Blottie dans un écrin de nature exubérante, l’ancienne station climatique des rois portugais recèle plusieurs palais originaux et de fastueuses maisons aristocratiques. Un petit coin de paradis, qui semble suspendu hors du temps. Parcours initiatique et historique à travers Sintra.

Perchée sur les hauteurs d’une serra située à quelque trente kilomètres au nord-ouest de Lisbonne, Sintra émerge de la brume matinale qui l’enveloppe quotidiennement de ses rubans cotonneux. Serait-ce dû à sa végétation luxuriante ou à sa situation de contrefort, face à l’océan ?  » Au clair de lune, au clair du rêve, sur la route déserte…  » : on songe au poème de Fernando Pessoa – Au volant de la Chevrolet sur la route de Sintra – qui décrivit ainsi son arrivée. Le poète voyait aussi en Sintra le nez de l’Europe, dont le visage serait le Portugal.

L’onirisme et les métaphores se prêtent à merveilleà la description de la petite station climatique. Empreinte d’une atmosphère féerique, c’est un peu comme une ville qui n’existerait que dans nos songes. Et pourtant, elle est bien là, bijou caché au c£ur d’une flore exubérante. Caractérisée par un amoncellement de palais et châteaux accrochés à la montagne, entourés d’imposantes villas aristocratiques, elle a longtemps attiré les artistes et la belle société pour laquelle il était de bon ton d’y posséder une résidence secondaire. Fernando Pessoa n’est d’ailleurs pas le seul à avoir vanté sa beauté. Lord Byron la considérait comme  » l’endroit le plus agréable d’Europe « . Et ce n’est pas un hasard si les rois portugais y firent édifier de somptueuses demeures, afin d’échapper à la chaleur qui plombait Lisbonne en été.

ARCHITECTURE SOUS INFLUENCE

Au détour de la route sinueuse qui rejoint Sintra, le regard embrasse le palais national. Hautes de 33 mètres, ses deux cheminées coniques blanches se détachent sur un inégalable ciel indigo dès que le soleil est au zénith. Ces constructions phénoménales plongent dans une cuisine monumentale, équipée pour rôtir des animaux entiers. Le bâtiment est massif, mais élégant, grâce à quelques détails comme ses fenêtres manuélines, creusées à intervalle régulier dans la façade. Une marque de fabrique du roi Manuel Ier (1469 – 1521) qui transforma cette ancienne forteresse du XIIIe siècle en palais digne de son nom et de son empire.

Néologisme patronymique, l’art manuélin se distingue par un style ornemental qui multiplie les motifs comme les cordes, n£uds ou coquillages, évocateurs des conquêtes maritimes du Portugal. De leurs voyages à travers le monde, les Portugais ont aussi ramené plusieurs inspirations architecturales. Et ils n’ont pas hésité à conserver les influences mauresques de leur ancien envahisseur. En témoigne la salle arabe du palais, et même sa chapelle, où l’on retrouve aussi l’art de l’azulejo sévillan aux teintes bleu et vert. Alors que l’ancienne chambre du roi Alphonse VI jouxte un salon chinois décoré d’une pagode en ivoire, tapis persans, lit italien, faïences et autres objets précieux ornent les autres nombreuses salles.

Avant de partir à la découverte des autres merveilles de Sintra, on s’accorde une pause dans l’un des cafés d’en face où l’on sert des spécialités gourmandes, comme les queijadas, petites pâtisseries préparées à partir de fromage frais et de cannelle. Et comme les touristes ont généralement des azulejos plein les yeux lorsqu’ils visitent cette cité, plusieurs boutiques se sont spécialisées dans la création de ces céramiques orientalisantes.

LES JARDINS DU PARADIS

Conçue au début du XXe siècle, la Quinta da Regaleira se présente comme une £uvre de dentelle de pierres ciselées, dont la façade peut se lire tel un livre écrit dans un langage secret. On lui trouverait bien un petit côté gothique, un semblant de roman, un zeste de végétalisme Renaissance et sans aucun doute, de forts accents néo-manuélins. Gargouilles et autres bestiaires étranges s’accrochent à différents endroits, rivalisant avec des tourelles enrichies de symboles végétaux et de motifs en spirale rappelant les cordes, et des fenêtres sculptées comme des bijoux extravagants. Mais le plus fascinant se cache peut-être à l’extérieur, dans l’immense jardin qui grimpe vers les cimes et qui a été conçu comme un parcours initiatique.

Symboles ésotériques, alchimiques, maçonniques et liés à la mythologie portugaise sont au rendez-vous des différentes haltes, comme la fontaine égyptienne, la grotte de Leda, le puits initiatique, les terrasses des Mondes célestes ou des chimères… Vaste programme ! Il faudrait plus d’une journée entière pour tout décrypter. Mais on peut tout simplement se laisser séduire par la magie que distille la Regaleira. Le poète portugais Gil Vicente l’avait surnomée le  » paradis terrestre « , tandis que Lord Byron la considérait comme son  » glorieux éden « .

Plus loin, le parc de Monserrate enchantera les botanistes, avec sa mosaïque d’essences exotiques. Palmiers d’Afrique et du Brésil, cryptomerias du Japon, cèdres du Liban rivalisent avec la flore locale, composée de chênes-lièges, de magnolias et d’arbousiers. Le parc abrite aussi un petit palais de facture romantique, accentuée par des détails orientalisants lors de sa rénovation, fin du XIXe siècle.

Sur les hauteurs de la serra, on s’offre ensuite une bouffée d’embruns océaniques en arpentant la muraille du château des Maures, construit entre les VIIIe et IXe siècles. Conquis en 1147 par Dom Afonso Henriques, le premier roi du Portugal, le site symbolise la libération du pays du joug arabe. Ses ruines médiévales, qui forment un collier autour du sommet, furent rénovées au XIXe siècle à l’initiative de Ferdinand de Saxe-Cobourg Gotha. Marié à la princesse Marie II, ce dernier acquit également les ruines de l’ancien monastère de Nossa Senhora da Penha. Il lui donna alors des allures de grosse bonbonnière rose et jaune, digne des châteaux romantiques de Bavière. Mais c’était sans compter sur le métissage propre aux palais de Sintra. Son architecte, le baron de Eschwege, n’hésita pas à enrichir l’imposant monument d’accents mauresques, gothiques et, bien entendu, d’art manuélin. Un étrange mélange qui contribue néanmoins à cet esprit très particulier qui anime la belle cité portugaise classée au patrimoine de l’Humanité par l’Unesco.

Carnet pratique en page 44.

PAR SANDRA EVRARD

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