Nommé directeur artistique en 2004, le plus parisien des couturiers milanais a donné un nouveau souffle à la maison Saint Laurent. Sans rien renier du passé… Interview de Pilati, Stefano le magnifique.

Longue silhouette, élégance impeccable, sourire aux lèvres, Stefano Pilati reçoit avec l’aisance, la tranquille assurance de celui qui a su relever l’un des défis les plus audacieux de l’univers de la mode. Son pari ? Succéder en douceur à Yves Saint Laurent (après la parenthèse Tom Ford), tout en imposant son propre style. Après un premier défilé un peu en demi-teinte, il triomphe avec une deuxième collection très inspirée, mêlant jupes boules et mousselines plissées, blouses et smokings revisités. Depuis, le succès ne s’est pas démenti. Les femmes ont retrouvé le chemin des boutiques et le  » Vogue  » américain l’a récemment élu parmi ses  » sept magnifiques « , le  » Top seven  » des créateurs du futur.

Weekend Le Vif/L’Express : Vous êtes directeur artistique de Saint Laurent depuis 2004. Quel regard portez-vous sur ces deux années ?

Stefano Pilati : Une chose est sûre, j’ai le sentiment d’avoir  » grandi « . Sur un plan professionnel, mais aussi personnel. Au début, quand j’ai vu mon nom dans les magazines, quand j’ai reçu les premières critiques, j’ai senti le poids d’une énorme responsabilité sur mes épaules. La responsabilité d’une saison entière, d’une maison, d’un héritage… Puis j’ai appris à me libérer de ma peur. J’ai pris confiance.

Comment vous êtes-vous approprié l’héritage de la maison ? Avez-vous consulté les archives ?

Bien sûr ! J’ai étudié. J’ai appris la langue Saint Laurent, en même temps que j’apprenais le français. Je me suis totalement plongé dans cette culture, en observant l’intérieur d’un vêtement, en écoutant des histoires sur M. Saint Laurent, en regardant les cassettes de ses défilés.

Vous avez été appelé par Tom Ford chez YSL. Que vous a-t-il apporté ?

Il m’a permis d’apprendre la couture française, sans être en première ligne. Il m’a permis aussi de réfléchir à la médiatisation, de me protéger de certaines erreurs inhérentes au succès.

Revenons à l’époque de M. Saint Laurent. Qu’est-ce que vous en conservez ?

Si je dois traduire ce que j’ai retenu en un seul mot, c’est l’élégance. Une sorte de bonne éducation, qui n’empêche pas d’être excentrique, voire en dehors du système. Pour moi, c’est la force de M. Saint Laurent. Son regard sur la vie, sur les femmes a toujours été chargé d’une élégance absolue.

Quel est votre apport aujourd’hui ?

Il se fait de façon naturelle, avec ma sensibilité, qui est celle d’un homme de 40 ans, en 2006. M. Saint Laurent a posé un regard sur son époque, je m’inscris dans la mienne. J’ai ma propre personnalité graphique, et bien des choses ont changé : les tissus, la fabrication, le désir des femmes. Beaucoup ont relevé un esprit très  » Saint Laurent  » dans ma dernière collection. Peut-être. En fait, ce que je recherche aujourd’hui, ce n’est pas seulement l’élégance, c’est la féminité. Si un vêtement, même avec des références masculines, ne dégage pas une séduction, une sensualité, une provocation un peu cachée, je ne suis pas content. Après, ça tombe bien qu’un maître comme M. Saint Laurent ait pu penser la même chose !

Vous ne cherchez donc pas à  » faire du Saint Laurent  » ?

Jamais ! Si je rends hommage à un mythe comme la saharienne, je le transforme à peine pour montrer que ce vêtement, conçu dans les années 1960, est toujours moderne. Et si je réfléchis autour de la saharienne, c’est pour analyser la nature intrinsèque de son succès : son côté unisexe, sportswear. Ensuite, je transpose ce savoir à un vêtement plus contemporain, le trench par exemple.

Quel est l’esprit de votre collection automne-hiver, actuellement en boutique ?

Mon travail a été plus intellectuel. Bizarrement, j’ai pris conscience pour la première fois que j’étais un homme qui dessine des vêtements pour les femmes. Ce qui nécessite tout de même un certain degré d’abstraction ! Cette réflexion s’est traduite par une image de femme différente, plus affirmée dans sa silhouette, plus sûre d’elle et de son pouvoir.

Concrètement, comment cela s’exprime-t-il ?

Par des couleurs plus sombres ; par des matières masculines comme le tweed ou la flanelle. Par les structures aussi. La tunique est le symbole de la collection, une sorte de nouvel uniforme, entre le tailleur, la blouse et le pantalon. Elle résume parfaitement cette idée de femme moderne, déterminée.

Vous êtes chargé des collections femme et homme. Ce double rôle influence-t-il votre travail ?

Cela m’aide à définir les deux entités. Chez l’homme, je cherche à souligner une certaine douceur, un côté féminin. Chez la femme, c’est plutôt la force que je souhaite mettre en valeur. La force, comme perception de soi.

