Peut-on affirmer que vous êtes un véritable patchwork de nationalités?

Peut-être oui (sourire). Mon père est sénégalais et ma mère antillaise. Je suis né à Dakar mais j’ai quitté l’Afrique très tôt. J’ai passé ma vie dans l’est de la France. Lorsque je retourne au Sénégal, ne parlant pas wolof et n’ayant jamais vécu là-bas, les types me voient comme un…

Un Blanc !

Là-bas, je suis l’étranger, celui qui est parti, le traître ! En France, je me considère comme immigré de la troisième génération. Et de facto, je suis pétri de culture française.

Cela dit, votre premier album est – sans vouloir tomber dans les clichés – un disque de soleil !

Oui, mais il y a aussi du spleen: j’évite l’esthétique de la dépression, mais on y trouve de la mélancolie. Même pour les thèmes plus graves, je ne voulais pas de pathos: cela aurait été obscène. Ce qui m’intéresse en musique, c’est le pouvoir de suggestion !

La mélancolie est-elle la conséquence directe de votre enfance un peu isolée dans une petite ville de l’est de la France ?

Oui, cela doit avoir un rapport. Quand j’avais 19 ans, j’ai compris que je n’appartiendrais jamais à aucune norme. J’ai toujours eu besoin de faire mon truc dans mon coin, en marge des autres, histoire de ne pas me mettre en situation de demandeur. De cette manière, personne ne pourra m’opposer de refus !

Mais quand il y a qualité, il y a pérennité: un formidable exemple récent avec Henri Salvador qui décroche des Victoires de la musique après soixante ans de carrière !

Le truc que j’ai retenu là-dedans, c’est que je me dis que ce gars-là qui a l’âge de mes grands-parents, a dû connaître des expériences extrêmement différentes de moi. Beaucoup de gens de sa génération étaient relégués à des rôles de clowns noirs: c’était très castrateur de vivre cela.

Mais, aujourd’hui, on sort doucement des stéréotypes attachant le noir à la beauté ou à la puissance physique.

On commence seulement à en sortir: chez les Africains, il y a toute une partie de la bourgeoisie qui envoie ses enfants faire leurs études en Suisse, au Canada, aux Etats-Unis ou en France. Mais c’est peut-être parce que je n’ai rien de subversif que les portes se sont ouvertes. Je n’ai aucune velléité de militant mais je ne veux pas être le nègre Banania !

Est-ce que l’écho très favorable recueilli à la sortie de votre disque donne des raisons de fierté aux communautés antillaise ou africaine ?

J’ai croisé des jeunes maghrébins ou des jeunes noirs de mon âge qui avaient l’impression de vivre la même expérience de vie que moi. Mais cela s’arrête là ! En plus, les Antillais sont particuliers: ils ont du mal à gérer leur histoire. Ils n’aiment pas les Français, ne veulent pas entendre parler des Africains, ils ne sont pas bien dans leur peau. Cela dit, ma mère qui habite aujourd’hui aux Antilles, est contente pour moi.

Propos recueillis par Philippe Cornet

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