Barbara Witkowska Journaliste

Parfums au passé fascinant, ils tiennent la vedette depuis des années. Si ces essences divines ne varient pas d’un iota, leur présentation et leur image publicitaire évoluent en douceur. Pour mieux épouser l’air du temps.

Certains jus font tourner les têtes depuis de nombreuses décennies. Magnifiques et parfaitement composés, ils sont indétrônables. Cela dit, les temps et les mentalités changent. La conception de la séduction, de la féminité et du luxe évolue. Donc, régulièrement, il faut redéfinir la raison d’être d’un parfum, le replacer dans le contexte de l’époque, réajuster son image pour qu’elle reflète l’imaginaire des femmes. Bref, il faut lui redonner un sens. Car, comme disait le critique et sémiologue français Roland Barthes :  » Ce n’est pas le rêve qui fait vendre, c’est le sens.  » Or pour avoir du sens il faut s’inscrire dans la modernité.

Chez Guerlain, on l’a bien compris.  » Etre contemporain, se tourner vers l’avenir sont des termes importants chez nous, souligne Guy de Beaugrenier, directeur général de Guerlain Belgique. Tout en respectant notre héritage, bien entendu, et tout en puisant les sources d’inspiration dans nos valeurs propres. Contrairement aux idées reçues, Guerlain est très innovant et précurseur. Quelques exemples : Jicky, créé en 1889, en associant, pour la première fois, des ingrédients naturels et de synthèse, a marqué l’avènement de la parfumerie moderne. Terracotta, la toute première poudre  » bonne mine « , est devenue mythique. Sans oublier Shalimar, le tout premier oriental. « 

Aujourd’hui, Shalimar demeure le Guerlain le plus vendu. Créé en 1925, tellement novateur, il voulait évoquer les splendeurs de Shalimar, des jardins qu’un sultan indien fit dessiner en hommage à l’une de ses femmes disparues. Selon la légende, Jacques Guerlain l’aurait créé par hasard. En examinant un échantillon de vanilline, il l’aurait versé tout entier dans un flacon de Jicky, juste pour voir… Jacques Guerlain lui dessina un écrin magnifique, inspiré des vasques des palais du Rajasthan. Ce flacon précieux accueille (et accueillera sans doute toujours) l’Extrait. En revanche, les flacons renfermant l’Eau de parfum et l’Eau de toilette viennent de subir un lifting, pour mieux coller aux valeurs esthétiques de ce début du IIIe millénaire. Ils sont totalement transparents, sobres et très pures. Les contours adoptent ceux de l’étiquette du mythique flacon d’Extrait. La nouvelle image publicitaire traduit encore mieux ce jus unique, absolu et charnel. Une brune discrètement sensuelle cumule tous les atouts pour séduire et enivrer, comme ce parfum qui donne envie  » de venir tout près « .

Le plus célèbre bouquet abstrait

En 1921, Coco Chanel, déjà célèbre, décide de créer son propre parfum.  » Moi qui aime les femmes, je veux leur donner un parfum artificiel, je dis bien artificiel comme une robe, c’est-à-dire fabriqué, a déclaré la Grande Mademoiselle. Je suis un artisan de la couture. Je ne veux pas de rose, de muguet, je veux un parfum qui soit composé, un parfum de femme à odeur de femme.  » Pressenti, le parfumeur Ernest Beaux lui propose plusieurs échantillons. Elle choisira le cinquième (d’où le nom !) : un bouquet de fleurs à l’harmonie parfaite (ylang-ylang des Comores, jasmin de Grasse et rose de mai) avec ce fameux  » je-ne-sais-quoi  » – en réalité, des aldéhydes, des ingrédients de synthèse utilisés à haute dose – qui le rend tellement exceptionnel. Toujours n° 1 dans le monde, le N° 5 a séduit des générations de femmes. Son flacon, sobre, net, dépouillé et géométrique, est à la fois hors du temps et toujours contemporain. Le premier modèle comportait des bords arrondis. Ils ont été remplacés, en 1924, par des pans coupés, pour ressembler aux diamants taille émeraude. Ce fut le seul changement réellement important.