Vous êtes italien. Vous êtes passé par Armani et Prada avant de rejoindre YSL. Pensez-vous qu’il existe une façon de penser la mode à l’italienne ?

Les premières femmes qui m’ont inspiré étaient mes s£urs, typiquement italiennes et avec un chic fou ! Mais ma mode n’est pas une mode italienne, ni même française, c’est une mode d’aujourd’hui… Vous savez, les règles qui régissent la construction d’un vêtement sont assez universelles. Après, c’est au styliste d’apporter sa créativité, ou même son envie de casser les codes.

Ne pensez-vous pas qu’il existe une mode européenne ?

Une mode européenne, sans doute. Dans le sens où il existe des affinités esthétiques qui vont du nord de l’Europe à l’Espagne, une sorte de dénominateur commun qui réunit une certaine sensualité des tissus, une façon de porter les vêtements, de se montrer aussi. Une manière de vivre avec la mode très différente de celle des Etats-Unis. Et puis, même si les choses changent, on peut dire aujourd’hui encore que l’Europe reste la matrice en matière de création.

On dit souvent que les créateurs étrangers sont ceux qui saisissent le mieux l’esprit de Paris. Cette ville est-elle importante pour vous ?

Paris est une source d’inspiration quotidienne ! Tout me fascine : le fleuve avec les immeubles qui se reflètent dedans, l’Arc de triomphe, d’où surgit le coucher de soleil. Je suis sans cesse touché, ému par cette beauté et ça me rend plus exigeant, comme s’il me fallait être à la hauteur.

Imaginez-vous vos vêtements pour une Parisienne ?

Toujours. Une femme dans cette ville ou une Parisienne à l’étranger… Lorsque je travaillais sur l’Afrique il y a quelques années, je pensais à une Parisienne en voyage, jouant à associer ses vêtements avec des tissus et des accessoires locaux pour créer sa garde-robe, sans jamais perdre sa sensibilité parisienne.

Vous avez aussi la responsabilité des accessoires. Vous investissez-vous beaucoup dans cette mission ?

A 100 % !

Pourquoi le sac Muse a-t-il obtenu un tel triomphe et sur quel modèle misez-vous aujourd’hui ?

Le sac Muse réunit des atouts fondamentaux : un mélange d’esthétique et de fonctionnalité. Il se décline en différentes dimensions, en différentes matières et s’adapte à l’exigence de toutes les femmes. Selon moi, le sac double réversible est promis au même succès.

Allez-vous travailler sur le design des boutiques ?

Il est trop tôt pour en parler, je suis encore au stade de la réflexion. Mais, en confidence, je peux vous dire que j’envisage cette refonte pour 2007, avec la boutique parisienne.

Nicole Kidman, Kate Blanchett… portent vos couleurs. J’ai l’impression que vous habillez plutôt les actrices de Hollywood ?

Pas du tout ! J’habille aussi Amira Casar, Isabelle Huppert ou Emmanuelle Seigner. La réalité est que les actrices de Hollywood sont plus exposées et qu’elles ont davantage besoin de s’habiller. Vous savez, à New York, il y a des dîners de charité toutes les semaines !

Vous incarnez aujourd’hui la marque YSL. Vous aimez aussi l’élégance pour vous-même ?

Je ne peux pas vivre sans. Je trouve que, pour avoir le respect des autres, il faut d’abord avoir le respect de soi. C’est un effort que je fais tous les matins, quand je me réveille, même avec la pluie… Mais je ne passe que quelques minutes à me préparer, parce que je connais très bien ma garde-robe et que je sais comment la porter. M’habiller, ça me prend trois secondes.

Saint Laurent était très proche des artistes de son époque. Vous, qu’est-ce qui vous inspire aujourd’hui ?

Moi, je n’ai pas de source d’inspiration particulière. Le temps, la nature, les gens… Ce sont surtout les rencontres, les visages qui m’inspirent. Et puis il y a aussi la religion, la mythologie et la littérature, évidemment.

Quel est le dernier livre que vous avez lu ?

Une initiation au christianisme écrite par un prêtre italien. Le précédent était d’ailleurs un essai de Benoît XVI et de Marcello Pera ( NDLR : le président du Sénat italien) sur la religion et la perte d’identité en Occident.

Vous êtes évidemment très impliqué dans les résultats de la maison YSL. Est-ce un frein à votre créativité ou vous sentez-vous à l’aise avec ces impératifs ?

Mon travail n’aurait pas de sens si des gens n’avaient pas envie de porter mes vêtements. On peut parler de ma créativité, mais, au final, j’ai la responsabilité de plus d’un millier d’employés et de 63 boutiques autour du monde. On ne peut pas se détacher de tout cela.

Comment voyez-vous l’avenir de la maison Saint Laurent ?

En rose !

Et le vôtre ?

Aussi. La marque s’appelle Yves Saint Laurent, je la partage volontiers avec l’héritage que je dois garantir, mais je la sens de plus en plus comme la mienne.

Propos recueillis par Lydia Bacrie

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