La capitale mondiale du cheesecake n’a qu’à bien se tenir. Les très belges Tartes de Françoise débarquent et comptent bien croquer la Grosse Pomme à pleines dents. Au menu : tartes au fromage, au citron meringuée, moelleux au chocolat, crumbles et quiches en tous genres. Les New-Yorkais fondent.

Le pari ?  » Un jour prochain, les New-yorkais feront la queue devant cette porte.  » Grise, terne, lourde et métallique, comme si les propriétaires craignaient une effraction, elle n’a pourtant rien d’attrayant, cette porte. À l’image du quartier, d’ailleursà à première vue. Il n’y a pas si longtemps, avant le grand nettoyage opéré par le maire Rudolph  » Mr Propre  » Giuliani, Hell’s Kitchen portait bien son nom : c’était un coupe-gorge. Mais aujourd’hui, la  » Cuisine du diable « , qui couvre une quinzaine de blocs entre Times Square et l’Hudson River à l’ouest de Manhattan, est devenue the place to be. Dynamique et branchée. Et encore abordable, au plan immobilier.

Derrière la porte, où seul un autocollant discret désigne l’occupant des lieux, un minuscule bureau d’à peine 6 m2. Puis de subtils effluves mettent la puce au nez du visiteur et l’attirent irrésistiblement au sous-sol : une cave de 150 m2 traversée par les tuyaux du chauffage urbain. Et cette odeur envoûtante qui filtre de grands fours à pizza. Devant eux, noyé sous une musique déjantée et armé d’une pelle de boulanger, s’affaire un personnage tout droit sorti du Bronx.  » De Brooklyn « , corrige fièrement Ernesto, ce New-Yorkais d’origine portoricaine, fan de reggae dancehall et de slow food. L’homme confectionne les Tartes de Françoise à New York depuis deux mois. Sélectionné parmi 150 répondants à la petite annonce passée par la PME bruxelloise, partie croquer la Grosse Pomme, malgré son bonnet rasta et sa collection de tatouages, dont une froide tête de mort sur l’avant-bras droit. Et son accent de Brooklyn à couper au couteau – à tartes.

 » La chance de ma vie, chewing-gume ce jeune père divorcé, qui se lève tous les matins pour préparer le déjeuner de sa fille Violette, 1 an. Quand j’ai trouvé ce job, je travaillais comme pompiste à 9 dollars (6,75 euros) de l’heure, après avoir tâté de tous les petits boulots. J’adore mon travail, je gagne plus que dans un restaurant et je sais qu’ils me donneront ma chance. Si tout va bien, je dirigerai bientôt une équipe.  » Formé pendant quinze jours à Bruxelles, Ernesto confesse :  » Je n’avais jamais quitté New York. Pas même pour voyager aux Etats-Unis.  » Son rêve est de pouvoir s’installer à Harlem, au nord de Manhattan.

La Mecque du cheesecake

Lancées voici douze ans, dans leur microcuisine bruxelloise, par Olivier Laffut, jeune cadre au Crédit Lyonnais où il s’ennuyait ferme, et sa femme Françoise, les Tartes de Françoise (elle était au fourneau) sont devenues une référence au rayon pâtisserie haut de gamme. Emblèmes : la mousseuse fromage/spéculoos, l’aérienne citron/meringue italienne, le fondant moelleux au chocolat, le craquant crumble aux pommes. Sans oublier la rhubarbe orangée, coup de c£ur du patron, ni la panoplie des quiches. Trois tartes par jour au départ, puis trente, aujourd’hui 1 200. Pour un chiffre d’affaires de 4 millions d’euros et près de 50 salariés.

Un succès d’autant plus remarquable que cette PME artisanale n’a jamais eu de vitrine. Ni boutique, ni marketing. Même si elle produit à Gand et à Seneffe pour ses clients restaurateurs, les amateurs se pressent toujours dans le sombre couloir d’accès à l’atelier d’origine, à Ixelles, créé lorsque la cuisine familiale devint vraiment trop exiguë. Le week-end, on reconnaît l’entrée à la queue qui dévore le trottoir.

