Avec son physique ahurissant de Grace Jones punky, l’Anglo-Jamaïquaine Skin s’est forgé une belle renommée de performer incendiaire au sein du groupe Skunk Anansie (trois albums et quatre millions d’exemplaires vendus entre 1994 et 2001, date de la séparation). Cette forte tête, éduquée à la discipline militaire, nous offre aujourd’hui un second album solo intime, dans le souffle d’une vie sexuelle pluridisciplinaire. Le chaînon manquant entre le glam’ de la principauté de Monaco et une soirée gang-bang à Los Angeles ? Skin, pour vous servir. Sourire XXL et confidences en rafale… face aux abattoirs d’Anderlecht.

Une végétarienne à la table de la brasserie La Paix, un restaurant bruxellois spécialisé en viandes : une indéniable erreur de communication. Mais alors que la plupart des stars branchées poireaux-hoummous auraient créé un scandale à la vision de  » photos vaches  » sur les murs de ce bel établissement, Skin, elle, accueille la nouvelle avec un sourire XXL qui dénude l’impressionnante blancheur porcelaine de sa dentition. Regard de tueuse sous cils interminables et eye-liner doré, peau marron parfaite, le visage de Deborah Ann Dyer (dans le civil) domine une silhouette nerveuse, tout en muscles linéaires. Cela tombe bien, nous sommes face aux abattoirs d’Anderlecht et ce n’est pas l’écho distant des animaux à l’agonie que l’on entend, mais la voix mitraillette de Skin, 38 ans et des poussières, servant en rafale des morceaux de biographie pas bégueules.

Weekend Le Vif/L’Express : Euh, sorry pour le casting viande… Es-tu végétarienne de longue date ?

Skin : Depuis quinze années seulement ( sourire). Pas par principe éthique mais simplement parce que je n’aime pas le goût de la viande : les espèces animales ne s’accordent pas très bien avec le fonctionnement de mon corps. Récemment, je suis tombée sous le charme d’un plat de b£uf, ce qui m’a redonné envie d’en (re)manger, mais la réaction chimique n’a pas été très bonne ! J’avais une réelle sensation de malaise.

Usons d’un cliché. Britannique, donc obligatoirement fish & chips ?

Définitivement. J’ai grandi en Grande-Bretagne ce qui rend ce plat indispensable. A la maison, ma mère cuisinait jamaïquain tous les jours, des trucs épicés, bourrés de parfums multiples, riz, viande, pas beaucoup de légumes ! Ma famille est arrivée de Jamaïque dans les années 1950-1960 : mon grand-père était un propriétaire terrien assez fortuné, mais la génération de mes parents est descendue d’un cran social : j’ai donc plutôt grandi dans la classe ouvrière. Mon père était dans l’armée et jusqu’à l’âge de 5 ans, j’ai passé pas mal de temps à vivre sur des bases militaires partout en Grande-Bretagne : je me souviens de peu de chose, notamment de courir nue dans les rues de la base…

Coutume, il va sans dire, typiquement militaire !

Pas vraiment ( rires). J’avais 3 ans, on m’appelait  » skinny  » parce que j’étais une petite fille maigre. Les Jamaïquains sont des gens qui ont la discipline en estime : c’est une culture très stricte. Les parents jamaïquains sont toujours en colère, sur le qui-vive, battants. Et les punitions physiques font partie des châtiments usuels. Mais ce genre d’éducation est fun parce qu’elle impose des limites !

Quelle musique à la maison ?

Du reggae, du reggae et encore du reggae ! Un peu de r’n’b et de soul. Quand mes parents étaient absents en journée, l’un de mes trois frères dépotait son sound-system et le bâtiment en tremblait. A d’autres moments, il organisait des fêtes dans la rue en plantant directement ses enceintes monstrueuses au coin d’un pâté de maisons pour faire danser les gens. Des soirées illégales évidemment. J’étais la seule fille de la famille et pratiquement tout m’a été interdit jusqu’à mon départ à l’université où j’ai étudié l’architecture. Là, j’ai enfin pu faire ce que je voulais.

