Je suis jeune, belge, j’ai du punch, du talent, de la patience et de l’audace. Qui suis-je ? Réponse : Tim Van Steenbergen. Dialogue définitivement alluré avec un créateur qui casse la baraque.

Carnet d’adresses en page 153.

E st-ce l’ambiance du plat pays en général et le quartier, au charme très parisien, d’Anvers où il gîte qui ont forgé le caractère de Tim Van Steenbergen ? Car le créateur d’une des plus percutantes collections féminines de la saison n’est pas décousu dans ses propos. A 25 ans, il a déjà posé ses marques et son style sur les catwalks parisiens. Ancien assistant d’Olivier Theyskens qu’il admire énormément, Tim a directement mis le grand braquet au niveau développement des produits, diffusion, image, mises en scène de défilé, etc. Sa PME porte d’ailleurs ses initiales  » T.V.S. « , et rien qu’à les prononcer, on sent déjà que ça  » pulse  » chez Tim et son team composé de quatre collaborateurs fixes, trois extras et… une maman Van Steenbergen, aussi efficace que loquace ( NDLR : inquiète, d’abord, pour le destin de son fiston sur les chemins souvent glissants de la mode, elle explose à présent de fierté).

En traduisant son nom à la va-vite, on voit qu’il y a de la pierre (steen) et des montagnes (bergen) chez ce garçon. Doté d’une volonté dure comme le roc, il possède en effet une foi propre à déplacer les montagnes. Son parcours ? Sage et successful : humanités classico-classiques (latin-grec), suivies d’une année à plancher sur la réalisation de costumes pour le théâtre puis la formation en mode à l’Académie royale des Beaux-Arts d’Anvers. Diplômé en 2000 – son défilé de fin d’année suscite l’enthousiasme de la presse du cru -, il va rapidement accrocher son wagonnet à la grande locomotive de la mode. Bras droit de Theyskens, il £uvre aussi pour Dries Van Noten, Walter Van Beirendonck (NDLR : à l’Aca d’Anvers, Walter était le professeur de Tim. A présent, il vend ses vêtements dans sa boutique hors du commun aménagée par le décorateur-star Marc Newson), Marina Yee, etc. Voici trois ans, Tim n’avait pas un (euro)cent en poche. Maintenant, il vend aux Etats-Unis, en Russie, au Japon, à Paris et à Bruxelles. Côté créativité vestimentaire et maîtrise technique, il n’y a rien à dire. Ou plutôt si, un mot :  » chapeau ! « . Poésie, précision, performance, patience infinie dans l’élaboration des découpes et des détails, petite touche de nostalgie… Les modèles de Tim Van Steenbergen dépassent le glamour et le (joli) spectacle pour atteindre ce que peu de designers arrivent à exprimer : un véritable état de grâce.

Weekend Le Vif/L’Express : Cette saison, vous avez présenté votre  » vraie  » première collection…

Tim Van Steenbergen : Oui, je me sentais enfin prêt à montrer une collection réellement aboutie. L’hiver dernier, j’avais simplement organisé une présentation en showroom avec peu de pièces, histoire d’expliquer à la presse et au public ce qu’est la maison Tim Van Steenbergen. Je tiens à procéder étape par étape. Dans ce métier, on n’arrête jamais d’apprendre. Sinon, c’est le plantage assuré.

Vous vous êtes inspiré de  » Mort à Venise  » pour cette collection que vous avez voulue romantique. Etait-ce plus le livre de Thomas Mann ou le film de Luchino Visconti qui a servi de point de départ à vos créations ?

Je suis d’abord parti du film et puis, j’avoue, je me suis rué sur le bouquin ( sourire). En fait, je me suis inspiré d’une image en particulier : celle, où à la fin du film, Tadzio, ce jeune homme d’une grande beauté, se fond littéralement dans l’eau du canal alors que le soleil se couche. Du coup, j’ai voulu que mes vêtements ondoient sur les corps ou se balancent lentement comme les gondoles vénitiennes, dans une atmosphère très Belle Epoque, période durant laquelle se déroule d’ailleurs  » Mort à Venise « . Même la musique accompagnant mon défilé était celle du long-métrage de Visconti. Côté matière, j’ai utilisé beaucoup de feutre, de la corde brodée sur de la soie, des coquillages ramassés sur la plage, du coton mélangé ou non…

Comment avez-vous transformé l’image du jeune Tadzio en silhouettes ultra-féminines ?

Tadzio est un stéréotype, l’expression de la beauté parfaite, un peu comme le dieu Adonis. Mais Adonis ne doit pas avoir de genre défini ; qu’il soit homme ou femme, peu importe. Les premières silhouettes de mon défilé pourraient être portées sans problème par des hommes.

Le fait d’avoir suivi des humanités gréco-latines vous aide-t-il dans votre discipline actuelle ?