Le même genre d’attroupement battra-t-il le pavé à New York ? Olivier Laffut et son managing directeur Jean Baisier rêvent d’y reproduire la success story.  » Au départ, c’est un défi, admet le second, fin gastronome et businessman avisé. New York est connue comme la Mecque du gâteau au fromage. Mais le nôtre est plus léger, plus raffiné, son goût plus subtil. Un jour, vous verrez, le supplément gastronomique du New York Times titrera :  » Le meilleur cheesecake de New York est belge.  »

En attendant, c’est Dimitri van Meerbeeck qui essuie les plat(re)s. Bombardé general manager de la filiale américaine à 30 ans, il en est l’autre artisan – avec le cuisinier Ernesto, qu’il a lui-même recruté  » parce qu’il a travaillé en cuisine et qu’il en veut « . Dimitri a convaincu ses patrons de se jeter à l’eau, après avoir étudié le marché local sous les auspices du Fonds Prince Albert.  » J’ai sondé la concurrence, identifié les clients potentiels, compté les parts écoulées par point de vente, s’enthousiasme-t-il. Aucun doute sur les chances de produits aussi bons que les nôtres. On va faire un malheur.  »  » Les Tartes de Françoise – Sweet & Savoury  » : le slogan barre les flancs de sa camionnette blanche. La Belgian touch n’est mentionnée nulle part.  » Ici, ce n’est plus un argument de vente, souligne Jean Baisier. Le goût est plus important. « 

Foodies avides de nouveautés

Avec ses 15 000 restaurants, delis et autres food ou bio corners, Big Apple a conquis le statut enviable de capitale mondiale de la diversité culinaire. Où se bousculent les foodies, ces obsédés de cuisine originale et raffinée, avides de nouveautés. Les enseignes et marchés green fleurissent un peu partout, la qualité est devenue une référence. Encore fallait-il en avoir le c£ur net. D’où la rocambolesque expérience menée par le trio dirigeant, accompagné par la mère du patron.  » Nous avons débarqué avec, chacun, deux valises d’ingrédients « , raconte Jean Baisier. Importés en douce.  » Pendant cinq nuits, nous avons investi les cuisines d’un resto tex mex pour y confectionner nos tartes et les faire déguster à tous les amateurs possibles.  » Résultat : au-delà de tout pronostic.  » So delicious ! Tasty ! Fluffy (mousseux, léger) ! Les gens fondaient littéralement. Ils en redemandaient. « 

Reste à établir un business plan. Et à trouver un point de chute.  » On a visité des dizaines de magasins, explique Dimitri van Meerbeeck. Jusqu’à Brooklyn. C’était impayable.  » Loyers demandés : entre 12 000 et 15 000 dollars (entre 9 000 et 11 250 euros) par mois. Hors charges. Et à New York, où le ramassage des ordures est privé, elles sont prohibitives.  » Nous étions prêts à investir dans le marché de Chelsea, dédié aux produits de qualité fabriqués sur place, sous les yeux des clients, enchaîne Jean Baisier. On n’y a pas voulu de nous. Peur de la concurrence ? « 

Tant pis pour la vente au détail. Position de repli : un atelier sans vitrine, pour servir d’abord l’horeca. Comme en Belgique. Ce sera Hell’s Kitchen, stratégiquement situé.  » L’atelier appartenait à un traiteur kasher. On a tout repris, sauf le personnel. Et le rabbin.  » Coût mensuel : 5 500 dollars (4 125 euros). Fin avril, Ernesto produit déjà dix tartes par jour, vingt en fin de semaine.  » à 150, nous sommes rentables « , précise Jean Baisier. Elles sont vendues 20 dollars (15 euros) pièce.

Dimitri van Meerbeeck, lui, partage son temps entre les livraisons et la prospection, la chasse aux nouveaux clients. Ce matin-là, il passe d’abord livrer sa première aficionada, la comtesse LuAnn de Lesseps, qui fête l’anniversaire de son talk-show vedette : Real housewives of New York City. Belle pub en perspectiveà Un crochet pour déposer des échantillons chez Justin, chef d’un snack au Chelsea Market, puis la consécration : les cuisines du Grand Hyatt Hotel, sur Park Avenue. Nicolas, le sous-chef de ce 5-étoiles, ne tarit pas d’éloges sur les  » délicieux cheesecakes « . Il en commandera 80, pour une réception. Et, depuis, trois nouvelles tartes chaque jour.

Des débuts prometteurs ?  » Avec l’arrivée des beaux jours et des terrasses, avec le réveil des traiteurs boostés par les réceptions, conclut le jeune entrepreneur, les perspectives ne sont pas seulement bonnes. Elles s’annoncent savoureuses. « 

Carnet d’adresses en page 86.

Par Philippe Camillara

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