Tu as grandi à Brixton, au sud de Londres, qui, aujourd’hui, a la réputation d’être en Grande-Bretagne une plaque tournante du trafic de drogues lourdes comme le crack ou la cocaïne !

A mon époque, c’était complètement différent, il y avait de l’herbe et pas grand-chose d’autre, pas de dealers à la sortie de l’école. De 9 à 16 ans, j’ai fumé des cigarettes traditionnelles mais ce n’était pas un truc pour moi, de toute manière ! Lorsque je suis retournée à Brixton après mes études, ce n’était plus du tout le même quartier ! Je connaissais bien l’endroit parce que j’y avais travaillé comme  » bouncer  » ( NDLR : membre du service de sécurité) à la Brixton Academy ou au Fridge, une boîte assez célèbre du coin !

Tu assurais la sécurité, vraiment ? Pratiques-tu les arts martiaux ?

J’étais un  » bouncer  » du type extrêmement calme ! Je donnais l’impression d’avoir derrière moi sept ceintures première dan alors que je ne connaissais qu’un peu de taekwondo. Mon apparence était très étudiée : toute en noir, maigre et musculeuse, la tête rasée et ce truc dans le regard. Un jour, j’ai lancé cette histoire de sept ceintures à un groupe turbulent à l’entrée de la boîte et tous ont décampé ! J’avais 19 ans et plus personne ne m’a jamais causé le moindre souci. La plupart des gens ne veulent pas se battre : hormis ceux qui sont bourrés ou camés. En revanche, je me souviens qu’il était beaucoup plus difficile d’empêcher les gens de baiser dans les coins.

Pardon ? Baiser en boîte ?

Oui. C’est permis ici ?

Pas à ma connaissance !

Disons que j’assumais la sécurité dans des boîtes gay et que les coins étaient très chauds. Je trouve d’ailleurs ce genre de situation assez excitante !

Pratiques-tu ?

Quoi ? La baise dans les coins de boîte ? Il me semble que la question est très personnelle… En revanche, j’aime assez regarder ( rires).

On approche de la vérité maintenant. En fait, tu es beaucoup plus féminine que les photos ou les images habituelles de toi – en femme hurlante – ne le suggèrent.

Je le prends comme un compliment : en réalité, je suis très nana, très féminine. La confusion vient de la tête rasée qui, pour beaucoup de gens, signifie que je suis plus dure, agressive et vilaine qu’en réalité. Je suis quelqu’un de calme et de doux, excepté sur scène.

Cela signifie-t-il que tu possèdes une  » personnalité divisée  » au sens clinique du terme ?

Non, mais j’aime les extrêmes. La scène est un défouloir énorme : lorsqu’avec Skunk Anansie, j’ai fait une tournée en Australie en première partie des Sex Pistols, des spectateurs m’insultaient, balançaient des svastikas sur scène. Des idiots complets qui n’avaient rien compris au tee-shirt à svastikas de Sid Vicious ( NDLR : le bassiste légendaire des Pistols qui arborait le svastika comme une provoc) : pour lui, ce symbole n’avait rien de raciste, c’était juste un moyen d’envoyer tout le monde chier. Face à ce genre de connerie, je n’ai qu’une envie : être frénétique, énergétique, et avoir, encore plus de succès. Quand je fais la fête, je la fais intensément ! C’est une caractéristique de mon caractère qui se doit d’être nourrie.

Qu’est-ce qui rend Londres si excitante ?

C’est juste une ville foutrement sale et bourrée d’artistes. Vue de l’extérieur, Londres peut sembler froide et calculatrice mais il y a tellement de choses dans cette vaste entité ! J’aime le côté dur de la ville, sa brutalité, son offre artistique incessante. Tout cela crée beaucoup de bonne musique dans une confrontation continue de cultures. Londres n’a rien de romantique comme Rome, Paris ou Venise.

Skin est-elle une personne capable de romantisme ?

