A l’occasion du lancement d’une série de parfums et de sa première ligne de maquillage, Thierry Mugler sort de plusieurs années de silence et livre à Weekend les secrets de sa vie. Le créateur évoque les inspirations de son enfance, sa fulgurante épopée dans la mode et ses derniers projets, qui le mettent, plus que jamais, sous les feux de la rampe…

Trente ans de création et de vraie gloire, de démesure, de feux d’artifice, d’anges tombés du ciel. Puis, vu d’ici, plus rien. On le disait retiré des falbalas. Rangé des extravagances. Ne travaillant plus que sur l’immatériel de ses fragrances et la puissance de ses biceps. On le racontait métamorphosé, ascète, quasi cloîtré ; certains l’avaient vu à Las Vegas, d’autres à la Comédie-Française… Dans les milieux de la mode, les gens disaient :  » Il nous manque.  » Or voici qu’après, en effet, de longues années de silence Thierry Mugler revient de New York (où il vit) à Paris (où il £uvre). Renaissance de sa mode masculine il y a quelques mois, lancement d’une ligne de maquillage et de cinq parfums nouveaux au début de l’hiver, préparation d’un grand M show musical  » populaire  » pour 2009… Sans oublier la probable direction artistique d’un haut lieu de la scène parisienne : l’homme au regard laser sera bientôt sur tous les fronts. Et c’est en exclusivité pour Weekend qu’il nous en fait le récit.

Weekend Le Vif/L’Express : Vous disiez avoir quitté Paris définitivement. Auriez-vous changé d’avis ?

Thierry Mugler : Je n’ai pas quitté Paris : j’ai rencontré New York. C’était il y a trente ans, et maintenant mon c£ur est là-bas, dans cette mégapole accrochée à un rocher de silex au bord de l’Atlantique. J’en aime la géographie verticale, la force tellurique. Et le vent du large. Mais mon travail, lui, s’est toujours fait sur les deux continents. Mon bureau est ici, le développement de mes parfums, les studios de photo où j’ai mes habitudes et, souvent, la mise en scène, qui m’occupe beaucoup. Outre cette ligne Thierry Mugler Beauty, ce sont d’ailleurs des projets de cet ordre qui m’amènent cette fois-ci encore.

On entend pourtant des bruits insistants sur la relance de votre prêt-à-porter féminin ?

Oui, je les ai entendus aussi…

Vous êtes l’une des très grandes figures de la mode contemporaine. Aimeriez-vous que cela fasse le sujet d’une rétrospective ?

Cela ne m’intéresse pas une seconde. On m’a proposé des expos aux Arts décoratifs, à Paris, au Victoria and Albert Museum, à Londres, et ailleurs encore. D’accord, mais à condition de tout revisiter, d’en faire un vrai happening. Ce qui coûte une fortune. Donc, pour l’instant, c’est non. Finalement, je trouve tout aussi satisfaisant de voir cette femme dont j’ai défendu l’image être aujourd’hui partout dans la rue. A Londres, à Moscou, à Barcelone, on croise des filles à tomber, libres, belles, superstars en talons aiguilles et taille de guêpe. A l’époque, j’en ai entendu de toutes les couleurs (sexiste, fétichiste, macho, mégalo), mais, vous voyez, j’avais raison.

Vos vêtements étaient fracassants. Vos défilés, des événements retentissants. Le goût du spectacle, déjà ?

J’ai construit mon premier théâtre quand j’avais moins de 10 ans ; réalisé mon premier film (épouvantablement dramatique) à 12. Comme j’étais très seul, enfant, je rêvais, je lisais des illustrés, je fuguais dans la forêt voisine pour vivre dans une grotte comme Timour, l’homme des cavernes ( NDLR : héros de BD dessiné par Sirius). J’imaginais des mondes à l’opposé de celui de la bonne société strasbourgeoise, dont je désespérais de ne jamais sortir. J’ai eu de la chance : lorsque j’ai eu 14 ans, on m’a engagé dans le corps de Ballet de l’Opéra du Rhin. Mes parents ne me l’ont pas pardonné, mais cela m’a libéré. Et la magie de la scène ne m’a plus quitté. Lorsque je suis arrivé à Paris, j’ai découvert que la mode aussi était une mise en scène, une représentation. Avec mon équipe, on y est allé à fond. On a inventé des matériaux, des techniques de coupe, on a travaillé le latex, le métal, le plastique, on a fait des shows formidables. Au fond, il s’agissait toujours de ma seule vraie vocation : le spectacle, en effet.

Il paraît que vous avez dirigé Mylène Farmer pour le rôle de Zézette dans la pièce Le Père Noël est une ordure ?

Oui, et moi je tenais celui de Pierre Mortez ! C’était mon époque  » cours Florent « , où j’ai passé quatre ans de bonheur total. Mais, plutôt que de faire l’acteur, j’ai tourné plusieurs courts-métrages, dessiné des centaines de costumes de théâtre (comme ceux de la comédie musicale pour enfants Emilie Jolie ou de La Tragédie de Macbeth de Jean-Pierre Vincent, présenté à Avignon en 1985, dans la cour d’honneur). George Michael m’a demandé de réaliser l’un de ses clips vidéo (Too Funky), j’ai même fait des pubs télé. Bref, quantité de trucs… Récemment, j’ai collaboré avec le Cirque du Soleil sur Zumanity, une revue jouée depuis quatre ans à Las Vegas et pour laquelle j’ai créé à la fois les personnages, les costumes et les effets spéciaux visuels.

Dans le spectacle, le corps de l’acteur est central. Vous avez beaucoup travaillé le vôtre, qui est devenu impressionnant. Est-ce aussi une  » £uvre  » ?

J’ai eu plusieurs accidents assez graves dont je suis sorti tout de traviole et la colonne vertébrale malmenée. A force d’exercices, j’ai réussi à ne pas avoir de séquelles. Depuis, c’est vital, je m’entretiens. Yoga, stretching, méditation : ça fabrique plein d’endorphines ! Je suis un régime de sportif ultrastrict, composé de sept petits repas par jour, sans sel, sans alcool, sans graisses ni sucres rapides. Difficile ? Oui, mais disons que j’aime les extrêmes ! Pour moi, le bonheur est dans la discipline.

Vous lancez une ligne de maquillage. Comment est-elle née ?

Le maquillage, on y pensait depuis longtemps. Mais faire des  » looks  » chaque année, je m’en contrefiche. Finalement, tout est venu de la photo, d’une réflexion sur l’ombre et la lumière, les reliefs, les polarités. On a cherché les outils pour une beauté fondée sur l’idée d’une métamorphose ludique. Il y a peu de produits mais avec des textures incroyables. Deux exemples : le mascara Cil Vinyl, sans brosse mais avec pinceau – il file sur les cils comme un latex – ou bien Plexi Gloss, composé à 98 % de cristaux liquides pour un effet d’hologramme sur les lèvres. C’est génial !

Vous présentez aussi, et en même temps, cinq parfums. Coïncidence ?

Comme on sculpte sa présence par le maquillage, on le fait avec sa fragrance. La proposition est donc globale. Les parfums se livrent au même jeu de contrastes et d’inattendu que les fards. On a voulu brouiller les cartes, s’amuser, être très créatifs. Ainsi, si une note est mixte, c’est grâce à une tubéreuse ultraféminine et à des herbes masculines. A chaque proposition sa contradiction : la synthèse et le naturel, le virginal et le sensuel, le doux et l’amer…

Et vous, vous portez quoi ?

Je porte ma Cologne. Ce n’est pas un parfum, juste une bonne odeur.

Propos recueillis par Maïté Turonnet

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