Echantillons de la vie intérieure, les rêves sont aussi fascinants que mystérieux. Quelle est leur mission ? Comment les interpréter ? Psychologue, thérapeute et chercheur, Jacques Montangero pointe leur complexité et leur singularité personnelle.

Les rêves sont communs à tous les humains. Ils sont si intrigants qu’on tente de leur donner un sens depuis la nuit des temps. Dans la tribu Senoi, il est d’ailleurs coutumier de se retrouver le matin pour en parler. Enfant, Jacques Montangero les perçoit déjà comme  » une source d’évasion extraordinaire. J’étais même persuadé qu’en dormant sur le dos, j’allais rêver plus intensément !  » Aujourd’hui, il travaille comme psychologue et psychothérapeute en Suisse. Que ce soit dans son cabinet ou son labo de recherche, il s’émerveille de la richesse des songes.  » Comment fonctionnent-ils ? Que peut-on en faire ?  » Loin de nous livrer une clé universelle, il insiste sur la variété et le côté personnel du rêve. Il n’y a pas de mode d’emploi : seule une approche personnalisée et multiple peut l’éclairer. Cela  » peut enrichir la connaissance qu’on a de soi « .

Weekend Le Vif/L’Express : Sommes-nous la seule espèce à rêver ?

Jacques Montangero : Les animaux ont un sommeil paradoxal, mais ont-ils ce même lien au rêve, à ce que nous croyons percevoir et vivre ? Les images mentales, à l’origine du rêve, exigent un certain développement psychique pour pouvoir manier tant de symboles, composant une histoire. Il en va de même du nouveau-né, dont l’expérience perceptive est réduite. S’il rêve, son scénario est limité.

N’est-ce pas une fonction vitale ?

Non. En cas de lésions cérébrales, certaines personnes disent ne plus rêver et, pourtant, elles continuent à vivre. C’est plutôt une fonction utile.

En quoi l’éveil et le sommeil sont-ils complémentaires ?

Dans l’expérience vécue, ils ne sont pas égaux. Pendant le rêve, le mode intuitif et imagé est engagé. Il fonctionne sur un registre plus créatif. On observe l’absence totale du contrôle de la pensée. Un luxe dont on ne bénéficie pas dans la journée. Ces deux pôles sont essentiels à un bon équilibre. Les thèmes qui surgissent la nuit ne sont pas ceux qui sont traités de jour. Ils signalent qu’on a besoin de leur prêter plus d’attention.

Est-ce que les rêves composent une pensée à part entière ?

Oui, pour autant qu’on ne les confonde pas avec la réalité de la pensée rationnelle. Dans les domaines de la création et de l’expression, ils sont sensibles aux thèmes masqués. Dans l’éveil, on gagne une cohérence, alors que dans le songe, on déploie l’aspect créatif de sa pensée. De par leur forme et leur contenu, ces deux types de pensées se complètent.

Pourquoi certains se souviennent-ils de leurs rêves, alors que d’autres pas ?

L’intérêt qu’on y porte augmente le rappel. Des êtres créatifs, très expressifs et tournés vers leur intérieur, ont plus tendance à s’en souvenir. Au réveil, mieux vaut se ménager un peu de temps pour y penser. Un bon truc est de tenir un journal des rêves. Même si on en fait plusieurs pendant la nuit, on ne se souvient généralement que du dernier. Sauf si un rêve précédent possède une forte charge émotionnelle. Bien que les rêves nous fassent du bien, ils sont plutôt destinés à être oubliés. Il ne faut pas confondre le monde imaginaire et la vie. L’oubli nous permet de nous adapter aux défis et aux dangers de l’existence.

Les songes forment-ils un rébus ?

Freud faisait cette comparaison, car tout comme le rébus, le rêve traduit une vision en quelque chose de verbal et de conceptuel. Il se compose de diverses images, qui peuvent trouver un sens. Mais, il faut admettre une part de mystère. Alors que la pensée éveillée consiste à tout comprendre, le rêve n’est pas un produit intelligible. Les chercheurs ont essayé d’influencer son contenu, or ce domaine privé a son autonomie. En se fermant à l’expérience extérieure, il préserve le rêveur.

