La mode se colle désormais une nouvelle étiquette : l’éthique. Commerce équitable, textile bio ou savoir-faire traditionnel, les vêtements sont prétextes à mille belles idées, prêtes à changer le monde. Lorsque le prêt-à-porter devient prêt-à-penser, on s’habille  » engagé « , sans oublier le style.

(1) Ethical Fashion Show, les 7, 8 et 9 octobre, à l’espace Blanc-Manteaux, à Paris. Les deux premiers jours sont réservés aux professionnels. Ouverture au public le dimanche 9 octobre, avec possibilité d’acheter. Internet : www.ethicalfashionshow.com

Quand on pense mode éthique, on a tendance à imaginer des tee-shirts bio en coton écru, d’une simplicité peu lumineuse. Certes, le concept en vaut la chandelle, mais les adeptes de la mode éthique semblaient avoir jusqu’ici négligé le style. Qu’à cela ne tienne, des créateurs bien inspirés ont pris pour mission d’y remédier. Aujourd’hui, on oublie donc le coton tristounet pour afficher une mode stylée, et éthique de surcroît !

Mais derrière l’étiquette éthique, on trouve une multitude de concepts. L’idée originelle, c’est peut-être tout simplement d’imaginer autre chose qu’un simple vêtement. Et le challenge est relevé haut la main par quelques créateurs, souvent trop méconnus. Le contre-exemple de cette absence de notoriété ? C’est sans doute la fameuse et médiatique basket Veja. Vrai phénomène de mode, elle a été encensée par les magazines et référencée dans les boutiques branchées dès son débarquement en France, il y a quelques mois. Derrière cette première basket  » made in commerce équitable « , deux jeunes Français de 26 ans, Sébastien Kopp et Ghislain Morillon. Leur atout ? Une basket un rien seventies, pile-poil dans l’air du temps. Leurs arguments ? Une chaussure composée de caoutchouc naturel et de coton bio, achetés à des petits producteurs brésiliens à un prix décent, puis filés, tissés et assemblés là-bas, dans des conditions sociales privilégiées. Arrivée en France, ladite basket est stockée et livrée par une association de réinsertion, Ateliers sans Frontières. Téméraires, les deux créateurs ont choisi d’agir plutôt que de doucement rêver. Autant dire que cette basket-là est désormais un vrai symbole et soigne beaucoup plus que son style.

La vraie nouveauté de la mode éthique, c’est son aptitude à conquérir, désormais, les vrais lieux de mode. Pendant longtemps, elle a en effet été reléguée à quelques boutiques spécialisées bio ou cultures du monde. Un rien baba. Aujourd’hui, elle se fait une place au milieu des autres créateurs et s’offre même un véritable espace de rencontres : l’Ethical Fashion Show (1). Pendant la semaine parisienne de la mode qui se tient actuellement, une cinquantaine de créateurs à l’étiquette éthique vont donc faire salon et défiler. Derrière cette deuxième édition de l’Ethical Fashion Show se cache une femme passionnée : Isabelle Quéhé. Depuis 1995, elle organise le Free Market, un rassemblement parisien et mensuel de créateurs et artisans, dans des lieux chaque fois différents.  » Un jour, j’ai vu défiler des créations d’Oumou Sy, une créatrice sénégalaise, se souvient Isabelle. J’ai été fascinée par son travail, je le trouvais digne d’un Yves Saint Laurent. Pourtant, elle n’est pas connue en France, ou trop peu. Car la mode ne s’est faite que dans un sens. On voit régulièrement des couturiers européens ou américains s’inspirer d’ethnies africaines, de cultures sud-américaines ou de traditions asiatiques. Mais on ne voit jamais le travail des Africains qui s’inspirent de l’Europe. Pourtant, je me suis rendu compte que, comme Oumou Sy, beaucoup de créateurs émergeaient dans les pays en voie de développement et avaient besoin de réseaux pour se développer. C’est d’abord comme ça qu’est née l’idée de l’Ethical Fashion Show : lancer un espace de mode alternatif afin de présenter ces créateurs-là au public parisien.  »

A côté de ces créateurs qui travaillent dans leurs pays, avec des artisans de là-bas, Isabelle Quéhé invite également, dans ce salon particulier, d’autres  » créateurs de mode éthique « , autrement dit,  » des Européens qui s’inscrivent dans une démarche de commerce équitable, qui travaillent à partir de matériaux de récupération, mettent en place des formations ou travaillent avec des artisans et des matières naturelles « , dixit l’intéressée. Et voilà la seule démarche qui puisse les réunir : faire avancer la mode et le monde.  » Cette mode-là a sans doute l’avantage d’apporter la mixité dans un milieu très fermé où règne généralement un certain parisianisme, poursuit Isabelle Quéhé. L’intérêt, ici, c’est de montrer que la création est partout. Ce n’est donc pas simplement associer des créateurs européens avec des fabricants et artisans africains « .

