Pendant l’été, Le Vif Weekend zoome sur ceux qui ont choisi la Belgique. épisode 7/7 : le Suisse Mathias Domahidy. Cinéaste et comédien, amoureux des images, il est à l’affiche du dernier film de Jean-Luc Godard.

Installé à la terrasse très urbaine du Supra Bailli, à Bruxelles, à siroter un verre de bière pour résister à la lourdeur caniculaire de cet après-midi d’été, Mathias Domahidy n’a même pas essayé de nous baratiner le contraire : la Belgique n’a jamais figuré en très bonne place sur sa liste de trucs à vivre, un jour, absolument.  » Je crains de ne pas être très original, sourit-il. Mais si je suis ici, aujourd’hui, c’est pour l’amour d’une femme.  » À y bien réfléchir, pourtant, ce Suisse, né au milieu des vignes, se plaît à reconnaître qu’il est plutôt bien tombé, au pays des zinnekes. Au fond de lui, c’est comme s’il avait toujours su qu’il lui faudrait quitter les bords du lac Léman.  » Car, oui, bien sûr, en Suisse, il y a de la création, mais elle est âpre, elle est dure, regrette Mathias Domahidy. Regardez Alberto Giacometti, Jean Tinguely, Ella Maillart. La plupart de nos grands artistes se sont exilés avant d’être adulés et reconnus chez nous. Comme eux, je voulais bouger, m’installer dans un pays, une ville à taille humaine. Avec vos trois langues, vos trois cultures différentes, c’est plutôt facile pour un Suisse de s’y retrouver. Même si, en gros, ici, c’est le foutoir. Mais un foutoir libérateur. On respire. C’est frais, c’est léger. C’est le règne de l’absurde sain. « 

Plus que tout, c’est le bouillon de culture qui agite Bruxelles qui séduit le jeune acteur et cinéaste de 32 ans.  » Je suis suisse, alors, j’aime faire les choses lentement, plaisante-t-il. La lenteur, intrinsèquement, ce n’est pas de la paresse, de la non-envie. C’est du vouloir bien faire. J’aime l’artisanat. Et l’artisanat prend du temps.  » D’ailleurs, cela fait des années qu’il écrit : des poèmes, d’abord, puis des nouvelles, des  » pseudo-romans « , comme il les appelle, des chansons, aussi. Adolescent, il ne quitte pas son appareil photo.  » J’adorais la recherche du cadre, faire des images, confie-t-il. Naturellement, je suis passé aux scénarios. J’ai acheté une caméra. Et j’ai commencé à tourner les scènes, les plans que j’imaginais. Ce qui est merveilleux avec le cinéma, c’est que c’est l’art bâtard par excellence qui permet de relier toutes les formes de création. « 

C’est en cherchant de l’aide pour monter un court-métrage que Mathias Domahidy croise la route de Jean-Luc Godard. Le cinéaste lui prête du matériel son. Le voit ensuite  » faire l’acteur  » sur une scène de théâtre, à Genève. Et se souvient de lui pour l’un des personnages de Film Socialisme, présenté au Festival de Cannes, en mai dernier dans la catégorie Un Certain Regard.  » Il m’a confié la  » figure du photographe « , comme il disait, que l’on croise pendant toute la première partie du film, rappelle le comédien. Le tournage avait lieu en Méditerranée, sur l’un de ces gros bateaux de croisière, rempli de vrais touristes. Je n’avais jamais vu un scénario comme celui-là, davantage proche d’une prémaquette, avec des photos de repérage, des indications et pas seulement des dialogues. Le cadre était très défini et en même temps, tout pouvait changer d’un instant à l’autre. Il fallait être très disponible. S’adapter rapidement et surtout ne pas réfléchir. Ça, Godard le faisait pour nous.  »

L’expérience, mythique, est comme un appel d’air.  » J’ai rendez-vous dans une agence de comédiens à Paris qui ne m’aurait même pas contacté si je n’avais pas tourné dans ce film « , admet Mathias Domahidy. Dans les prochains mois, il rentrera au pays pour participer au nouveau long-métrage de Marc Décosterd, Suisse et réalisateur, lui aussi. Et espère dans l’attente monter une troupe de théâtre à Bruxelles.  » Il m’a fallu deux ans pour prendre mes marques, rencontrer les bonnes personnes, gagner leur confiance professionnelle, surtout, souligne-t-il. Mais je ne suis pas resté chez moi à attendre que les frères Dardenne repèrent mon profil sur comédien.be ! On peut s’autoriser tous les rêves. Mais il faut vouloir et faire pour qu’ils se concrétisent. C’est en menant à bien les projets que j’aimais que j’ai rencontré Jean-Luc Godard. Demain pourquoi pas Michael Haneke ou Werner Herzog. Qui sait ?  »

Isabelle Willot

La lenteur, ce n’est pas de la paresse.

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