En une expo et un bouquin, le photographe des Beatles et des Stones nous plonge avec bonheur dans la nostalgie des sixties. Salut les potins !

Juste à temps pour clore une année plutôt chargée en hommages et témoignages dédiés à l’An de grâce 1962, Jean-Marie Périer sort un livre entièrement consacré aux plus illustres noms du jazz et du rock anglo-saxon. Pendant sa courte mais faste carrière de photographe attitré des idoles des jeunes, Périer a incarné à lui seul l’£il d’une génération. Sans prétention, ses clichés ont marqué l’imaginaire collectif, des posters de Salut les copains aux moments captés dans l’intimité des plus grandes stars de la planète. Légende parmi les légendes du rock, il est de passage à Bruxelles pour une expo photo (1) et la promo de son dernier ouvrage, Rencontres (2). Et c’est bien de rencontres dont il est question, lors de cet entretien en toute décontraction autour d’un bon scotch. Pas blasé et certainement pas avare de partager quelques vieux souvenirs, Jean-Marie Périer se prête sans se faire prier au jeu de la nostalgie et déballe une hallucinante série d’anecdotes mythiques et d’histoires à tomber par terre.

Votre parcours professionnel démarre sur les chapeaux de roue : vous vous retrouvez du jour au lendemain à la suite des superstars du jazz à seulement 16 ans. Ça paraît inconcevable.

Pourtant, à l’époque, ça arrivait. Hélas, ça n’arrive plus. J’ai été engagé en cinq secondes. Je ne foutais rien en classe et mon père ( NDLR : l’acteur François Périer) m’emmène en vacances à Rome, où il tournait Les Nuits de Cabiria avec Fellini. Il lançait à tout le monde :  » Qu’est-ce qu’il va devenir, ce grand con ?  » Et quelqu’un lui a répondu une phrase typique des années 50,  » Quand on ne sait pas quoi faire de son fils, on le met à Paris-Match ! « . Il m’a proposé d’être photographe, j’ai accepté et c’était parti.

Et vous avez rencontré Daniel Filipacchi…

Par chance, celui qui me présente à Europe 1, c’est Daniel Filipacchi. Le mec qui amenait en France ce qui m’intéressait le plus au monde : le jazz. Il m’a dit  » OK, demain tu pars avec Miles Davis et Ella Fitzgerald « . En plein âge d’or, en 1956 !

Puis vient le service militaire de vingt-huit mois en pleine guerre d’Algérie, qui interrompt les années jazz…

À mon retour, Daniel me parle d’un  » petit journal sur la musique  » : Salut les Copains. On a commencé sur un tirage de 100 000 exemplaires, un an plus tard on était à 1,5 million. Il y avait des émeutes dans les kiosques. C’était unique au monde.

À tel point que ce sont les Beatles eux-mêmes qui sont venus vous chercher !

Oui, c’est délirant. J’avais entendu leur disque et, avec Daniel, on avait pensé  » Ceux-là, ils vont marcher « . Pour moi ce n’était pas encore Les Beatles, juste un groupe. J’ai eu la chance d’être avec eux pile au moment où ça démarrait. Après, on se connaissait et je n’avais plus qu’à les suivre. Les rapports étaient différents, c’étaient des histoires de gamins. J’avais 22 ans et eux 18. On était en train de vivre un truc incroyable, ils avaient un succès qui grandissait à une allure folle et moi aussi ; si je décidais d’emmener le groupe au bout du monde ou de repeindre une rue en jaune, c’était possible.

Vous ne vous êtes pas dit que les Beatles allaient casser la baraque et devenir un phénomène de société ?

Pas immédiatement. Ce qui était dur, c’était que je ne parlais pas bien anglais et qu’eux ne faisaient aucun effort ; je ne comprenais rien à leur accent cockney. Et ils n’avaient rien de bourgeois, c’étaient plutôt des prolos ! La toute première fois, on ne savait pas quoi se dire, ils étaient un peu gênés aussi. Alors on a déjeuné, puis on s’est rendus chez Anello & Davide pour acheter des pompes. Et dix minutes plus tard, la rue était bloquée à cause des gonzesses. Ils venaient à peine de sortir leur disque, j’ai pensé qu’il y avait tout de même un truc.

Et des années plus tard, vous devenez carrément leur photographe officiel.

On entretenait des rapports tout ce qu’il y a de plus normaux, on sortait ensemble, on était potes. Ils m’avaient engagé pour un an, pour les photographier pendant l’enregistrement de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Puis un jour, je me suis engueulé avec John – pas un caractère facile – et j’ai claqué la porte. Heureusement, je préférais les Stones. Les Rolling Stones, c’était autre chose. Surtout Mick, avec qui j’ai passé dix ans.

Vous étiez également présent dès leurs débuts…

Quand je les ai rencontrés, ils n’avaient encore rien enregistré et Brian Jones était encore leur leader. Il était aussi génial qu’absolument ingérable, je l’adorais. Ensuite, je n’ai plus quitté les Stones, j’étais là pendant leur American Tour en 1969, celui d’Altamont, c’était extraordinaire. Je suis content d’avoir pris part à cette dernière tournée de cinglés complets avant le temps des laissez-passer, des gardes du corps, etc.

