Avec érudition et drôlerie, Juliette Nothomb nous livre chaque semaine ses recettes, tours de main et réflexions culinaires. Tout un art, brodé à petits points avec un humour bien de famille.

Je sais bien, Ô fidèle lecteur(trice), que vous n’attendez de cette rubrique que futilité et terre-à-terre pour délasser votre esprit repu des sujets graves que les médias vous prodiguent à l’envi. J’ai le fantasme égoïste, et surtout présomptueux, de partager avec vous, cette semaine et la suivante, mes réflexions profondes au sujet d’un point de linguistique comparée qui, s’il était abordé par les submentionnées, serait une source d’élévation intellectuelle pour les universités de Cambridge/Oxford et les VUB/ULB réunies.

Tandis que le flegmatique cuistot british arrose sa poêle d’un glug d’huile d’olive ou de brandy selon qu’il s’apprête à frire des veggies ou flamber des kidneys, le Belge gratifie ses choesels ou ses crêpes Suzette d’un schloek d’eau-de-vie ou de liqueur. Glug et schloek, simples synonymes de  » rasade  » dans leurs idiomes respectifs ? Pas sûr… Partant du présupposé que l’un et l’autre vocable s’appliquent exclusivement à un rajout de liquide ou de fluide, il me semble limpide que le mot  » glug  » découle d’un phénomène acoustique : le bruit de déglution, de  » glou  » que fait une bouteille lorsqu’on penche le goulot de celle-ci. Il s’agit donc d’un phénomène de pure physique, mesurable et vérifiable, d’une précision avec laquelle on ne blague pas. Cela n’est pas du tout le cas de notre schloek national dont la plage d’interprétation a des frontières d’un flou artistique consommé. Rappelez-vous donc que le Capitaine Haddock, lorsqu’il précise  » une larme, un soupçon  » de whisky, sous-entend qu’en fait il en désire un bon schloek ! En effet, schloek correspond phoniquement à la cascade qui jaillit hors de la bouteille, sans limitation quantitative ou temporelle. Ainsi, notre expression serait-elle hautement subjective face à l’objectivité du glug. Le schloek présente des propriétés quantitatives si élastiques que notre citoyen, avec l’indiscutable tempérance qui est son apanage, choisit parfois l’option synthétique en usant des diminutifs schloekske ou schloeschkes lorsqu’il tient à faire éclater au grand jour ses fort louables prérogatives de diététique.

L’espace typographique destiné à museler ma logorrhée mais aussi, et surtout, à conserver votre bienveillance à mon égard, m’interdisent de mener mes déductions plus avant ; aussi conclurai-je du haut de mon patriotisme irréprochablement objectif que notre schloek national est, sinon supérieur, tellement plus riche de nuances et d’extrapolations que son homologue d’outre-Manche muselé par la perfide, non pas Albion, maisà phonétique !

La semaine prochaine, ne manquez surtout pas le second épisode de votre palpitant feuilleton digne des Mystères de Paris :  » Clouche ou dollop ? Vertus comparées.  » Courez ventre à terre chez votre libraire dès vendredi prochain pour vous procurer votre hebdo préféré ! (Vous aurez remarqué le subtil argument publicitaire pour booster les ventes…)

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