Et comment ! J’ai appris à effectuer des recherches en profondeur, à étendre ma culture générale, à me passionner pour l’Histoire et toutes les sources d’inspiration qu’elle véhicule.

Quand vous étiez gamin, vous rêviez d’être acteur. Le moteur de votre collection est-il dès lors un clin d’£il adressé à vos aspirations d’enfant ?

C’est chercher un peu loin ( sourire). Ce que je veux d’abord mettre en exergue, c’est l’audace, l’audace de pouvoir rêver encore dans une époque déprimante et un climat international pathétique. Je pense appartenir à une génération de gens qui, envers et contre tout, osent aller au bout de leurs rêves. Chacun sa route : moi, je présente mes créations un peu à la manière de séquences cinématographiques où priment le romantisme, la beauté évanescente, la lumière en demi-teinte… Les gens en ont marre de voir des silhouettes en noir de noir conçues par des styliste à l’humeur tout aussi sombre. Via mes vêtements, j’ai envie de formuler un message positif, envie de crier  » Regardez, nous continuons à croire en l’avenir.  » Que voulez-vous, je suis un indécrottable optimiste.

Vous parliez de sources d’inspiration : où les trouvez-vous ?

Je suis allé à Venise, mais seulement après avoir présenté le défilé ( rire). En général, je ne rassemble pas des masses d’infos pour bâtir une collection ; il faut pouvoir doser son inspiration et avoir confiance en son propre potentiel créatif. Personnellement, je préfère me fixer sur une image ou un détail puis garder ouvert  » le robinet  » de mes idées. Ensuite, je travaille directement sur buste, en 3 D : les formes, les volumes, les drapés me fascinent. Chaque pièce de la collection, même les plus mineures, passent par mes mains. Puis tout est produit en Belgique près de Louvain, là où vont également Raf Simons et Veronique Branquinho. Idem pour le suivi commercial des collections. J’ai donc la chance infinie de pouvoir me consacrer exclusivement au volet créatif du travail de styliste…

Ce sens du volume, des drapés, de l’équilibre entre les différents matériaux qui composent la silhouette… l’avez-vous hérité de votre grand-père architecte et de votre grand-mère couturière ?

Je crois plutôt que c’est grâce à un prof génial, un ancien chef d’atelier qui officiait jadis dans les grandes maisons parisiennes et italiennes. Il m’a donné des cours de drapement  » à la Grès et à la Vionnet  » quand j’étudiais

la mode. C’est une technique fantastique, qui autorise une créativité sans limite et là, j’ai compris que c’était mon truc. En ce qui concerne mon grand-père, je me souviens de lui avoir montré tous les dessins que j’exécutais depuis l’âge de 4 ans. On discutait de mon travail, il m’encourageait énormément, me conseillait… Tandis que ma grand-mère, qui réalisait des robes du soir sur mesure, m’emmenait dans son atelier, parmi tous ces tissus superbes, cette ambiance à la fois luxueuse et surannée. C’est vrai qu’avec eux, j’ai pris conscience de la valeur du geste artisanal et du travail à la main.

Certaines pièces de votre collection été 2003, avec tailles corsetées et crinoline, réfèrent au style d’Olivier Theyskens. Vrai ou faux ?

Chez Theyskens, à Bruxelles, j’ai énormément travaillé sur ce genre de pièces. Ce n’est pas de la plate copie mais ma façon à moi de prendre congé de cette période, très enrichissante, que j’ai passée chez Olivier. J’ai bossé avec lui après la fin de mes études de mode ; j’admire son style et ma collection de fin d’études ne lui avait pas déplu. En outre, ces modèles que vous citez correspondaient bien à l’atmosphère de ma collection. Celle destinée à l’hiver prochain est tout à fait différente. De toute façon, j’estime avoir le droit d’évoluer, de procéder étape par étape. A l’heure actuelle, dès vos premiers pas dans la mode, on vous assène aussi sec du  » Il ne va pas assez loin « . Allez, Rome ne s’est pas faite en un jour !

Que portez-vous, hormis du Tim Van Steenbergen ?

J’irai droit au but ( sourire) : des vêtements de chez H&M, parce qu’ils ont une puissance décoiffante sur le plan du style, de l’image, de l’anticipation des tendances et de la demande du public… Le hic, chez eux, c’est la qualité. Mais ce ne sont pas des produits que l’on conserve des années dans sa garde-robe.

Vous dites que la création vestimentaire est votre métier, pas votre vie. Pouvez-vous préciser ?

Je suis aussi une personne avec ses faiblesses et ses forces, ses qualités et ses défauts. Pas seulement un nom derrière un produit. Je ne veux pas être un de ces gadgets hype avec lesquels on joue une ou deux saisons et que l’on jette ensuite. Et puis, l’existence regorge de pistes créatives différentes du stylisme-modélisme… Alors, autant les vivre à fond.

Propos recueillis par

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