Et comment survit-on dans un tel environnement ? On appréhende ça comme un reportage de guerre ?

Pas du tout. Le truc, c’est que j’étais d’accord avec eux et que je les trouvais formidables, mais je n’essayais pas de les imiter. Tous, dans l’entourage des Stones, ne rêvaient que de leur ressembler. Ils se laissaient pousser les tifs, ils se défonçaient, j’en ai vu tellement mourir ou finir comme des légumes… Pour survivre à ça, il faut être Keith ou Mick. Depuis tout petit, je fréquente des célébrités, j’en savais donc d’emblée plus que les groupes sur les complications inhérentes à ce genre de vie. J’avais déjà tout vu avec les proches de mon père, comme Sacha Guitry, Orson Welles ou Louis Jouvet.

Vous ne vous êtes donc jamais senti dans la peau d’un fan ?

Une fois. Le seul qui m’ait mis dans la peau d’un fan, c’est Miles Davis. Lui, je l’écoutais déjà à 12 ans. Les autres, c’étaient des copains.

Vous avez tout de même vécu de l’intérieur certaines des plus grandes pages de l’histoire du rock’n’roll…

Ils me font marrer, les mecs d’aujourd’hui, qui mettent des lunettes et un blouson de cuir et qui croient qu’ils sont rock. Ça ne veut rien dire : être rock ce n’est pas une panoplie. La chose la plus  » rock  » que j’ai faite, ce n’est pas la débauche avec les Stones, c’est une tournée hallucinante, quinze jours au milieu de nulle part avec Chuck Berry. Juste lui et moi, ni musiciens, ni managers tellement il était radin. Et à l’opposé, j’ai aussi voyagé en jet privé avec James Brown. Je venais de Paris pour une séance d’un quart d’heure et, finalement, il m’a gardé quinze jours. Parce que j’avais du sang noir et qu’il aimait mes cheveux.

À vous entendre, vous avez toujours eu une chance surnaturelle. Même pas une mauvaise expérience ?

J’ai toujours eu du bol, en effet. Ma seule mauvaise expérience, c’est Steve McQueen. Il m’a fait poireauter trois jours pour finalement m’adresser un :  » Vous avez trois minutes.  » J’ai pris les photos et je suis parti. Même Dylan, j’ai réussi à entrer en contact avec lui. Et ce n’était pas évident, pendant la tournée de 1966 en Angleterre. Grandiose, même s’il était conspué dès qu’il sortait sa guitare électrique. Il était constamment givré et je comprends pourquoi. Il devait incarner la pensée insolente de toute la jeunesse. Toute la journée, il était poursuivi par des gars qui le prenaient pour Jésus-Christ. Malheureusement, je ne l’ai pas aussi bien connu que Mick et les Beatles. Mais vous avez pu constater son influence sur toute la scène pop…

Jusqu’à 1964, autant en France qu’en Angleterre, tous les groupes jouaient des reprises de Chuck Berry ou Bo Diddley. Puis débarque Dylan. Je me souviens d’une soirée à Londres, avec Mick Jagger et John Lennon, où est passé un de ses premiers disques. Je les ai vus se regarder l’un l’autre, l’air de dire  » Putain, on peut vraiment balancer des trucs alors ? !  » Et ils s’y sont mis. Avant, dans les années 50 et 60, c’est du I love baby, baby please don’t go, point. Bob Dylan a tout changé. Après lui, c’est devenu intéressant. Ces gamins ont inventé une nouvelle façon de vivre. C’était la première fois de l’histoire de l’humanité que des mômes gagnaient plus que leurs parents. Quand Johnny cassait une Ferrari, il claquait plus de pognon que son père en dix ans. C’était très, très agressif. Et j’ai pu assister à tout ça parce que je vivais avec eux. Je ne passais pas mon temps à mitrailler, parfois ce sont les artistes qui me demandaient  » Bon, on les prend, ces photo ? « .

Votre livre sort en pleine période de nostalgie pour les sixties…

L’époque est toujours vue avec les yeux du souvenir. Je comprends tout à fait. Par contre, ce que je trouve dommage, triste et inquiétant, c’est de voir des gosses de 18-25 ans nostalgiques d’une période qu’ils n’ont pas connue. Ça me fout la trouille.

Avouez malgré tout que dans un tas de domaines, on n’a pas beaucoup fait mieux depuis. Dans leur genre, les musiciens cités représentent tout de même le sommet…

C’est vrai, c’était vachement bien. Toutes les semaines sortait un disque – Led Zep, les Who ou n’importe qui – sur lequel rien n’était à jeter, alors que maintenant, avec une bonne chanson par album, on est content. Et il n’y avait pas que la musique. Heureusement, je pense qu’il y a quand même des mecs qui se marrent encore aujourd’hui. Notamment avec les nouvelles technologies, le seul moyen pour un gosse de 20 ans de palper des millions de dollars en trois ans. Mais ça reste du virtuel, ça n’a pas l’innocence d’un Mick Jagger à 19 ans.

(1) Exposition Limelights, jusqu’au 21 décembre prochain au Sofitel Brussels Le Louise – 40, avenue de la Toison d’Or, à 1050 Bruxelles.

(2) Rencontres, par Jean-Marie Périer, Editions Duchêne, 288 pages.

PAR MATHIEU NGUYEN

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