En revanche, la communication sur le N° 5 n’a cessé d’évoluer. Le premier épisode de cette saga unique remonte à 1930, lorsque Coco Chanel demande à Horst, l’un des plus grands photographes de l’époque, de photographier le flacon en majesté, créant ainsi le concept publicitaire de  » packshot « , largement exploité depuis. En 1953, le N° 5 apparaît pour la première fois, aux Etats-Unis, dans un spot télé. Du jamais-vu ! Plus tard, Chanel innove encore, en associant au N° 5 de beaux visages, à l’heure où ils n’étaient pas encore connus : Candice Bergen, Ali McGraw, Lauren Hutton, Jean Shrimpton. Au début des années 1960, la pulpeuse Marilyn Monroe lui offre sans doute la plus grande notoriété, en déclarant spontanément qu’elle dort la nuit habillée seulement de  » quelques gouttes de N° 5 « . A partir de 1986 et pendant de longues années, Carole Bouquet prête sa personnalité mystérieuse et envoûtante à ce parfum culte. En 1995, un film publicitaire insolite, signé Jean-Paul Goude, montre Carole Bouquet prenant les traits de Marilyn Monroe par une technique du  » morphing « . C’est toujours Jean-Paul Goude qui signe le visuel publicitaire de l’hiver 2001 : pétillant et joyeux, le N° 5, incarné par Estella Warren, suit les tendances chromatiques et s’affiche en scintillances et en or, vert ou rose.

Une collection très privée

Passionnée par les parfums, Estée Lauder avait réuni toute une collection d’huiles et d’essences provenant du monde entier. Curieuse, elle ne cessait de  » jouer  » avec ces odeurs, à la recherche d’associations inédites. Un jour, elle compose un bouquet particulièrement réussi et décide de le garder pour elle. Elégant et discret, il suscite d’emblée un formidable engouement. Assaillie de questions, Estée Lauder répond invariablement :  » This is from my private collection.  » Finalement, en 1972, devant tant d’insistance, elle décide de l’éditer, au sein de sa marque, sous le nom Private Collection. En un minimum de temps, ce parfum confidentiel et privé devient un best-seller mondial. Tout le monde se précipite sur cet oriental-vert, mêlant la rose de Bulgarie, la fleur d’oranger de France, le bois de santal d’Indonésie, le jasmin et une note boisée de tilleul. Ce parfum prestigieux, subtil et délicat, a été sublimée, pendant de longues années, par des images d’un luxe inouï, dues au célèbre photographe de Chicago Victor Skrebneski. Tout au long des années 1970 et au début des années 1980, la jolie Karen Graham, icône aristocratique, a fait rêver des milliers de femmes, dans un décor de château, décliné à l’infini. La belle quinquagénaire, aujourd’hui à la retraite, a réussi à faire entrer Private Collection dans la légende…

Le temps de la sérénité

En seulement dix ans, Dune de Christian Dior s’est inscrit dans l’intemporalité, il a dépassé la notion d’époque et de temps. Son concept de base, incarnant la sérénité au féminin, est toujours une notion très forte. Le jus suave (un cocktail de lis, d’ajonc, de pivoine, de giroflée, de lichen et d’ambre marin), le flacon lisse et sensuel évoquent une féminité douce et calme, toujours d’actualité.  » Récemment, nous nous sommes rendu compte que l’image publicitaire, baignant dans la douceur, est devenue trop passive, trop molle, explique Marguerite Ranjard, chef de produits marketing international parfums chez Christian Dior à Paris. Nous avons également souhaité la rapprocher de la couture. C’est donc la raison pour laquelle John Galliano s’est vu confier le travail de modernisation de l’image. Le but ? Aller vers plus de sensualité, voire sexualité, montrer une féminité plus exacerbée. Aujourd’hui, la femme décide d’exprimer sa sensualité de manière plus affirmée.  » La nouvelle femme Dune,  » revampée  » par John Galliano, a été photographiée par Nick Night, le photographe attitré de tous les défilés. Peau huileuse, glamour et sexy, bouche pulpeuse, regard provocant et un mini-bikini brésilien, Dune est plus que jamais le  » parfum du corps et de l’âme réconciliés « .

Barbara Witkowska

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