Le temps était compté, pas les idées : en une moitié d’après-midi, Azniv Afsar, initiatrice de la griffe éponyme et Céline Collard, diplômée de Bischoff’ cuvée 2003, ont transformé leurs quatre mètres de tissu respectifs en silhouettes perso. Avec ces deux jeunes femmes, Weekend Le Vif/L’Express continue sa série de duos de mode. Le but ? Réunir un créateur confirmé et une valeur montante du stylisme autour de deux bustes Stockman. Les modèles, nés de ces rencontres inédites, seront exposés en automne dans le cadre du prochain parcours de stylistes de Modo Bruxellæ.

Suite le 10 septembre prochain.

Remerciements à Utexbel, à Renaix, qui a aimablement fourni les tissus.

Après les tandems Jean- Paul Knott – Carole Lambert, Valeria Siniouchkina – Gerald Watelet, Bruno Pieters – Cathy Pill ( dans notre numéro du 5 mars dernier), Christophe Coppens – Nathalie Demedts ( dans notrenuméro du 2 avril dernier) et Jose Enrique Ona Selfa – Aleksandra Paszkowska ( dans notre numéro du7 mai dernier), c’est au tour d’Azniv Afsar (36 ans) et de Céline Collard (24 ans) de relever le défi lancé par notre magazine. Au final de cette rencontre, une silhouette simultanément graphique et glamour avec une pointe de rétro pour la créatrice d’origine arménienne Azniv Afsar. Et chez Céline Collard, une tenue aux accents mi-nonchalants mi-enfantins, dont l’aboutissement aurait demandé un peu plus de maîtrise du sujet.

Les deux protagonistes se sont retrouvées au centre-ville, dans l’atelier d’Azniv, un bel espace lumineux qui prolonge sa deuxième boutique. Au mur pendent des patronnages impeccablement classés et au fond de la pièce, des modèles auxquels il faut juste apporter une dernière touche attendent d’être mis en vitrine. Entre les bobines de fil bien rangées par couleur, le vaste plan de travail qui surplombe les rouleaux de tissus, la planche à repasser et les petits bureaux supportant des machines à coudre, les deux jeunes femmes ont installé leur buste Stockman et palpent le tissu d’un air entendu. Céline a un faible pour le coton, surtout quand il est bien épais et qu’il  » craque  » un peu. Azniv, elle, n’a pas du tout le coup de foudre : ce qu’elle préfère, c’est la laine, ou alors des cotons avec des apports techniques, un peu sophistiqués. Ce qui ne l’empêche pas de réfléchir illico à son processus créatif, en traçant quelques signes et croquis préliminaires sur une feuille blanche. L’une et l’autre n’ont pas l’habitude de travailler sur buste : du croquis, elles passent directement à la réalisation du patron. Quant au timing, si Azniv aime aller vite et bien en s’octroyant des pauses régulières pour se vider la tête, Céline, elle, procède avec circonspection. Qu’à cela ne tienne : le challenge de ce duo de mode n’en sera que plus piquant.

A chacune ses armes : pour Azniv, ce sera un bataillon d’épingles tandis que Céline, qui a apporté lattes et équerre, privilégie le fil et l’aiguille avant de passer à la machine à coudre. Pour définir les premiers profils de sa tenue, elle marque le tissu à la craie puis en déchire de larges pans. Pendant ce temps, Azniv repasse soigneusement son métrage de tissu avant de commencer à le disposer sur le buste. Ça coupe, ça taille, ça coud et ça pique même si, dans le flux continu de l’imagination, ni Azniv ni Céline ne savent encore vers quel type de vêtement elles vont se diriger.  » Attention aux mensurations, prévient Azniv : la poitrine dessinée sur le Stockman n’a rien à voir avec la réalité.  » A première vue, elle a arrêté son choix sur un corsage et s’affaire à serrer celui-ci sur le buste. Pour sa part, Céline a dressé une espèce de robe-tunique mi-longue et fendue au devant, dont elle s’occupe de surfiler l’encolure et d’assembler les épaules.

D’ordinaire, Azniv décolle littéralement de la planète quand elle crée, accédant presque à une autre dimension où elle et le vêtement ne font qu’un.  » Ici, c’est tout à fait différent, déclare-t-elle : il y a trop de gens dans l’atelier et trop de contraintes par rapport à mes élaborations habituelles. Avant de commencer à travailler, j’ai coutume de ranger mon atelier et de faire le vide dans ma tête. Je pense que c’est une attitude typiquement féminine.  » Concentrée, elle examine avec minutie l’équilibre des pinces de poitrine et du décolleté en V sur son corsage en devenir. Dans le dos, et par une subtile application du fer à repasser, elle imprime trois plis verticaux. Le bas du vêtement, asymétrique, met joliment en valeur la naissance des hanches.

