Habiller le corps pour donner envie de le déshabiller. Voilà l’un des postulats de la mode. Et pourtant, l’idée de ce qui est érotique ou pas varie constamment. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Le 10 janvier dernier n’était pas un jour de Fashion Week comme les autres. A 10 heures du matin, J.W. Anderson présentait à Londres sa collection Homme, visible également en temps réel à Tokyo, en Vendée ou au fin fond du Texas via Grindr, le réseau social de speed dating gay aux 10,5 millions d’abonnés qui va tellement droit au but que l’étape rencard est souvent évacuée. Une collaboration inédite dans le milieu, que le créateur irlandais expliquait en ces termes :  » La mode est aussi sexuelle que ce genre de réseaux sociaux. En tant qu’êtres humains, nous sommes tous désirables aux yeux de quelqu’un… et nous cherchons à l’être davantage à travers le vêtement.  »

Ces propos d’un pragmatisme irréfutable (qui vont de pair avec ses colliers ras-du-cou en plastique façon SM) illustrent un nouveau rapport, de plus en plus spontané et, en même temps sophistiqué, entre la sphère fashion et l’érotisme.

Même si certains s’en offusquent, comme ces agents de mannequins qui voulaient, paraît-il, les empêcher à tout prix de défiler sur Grindr. Ou l’attaché de presse d’une maison française déclinant une interview sous prétexte que le mot  » sexy  » ne fait pas partie de son vocabulaire stylistique, contrairement à  » élégance  » et  » féminité « . A croire qu’en 2016, le chic et le sexe seraient encore antinomiques… La relation n’est pas si simple (hypocrite ?). Car non seulement les créateurs imaginent des lignes pleines de promesses érotiques (qui n’a jamais acheté un vêtement pour séduire ?) mais, aujourd’hui, nous pouvons mener une vie sexuelle hors normes grâce justement à des applications comme Grindr.  » Un petit ménage à trois n’a jamais fait de mal à personne  » : voilà le sexto tentant qui accompagnait la campagne Calvin Klein Jeans de l’été dernier, inspirée de Tinder. Une preuve que le rapport entre érotisme et mode est moins édulcoré, plus cru et moins hétéronormé que jamais.  » On visite tous des sites pornos, comme YouPorn et Pornhub, non ? « , lançait Nicola Formichetti, DA de Diesel, lors d’une fête à Londres, où une horde de drag-queens mesurant plus de 2 mètres faisaient une démonstration magistrale de voguing, cette danse urbaine née dans les années 70 dans les clubs gays new-yorkais.  » Donc, pourquoi ne pas annoncer sur ces sites ? C’est l’avenir ! « , renchérissait le créateur, faisant allusion à la campagne de sous-vêtements Diesel, lancée le lendemain sur ces deux plates-formes, parmi les plus visitées du monde.

SUBTILITÉ ET… PERVERSITÉ

On ne le sait que trop bien : le sexe fait vendre. Et ce, depuis l’époque où le dévoilement d’une cheville causait des émeutes. Car c’est par cette tension entre ce qu’on cache et ce qu’on dévoile – avec sa promesse provocante du strip-tease final, mais aussi avec le réconfort qu’offre le fait de ne pas encore être arrivé au point de non-retour – que la mode fascine. Demandez-le aux créateurs Anthony Vaccarello, Peter Dundas ou Olivier Rousteing, et vous obtiendrez la même réponse.  » Je fais des vêtements pour des filles qui sont fières d’elles et de leur corps, et qui se fichent complètement du regard d’autrui « , affirme Vaccarello, le roi des minirobes retenues par des liens, chargé de la ligne Versus de Versace. Preuve qu’aujourd’hui, pour être sexy, une femme n’a pas besoin de l’approbation du mâle hétérosexuel. Pour Rousteing :  » La femme Balmain déborde de puissance et de confiance en elle ; elle est sexy.  » Peter Dundas, chez Cavalli, va encore plus loin :  » Mon but est de créer des vêtements qu’on a envie d’enlever.  »