Je peux être extrêmement romantique ! Et d’ailleurs, mon nouveau disque contient ma première chanson d’amour ! Le plus souvent, je me montre assez froide : ce qui est un trait des Jamaïquains qui n’affichent pas ostensiblement leurs émotions. Ce n’est pas dans notre culture d’étreindre quelqu’un, de toucher les autres. Je n’embrasse pas les étrangers : les fans le font tout le temps, cela dit… Mais je n’apprécie pas. Je suis très tactile et chaleureuse avec mes amis, et très tactile avec mes amants ( elle sourit).

Tu as des dents incroyablement belles !

Oh, merci. Je viens d’en ébrécher une avec un micro ( NDLR : un minuscule morceau de canine s’est fait la malle) ! Les fans envahissaient la scène lors d’un concert à Londres et j’ai pris le micro en pleine figure…

La rumeur anglaise prétend que tu es une  » lesbienne noire hardcore  » !

( Elle éclate de rire.) Bon, je ne me définis pas comme cela et de toute façon je suis bisexuelle. Je me sens très proche d’Angelina Jolie avec laquelle je partage le point de vue sexuel sur la vie. Ma dernière relation était avec un garçon, et je suis sortie avec un autre type pendant dix-huit mois. Je suis très ouverte sur les choses sexuelles mais j’ai le désir de rester extrêmement secrète.

De mon point de vue banalement hétérosexuel, je me demande comment c’est d’être bi…

Bon, faut pas que tu essaies si cela ne t’intéresse pas plus que ça ! Tu vas juste mettre un pauvre gamin dans l’embarras. Tu vas briser son c£ur, avec toute ton expérience, il sera anéanti ( rires). En fait, j’ai toujours été bisexuelle, cela me paraît complètement naturel maintenant. Mais je n’ai découvert mon amour pour les filles que lorsque j’avais 20 ans ! C’est là que j’ai rencontré la première fille que j’ai eu envie de baiser ! Cela a été une  » longue route glissante vers l’enfer « , mais je suis encore capable de marcher.

Quelle a été la réaction de tes parents ?

Ils n’apprécient pas. Dans ce domaine-là, ils se montrent très conservateurs. La société jamaïquaine est plutôt macho : les gens parlent facilement, expriment sans peine leurs opinions, mais agissent moins. Contrairement à ce que l’on peut penser, peu de gens se font tabasser en Jamaïque parce qu’ils sont gay, mais la parole peut être excessive, notamment dans les textes très homophobes de certains artistes jamaïquains. Les Américains sont pires, leur homophobie est cachée, hypocrite.

Tu as pas mal joué en Amérique avec Skunk Anansie (huit tournées au total). Qu’y as-tu découvert que tu ignorais ?

L’Amérique que tu crois connaître – celle que tu vois à New York, Los Angeles, Chicago ou San Francisco – n’a rien à voir avec l’Amérique de l’Utah ou du Texas. Là, mon apparence choquait énormément les gens qui me trouvaient très… sauvage. Je sentais beaucoup de réactions extrêmes, ce qui est une caractéristique dominante de la culture américaine. Le conservatisme produit forcément son antidote et la  » culture négative  » nous adorait : on a fait les trucs les plus fous là-bas. Après les concerts, on se laissait emmener ailleurs par des fans. On s’est retrouvés dans des clubs SM hardcore où les gens buvaient du sang humain, mais le truc le plus radical est arrivé à Los Angeles lorsqu’on nous a emmenés dans cette espèce de boîte hardcore fréquentée par des gangs, les Crisps. Il y avait des flingues et des couteaux partout, une ambiance apocalyptique : pour moi, c’était O.-K. parce que j’ai grandi à Brixton. Mais on était accompagné d’un journaliste blanc qui était absolument terrifié au milieu de tous ces Blacks : il tremblait. Littéralement, il était mort de peur.

Oui, c’est une expérience étrange de se retrouver très minoritaire dans une foule différente de toi ! Tu n’as pas souffert de ce syndrome en Grande-Bretagne ? De racisme ?

Non, en Grande-Bretagne, le racisme n’est pas frontal mais se déclare plus insidieusement. Ils vont te virer d’un boulot mais jamais – même si c’est la raison – en te disant que c’est à cause de ta couleur de peau !