Etape machine à coudre pour Céline, qui peaufine l’assemblage de sa robe-tunique et réfléchit à la confection d’un grand col rappelant celui des vestes de smoking. Chez Azniv, les épingles mènent la danse : elle les fixe en file indienne à différents endroits de son vêtement (coutures latérales, encolure, clavicule…) et l’on dirait autant de micro-bijoux enchâssés dans le corsage. Celui-ci, déjà très chic, a une indéniable allure fifties, une période particulièrement appréciée par Azniv.

Céline, en revanche, avoue un faible pour le temps de l’adolescence et les rapports mère-fille qui passent notamment par le vêtement et l’élégance. Sa tunique entièrement cousue, elle lui donne un petit coup de fer, histoire d’en dompter les ourlets intérieurs. Soudain, Azniv décide de ne pas s’arrêter à la conception d’un corsage ; c’est vers une robe que vont maintenant ses idées.  » Moi, j’ai un peu l’impression d’avancer à l’aveuglette, confie Céline. J’ai bien une silhouette en tête mais les contours en sont encore flous « .

Tout à sa création sur le vif, Azniv a saisi un généreux métrage de tissu qu’elle dispose, sous le corsage, à la manière d’une jupe portefeuille à ourlet asymétrique. Elle souligne que le travail sur buste est très inattendu et que l’on se dirige vers une tout autre réalisation, au fur et à mesure qu’évolue la silhouette. A noter, l’asymétrie de la taille de sa jupe correspond pile-poil à celle du corsage, et la légère échancrure qui en découle est à la fois pointue et sexy, révélant progressivement une robe au glamour décalé.

Céline a confectionné les deux pans qui constituent son futur col de smoking û un accessoire à envisager à part û, et les assemble à l’aide d’un mince ruban qu’elle nouera ensuite dans le cou de la robe.  » On peut l’appeler robe-chemisier ou encore veste-tunique, précise-t-elle en reconnaissant que c’est assez ardu quand on n’a pas coutume de travailler sur Stockman. J’ai tellement l’habitude de procéder d’abord sur papier que je chipote avec ce buste.  »

Azniv dispose à présent une seconde jupe, plus courte, sur la première dont elle vérifie le tombé à l’avant et à l’arrière ainsi que le pli majeur qui s’ouvre vers l’extérieur dans un très joli godet. Ce qui ne rencontre pas le désir de la créatrice est immédiatement éliminé à coups de ciseaux diligents.  » Dur, dur de ficher ces satanées épingles dans une double couche de tissu ; il faudrait un marteau !  » Cependant, la superposition apparaît plutôt réussie et Azniv, après avoir ôté les fils indésirables, assure le gonflant de la double jupe en quelques passages de fer à repasser.

Céline, qui a l’esprit ludique, découpe maintenant dans le tissu des moufles géantes qu’elle va coudre puis fixer à l’extrémité du ruban qui maintient son col de smoking sur la robe. Un peu à l’instar des gants que l’on attache à la veste des bambins afin qu’ils ne les perdent pas.

Revenue au corsage de sa robe, Azniv lui a donné un tout petit peu plus d’ampleur en modifiant la disposition des pinces et fait partir, de la taille, différents plis parsemés d’épingles qui se dessinent, telles les branches d’un éventail, sur le buste. Last but not least, elle froisse artistiquement l’un des pans frontaux du corsage, jouant toujours habilement sur le mode de l’asymétrie.

 » Voilà, j’en vois la fin « , s’exclame Azniv qui a renoncé à prolonger ses emmanchures, dont elle  » checke  » le moindre détail, par des manches-rubans. Céline, qui semble peiner à finir ses moufles, a raccourci l’ourlet de sa robe et retaillé, elle aussi, les emmanchures. Enfin, elle attache lesdites moufles à l’autre extrémité du ruban qui retient le col et laisse, au contraire d’Azniv, le tissu s’effilocher à l’envi.  » C’est un peu bordélique, mais cela me ressemble assez « , conclut Céline qui s’extasie sur l’élégance rigoureuse de la robe d’Azniv.

Au final, deux créations complètement différentes, reflets exacts de caractères diamétralement opposés… ce qui donne du sel et de l’étoffe, justement, au principe des duos de mode.

Marianne Hublet – Photos : Bertrand Sottiaux

 » Le travail sur buste est très inattendu : on se dirige vers une autre réalisation au fur et à mesure que la silhouette évolue  » (Azniv Afsar).

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