Pourquoi certaines sensations comme tomber ou voler reviennent-elles chez de nombreuses personnes ?

Jung estime qu’on retrouve dans le rêve des images ancestrales. La chute et le vol traduisent peut-être quelque chose de physiologique ou d’organique. Cette somatisation nous rappelle que nous sommes un corps. Mais leur contenu peut aussi évoquer quelque chose de plus symbolique, comme le mouvement ou le changement.

Que reflètent les cauchemars ?

Les cauchemars sont révélateurs d’une surcharge du système affectif. S’ils reviennent régulièrement, ils méritent d’être creusés, car ils révèlent une période d’anxiété. Sinon, ils nous font l’effet d’une soupape. Rien de tel qu’une bonne terreur pour titiller une anxiété contenue en nous. Bénéfique, elle divulgue un danger qui nous menace. En cas de cauchemar, le réveil soudain dresse une barrière entre le rêve et la réalité. Il a lieu quand il n’y a plus d’issue. C’est la seule fuite possible. Elle nous ramène au mystère de l’inconscient…

De quoi nos rêves sont-ils porteurs ?

D’une partie de nous qui ne peut s’exprimer autrement. Tant les préoccupations que les peurs, les idéaux et une partie fantaisiste jaillissent. Nos songes nous adressent un message, teinté de réconfort. Ils incarnent notre résilience et notre espoir intérieurs. Généralement optimistes, ils révèlent la petite étincelle que nous portons en nous.

Que ce soit dans l’Egypte ancienne ou la société contemporaine, on a toujours cherché la clé des songes. Pourquoi ?

Les humains ont tendance à ne pas supporter l’incertitude de l’avenir. Alors ils cherchent des signes auprès de l’astrologie ou l’interprétation des rêves. Mais la clé des songes et les dictionnaires d’interprétation font fausse route. Il n’existe pas d’éléments univoques ! Au contraire : en fonction des personnalités et des périodes de vie, on leur prête un sens très différent. Chaque rêve est une création individuelle originale. La matière d’origine est puisée au gré du stock des connaissances, des expériences vécues et des impressions du rêveur.

Parlez-nous de la  » méthode DSR (description, souvenir, reformulation)  » comme outil de compréhension.

Le rêve n’étant pas un langage universel, la psychanalyse risque de plaquer une signification sur quelque chose qui appartient au rêveur. Celui-ci doit, pour moi, avoir un rôle actif. C’est seulement par sa recherche, ses souvenirs et son jugement, qu’on peut s’approcher de son interprétation personnelle. Chaque partie de la DSR a sa spécificité. La description enrichit la matière onirique qu’on va interpréter. Plus on ravive le visuel et le ressenti, plus les éléments reviennent en mémoire. Le souvenir renvoie à la source du rêve, qui peut nous guider vers une signification possible, liée à la pensée et l’expérience. La reformulation consiste à décrire le rêve en termes plus généraux, afin de faire un travail sur le sens. Ce n’est qu’en réunissant ces trois étapes qu’on peut y arriver.

La DSR peut s’appliquer seule, mais quel est l’avantage d’y recourir en thérapie ?

Dans la thérapie cognitive, le patient et le thérapeute collaborent. Ce dernier sert de coach à ce travail personnel, où le patient se guérit en quelque sorte lui-même. Lorsqu’une tierce personne vous aide à vous décentrer, elle permet de prendre du recul par rapport à vos problèmes et vos rêves. Face à ce petit cinéma intérieur, la distance est propice à l’interprétation. Ce n’est pas tant le sens que l’usage qu’on en fait qui est important. On entame une thérapie parce qu’on souffre. Il existe, dans les rêves, des éléments qui permettent d’avancer. Alors qu’en privé on les perçoit comme un rébus qu’on s’amuse à déchiffrer, la thérapie débouche sur une prise de conscience.

Pourquoi percevez-vous les rêves comme un cadeau ?

Parce qu’ils nous ouvrent les portes d’un autre monde. Rêver consiste à vivre des expériences différentes, qui élargissent notre horizon.

 » Comprendre ses rêves pour mieux se connaître « ,

par Jacques Montangero, Odile Jacob, 221 pages.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

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