La création est partout ? Alors que certains se bagarrent encore pour savoir qui de Milan, New York ou Paris est l’ultime capitale de la mode, Isabelle Quéhé brandit, quant à elle, d’autres pistes : elle va piocher, à travers le monde, des styles bien inspirés. Car les créateurs sont les premiers à aller voir plus loin que leur petite planète mode, elle le sait bien. Oui, la mode éthique est multiple. Multiples styles, multiples influences, multiples initiatives, multiples idées et multiples envies.  » Pendant des années, le commerce équitable était l’apanage de quelques voyageurs, pas forcément designers, affirme Isabelle. Aujourd’hui, le sens esthétique arrive et fait la différence.  » Côté sportswear, par exemple, la mode éthique a ses grands noms. Outre la basket Veja, on s’entiche en effet des sweats et tee-shirts de Misericordia. A l’initiative de deux autres jeunes Français, cette collection sport est fabriquée au Pérou, dans un atelier de couture rattaché à un orphelinat. Non seulement Misericordia fait vivre cet orphelinat, mais la marque offre des formations et développe un atelier de couture flambant neuf. Référencée chez Colette, le label imagine une collection en nom propre mais travaille également avec des grands noms de la mode, comme Bernhard Willhelm.

Autres styles, autres initiatives. La créatrice Eliza Gabriel, d’origine brésilienne, imagine des sacs à partir de tissus de récupération et fait travailler une coopérative de huit femmes au Brésil. Ses collections sont colorées et ludiques, contrairement à celles de la créatrice balte Aiste Baranauskiene dont le style est plus épuré et qui puise son inspiration dans les techniques et les traditions lituaniennes. Quant à Baptiste, Parisien parti en stage chez un créateur nigérien, il est tombé amoureux de l’Afrique. De retour en France, il a dessiné une collection d’accessoires, inspirée des richesses du Sahel, et les a fait fabriquer, au Niger, par des artisans touareg. Aujourd’hui, sa petite marque Ikken s’inscrit dans une démarche éthique : respect de la culture touareg et commerce équitable.

Motivés par l’entraide et la formation, les croisements entre pays ne devraient pas s’arrêter de si tôt. Ainsi, les créations de Knowledge is Power voyagent entre l’Inde et la France. Cette marque travaille avec les Dalits, les intouchables indiens, et s’engage dans le combat du docteur Ambedkar, leader de la lutte des Dalits et rédacteur de la constitution indienne. Knowledge is Power s’affiche donc comme un vêtement qui engage celui qui le porte. Chaque vêtement est un symbole fort qui raconte l’histoire de l’oppression et de la lutte des Dalits. La Suissesse Nina Raeber, elle, a créé Coll. Part après s’être installée au Cambodge en 2003. Elle transforme et recycle les sacs qui servent à transporter le riz en de jolis sacs à porter tous les jours. Elle imagine aussi une collection de bijoux fabriqués par une ONG locale pour former et employer des femmes, mais aussi scolariser des enfants. Quant à Mickael Kra, ce Français né à Abidjan, il profite de sa double culture pour imaginer des accessoires. Il travaille les £ufs d’autruche, la terre cuite, l’argent ou les perles de cuir, et partage son expérience et son savoir-faire de bijoutier avec les femmes San du Kalahari.  » La mode éthique est en plein essor, confirme Isabelle Quéhé. Même si certaines marques en sont déjà à leur sixième saison, beaucoup de projets sont nés cette année. On sent vraiment une dynamique.  »

Il est vrai que l’éthique est aussi un argument marketing de taille : les grands groupes l’ont bien compris. La marque américaine American Apparel est notamment en pleine expansion et vient d’ouvrir une boutique à Paris : elle lutte activement contre les  » sweatshops « , les ateliers de la sueur en Amérique du Sud et en Asie, et fait fabriquer toute sa collection, de A à Z, dans ses propres infrastructures. L’idée est de garantir des conditions de travail optimales. Cela passe par des salaires corrects, mais aussi par un éclairage adéquat ou des cours d’anglais pour le personnel, souvent d’origine sud-américaine. D’autres grandes marques suivent le mouvement : La Redoute a été ainsi la première à référencer la basket Veja et commercialise aujourd’hui des tee-shirts labélisés Max Havelaar, ou encore une ligne en coton bio dans les pages de son catalogue Somewhere. Des marques comme Armor Lux, Celio ou Kindy passent également à l’acte car la mode éthique est là pour raconter des histoires. Encore plus que des vêtements, elle imagine des collections à messages, belles et bonnes à porter. L’Ethical Fashion Show, lui, ambitionne d’exporter son concept, et annonce déjà des contacts aux Etats-Unis et aux Pays-Bas.  » La mode éthique doit être internationale, conclut Isabelle Quéhé. C’est là tout son sens.  » Une autre façon de voir la mondialisation.

Amandine Maziers

La vraie nouveauté de la mode éthique, c’est son aptitude à conquérir, désormais, les vrais lieux de mode.

Il est vrai que l’éthique est aussi un argument marketing de taille : les grands groupes l’ont bien compris.

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