’ai jamais compris pourquoi le sexe était si tabou. Donc, j’y travaille beaucoup. « Le GSM » en est un bel exemple…

Comment voyez-vous votre avenir de chanteuse?

Pour le moment, je travaille déjà sur un deuxième album et j’ai aussi un projet d’album pour enfants. Cela dit, je ne cherche pas à chanter à tout prix. Je préfère la musique avant tout et je peux très bien envisager de composer et d’écrire des textes pour d’autres personnes. Encore une fois, je n’ai pas envie d’être une star.

Propos recueillis par Frédéric Brébant [{ssquf}]

Sandrine Collard, « Je communique » (EMI).

En concert le 8 mars à la Soundstation de Liège (Rens.: 04 232 09 71).

« J’ai toujours le sentiment que la fin est proche. Je ne sais pas d’où ça vient. Je dois être née comme ça! A 5 ans déjà, j’avais tellement peur de la mort que je voulais mourir. »

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