 » Les tendances changent chaque saison mais les chiffres d’affaires des marques achetées par les « femmes sexy » ne cessent de croître. Balmain, Anthony Vaccarello, Givenchy, Saint Laurent, Dolce & Gabbana et Zuhair Murad sont les créateurs qui marchent le mieux chez nous « , expliquait Silvano Vangi, directeur des achats femme de la plate-forme d’e-commerce Luisaviaroma.com, au site Business of fashion en mars dernier. Et pourtant, cet érotisme premier degré – encore aujourd’hui énormément influencé par l’image des femmes fortes des années 80, par les clichés d’inspiration SM de Helmut Newton et par le porno chic – devient, aux yeux de l’industrie de la mode, de plus en plus dépassé.  » Les gens se sont fatigués de cet excès, note Anthony Vaccarello. Ils ont choisi de se diriger vers des looks minimalistes, voire monacaux. Dans la mode, c’est souvent tout ou rien… à se demander s’il existe quelque chose entre l’ultrasexy et l’anti-sexy.  » Valerie Steele, conservatrice du musée du Fashion Institute of Technology, à New York (et auteure de Mode et érotisme. Les idéaux de la beauté féminine de l’ère victorienne à l’âge du jazz, non traduit en français), affirme que oui.  » Ce qui est intéressant aujourd’hui c’est que le sexe est présent dans la mode sous toutes ses formes, analyse-t-elle. Le nombre de tribus de style est tellement large qu’on peut tout voir (et tout acheter). Cependant, l’heure est à un érotisme plus subtil… mais aussi plus pervers.  » Les robes transparentes de soubrettes portées sur des vestes tailoring de Miu Miu, ainsi que celles de Simone Rocha, rose poudré mais décorées d’éléments en latex noir, en sont deux bons exemples.  » Au premier coup d’oeil, le rose évoque la couleur girly et innocente par excellence. Mais c’est aussi celle du plaisir sexuel… Ce n’est pas par hasard si au Japon on appelle les films pornos les films roses « , observe Valerie Steele.

SANS GENRES

Les zones dévoilées changent aussi, et après des saisons de jambes et de dos nus, cet été, c’est au tour des épaules et du ventre, découverts totalement ou partiellement. Chez Givenchy, il n’est dissimulé que par une mousseline de soie transparente sur des nuisettes – d’ailleurs pièces-phares de la saison, au cas où vous la trouveriez encore un brin prude (lire par ailleurs). Mais si vous cherchez le nec plus ultra du sexy en 2016, les mots clés sont genderless et androgynie. Pourtant, si rien ne vous titille plus qu’une garçonne en smoking ou qu’un éphèbe au visage angélique arborant une jupe avec fierté, sachez que vos goûts ne sont pas si modernes que ça !  » Rudi Gernreich était déjà adepte de la mode androgyne à la fin des sixties, influencé par le féminisme de la deuxième vague et par le mouvement de libération gay. Si, aujourd’hui, on voit des garçons en robe (NDLR : périlleusement courte, d’ailleurs, surtout lorsqu’ils ne portent pas de sous-vêtements) sur le podium de Rick Owens ou des filles habillées en menswear de la tête aux pieds chez Craig Green, ce n’est que le résultat du mouvement de libération de la communauté transgenre, soutient Valerie Steele. Pourtant, je doute que cette tendance dépasse un marché de niche. Après tout, très peu de gens sont suffisamment intéressés et courageux pour se lancer dans cette exploration de la sexualité à travers le vêtement. Pour la majorité, les genres strictement codés et les défilés au sexy 100 % manufacturé et 100 % désexualisé de Victoria’s Secret font l’affaire. » Rien de nouveau sous le soleil, alors ?  » Finalement, chacun définit le mot sexy à sa manière, et ce qui l’était il y a trois cents ans l’est encore aujourd’hui, précise Valerie Steele. C’est le cas des fétichismes du cuir, des souliers ou la fourrure, présents dans notre culture depuis des siècles… Alors que, très en vogue au XVIIe siècle, celui du lin amidonné a quant à lui disparu.  » Forcément, on n’érotise que ce qu’on porte.  » Par exemple, les vêtements de sport, qu’on voit de plus en plus sur les filles dans la rue. Ce look et ce qu’il transmet – l’illusion de santé, de temps libre, de confort et de soin de soi – est déjà en train de devenir le nouveau sexy. Et plus il y aura des garçons qui grandiront en voyant des femmes porter des baskets, plus ils les fétichiseront.  » La magie de la mode ?

PAR MARTA REPRESA

AUJOURD’HUI LE RAPPORT ENTRE ÉROTISME ET MODE EST MOINS ÉDULCORÉ, PLUS CRU ET MOINS HÉTÉRONORMÉ QUE JAMAIS.

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