Pourquoi est-il si important pour toi, désormais, de te produire en artiste solo plutôt que d’être la chanteuse de Skunk Anansie ?

Je n’ai pas eu le choix : ce groupe s’est littéralement décomposé sous mes yeux. Et ce, pour les raisons les plus clichées, les plus ennuyeuses, du monde : problèmes  » personnels « , de drogues, de petite amie… Le succès n’est intéressant que parce qu’il m’autorise à continuer : j’adore être aspirée dans les concerts, les festivals. Je me sens remplie d’une énergie nouvelle.

On imagine mal la taille de ton ego : simplement géant ou carrément monstrueux ?

Le plus grand que tu n’aies jamais vu, sauf qu’il n’est pas visible ! Non, je plaisante. Disons que j’ai l’ego qui me permet de parler de moi toute la journée dans une tournée promo, qui permet d’aller sur une scène et d’être le point focal, mais je n’ai nullement besoin d’être toujours le centre d’attraction. J’aime être dans une fête, pas nécessairement d’être le miroir de la fête. Placer son ego dans les quartiers VIP des boîtes ne m’émoustille que modérément.

Pourrais-tu décrire la minute où tu rentres chez toi après une tournée ? Eprouves-tu le syndrome  » baby blues  » ?

Non, pas un seul instant. Je me sens soulagée : mes maisons sont en France et en Espagne, donc être chez moi veut dire se relaxer, sortir, faire la DJ. Je ne vis pas pour être en tournée… A la maison, je peux nourrir mes chats, baiser, lézarder sur la plage, m’occuper de mes fringues, et tous ces trucs politiques que je ne fais pas en tournée !

T’imagines-tu Premier ministre de Grande-Bretagne ?

Bon Dieu, non ! Je serais un drôlement mauvais Premier ministre… imaginant toutes ces fabuleuses propositions politiques que je ne parviendrais pas à mettre en pratique…

Tu t’intéresses à la mode, non ? On t’a vu dans une robe bondage d’Alexander McQueen…

Bon, j’ai chanté lors d’une de ces soirées  » Fashion Rocks  » habillée en McQueen et j’adore la mode, ce qui ne m’empêche pas aujourd’hui d’être en survêtement Fila, euh non, Puma aujourd’hui ( sourire XXL). Quand je rentre à la maison, je fais le tour de mes fringues et je sors en boîte… Mon argent me sert à cela : acheter des fringues, des maisons, les rénover, et aider ma famille, y compris ceux qui habitent en Jamaïque !

Penses-tu avoir des enfants ?

Seulement, si cela vient de toi ( rires) ! Non, mais cela dépend si je rencontre le type bien. Ou la fille adéquate. Si je me trouve dans une relation  » sérieuse « , alors cela viendra tout naturellement : pas maintenant, je suis célibataire. Mais je suis prête à faire un môme, entre deux disques ( sourire). Il faut savoir que je suis une solitaire ( » a loner « ), que je n’ai pas des millions d’amis : ceux que j’ai, je les adore, littéralement.

Cela peut sembler bizarre mais tu vis à Ibiza et à… Monaco.

Oui, je sais que cela peut sembler bizarre mais on s’en fout des clichés attachés aux lieux ! Parce que je suis née dans une famille ouvrière jamaïquaine à Brixton, je devrais y rester ? Je me suis retrouvée à Monaco simplement parce que ma manager a sa boîte là-bas ! Je voulais être proche d’elle, des gens qui travaillent avec moi !

Trop cool de pouvoir rencontrer le prince Albert !

Cela m’est arrivé quelques fois : c’est un mec marrant. Je ne vis nulle part en fait, parfois à Monaco, parfois à Ibiza, souvent à Paris ou en Suède où j’ai un boyfriend. Comme à New York d’ailleurs. Hé, je suis une fille du monde…

Le CD « Fake Chemical State », de Skin, sort chez V2 Records en mars prochain, concert belge dans la foulée.

Philippe Cornet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content