Shiseido se sépare de Serge Lutens, créateur singulier, éclectique et élitiste. Son successeur, l’épicurien Tom Pecheux relève le défi: séduire un plus grand nombre de femmes dans le monde. Avec Shiseido The Makeup, sa ligne de maquillage.
Une révolution ? Chez Shiseido, on parle plutôt d’une évolution … Commençons par les packagings. Pour ne pas trop dérouter les fidèles de la marque, l’idée des boîtiers-galets aux couleurs sombres et profondes a été préservée, mais leur esprit simplissime et épuré à l’extrême a été revu et corrigé. Désormais, les volumes sont plus dodus et carrés. Les lignes, plus ludiques, s’animent de reflets métallisés et nacrés, très mode. Les palettes des fards et des rouges à lèvres jouent avec des gammes chromatiques plus larges et plus variées. Plus familières. Un vent nouveau souffle, enfin, sur les visuels publicitaires. Le mannequin est vivant, palpitant, aïgu. On est très loin de la « femme Lutens » : surprenante et théâtrale, mystérieuse et fascinante, défiant les clichés habituels de la beauté.
La raison de ce coup de balai ? Redonner à la beauté un sens authentique, car » la loi du papier glacé est dépassée « . Pour matérialiser cette nouvelle philosophie du IIIe millénaire, Shiseido a choisi Tom Pecheux, maquilleur français de 36 ans. Un bon vivant et épicurien d’origine bourguignonne que rien ne destinait à devenir un artiste dans l’univers de la mode et de la beauté. Son père était » dans le vin « . Sa mère l’a initié à la bonne chère et lui a appris à cuisiner. Tom a suivi la filière des plaisirs de la table et a terminé une école hôtelière. « Quand on habite à la campagne, Paris fait rêver, forcément et, donc, un jour, j’ai débarqué dans la capitale. Je me suis fait engager comme pâtissier dans un grand hôtel. C’était une cuisine de masse, sans beaucoup d’âme, d’où beaucoup de déceptions. » Il lui faut des compensations. Tom les cherche et les trouve dans les grandes fêtes parisiennes.
Dans cette faune nocturne papillonnent, notamment, des ambassadeurs de la mode et de la beauté. Une » copine « , élève d’une école de maquillage, fait découvrir à Tom Pecheux un univers complètement inconnu. Il le fascine d’emblée. La révélation est tellement puissante que Tom décide de troquer les fourneaux contre les pinceaux de maquillage. » Mes parents étaient très surpris, confie-t-il. Mais j’ai la chance d’avoir des parents merveilleux. Ils m’ont soutenu à fond, moralement et … financièrement, les écoles privées de maquillage étant plutôt onéreuses. » Les débuts sont très difficiles, » mais indispensables « . Petit à petit, la confiance s’installe tant avec les rédactrices de mode que les photographes. De luxueux reportages de mode et de beauté le propulsent au Mexique, au Proche-Orient et en Afrique. » Les voyages devraient faire partie de l’éducation, souligne Tom Pecheux, car ils contribuent à un enrichissement perpétuel et ouvrent l’esprit. »
Puis il y a des rencontres rares. Celles qui donnent envie de s’investir plus dans le métier, d’aller plus loin. Le photographe Mario Testino, par exemple. » Nous avons la même sensibilité au sujet de la beauté féminine, explique Tom Pecheux. La femme que nous aimons, n’est pas forcément belle, dans le sens trop pomponnée, coiffée et maquillée. D’une façon générale, je n’aime pas le « trop ». Quand il est mal employé, il ne sert à rien. La beauté féminine, c’est une sorte d’art de vivre. Une belle femme est épanouie, elle adore la vie. Plutôt que d’adopter une sophistication démesurée, elle opte pour une sophistication de plage, décontractée. «
Héritage de Serge Lutens
Sa rencontre avec Shiseido ? » Un coup de fil qui m’a fait très plaisir ( rires). Cela dit, c’est une grosse émotion. Bon, je ne suis pas tétanisé, mais j’ai toujours peur. C’est difficile de remplacer un maître. Serge Lutens est un génie génial. Il a créé une image tellement forte et inoubliable … Mais, bon, Shiseido souhaite changer d’image et on m’a demandé d’apporter ma sensibilité en termes de couleurs et de textures, des éléments à la fois mode, mais conçus dans le respect de la femme. Derrière, il y a aussi l’idée de profit. Le nouveau Shiseido The Makeup doit bien se vendre et faire gagner de l’argent ( rires). C’est un défi, mais j’aime les défis. »
A-t-il reçu carte blanche ? Pas vraiment. Tom Pecheux travaille en équipe, en suivant un plan marketing assez précis. L’objectif consiste à retravailler une ligne, riche d’une (belle) histoire, et de la faire évoluer selon les critères du IIIe millénaire. L’idée n’est plus d’imposer un modèle, une icône, auxquels la consommatrice tenterait vainement de s’identifier. Plus de règles, ni de diktats, non plus. Au contraire, fards, poudres et couleurs ne sont qu’une proposition. La collection comprend des produits assez basiques, aux couleurs portables et plutôt classiques. A chacune de jouer avec les textures et les palettes pour » innover en toute liberté, créer son propre look et exprimer sa beauté originelle « .
Quelques » plus » …
Chez Shiseido, le fond de teint est considéré comme un élément majeur du maquillage. Le maquillage étant une peinture, il a besoin d’une toile. Or si la toile n’est pas bonne, la peinture sera mauvaise … Les nouveaux fonds de teint ont donc bénéficié d’une attention particulière. En maîtrisant et en contrôlant les principes de la réflexion de la lumière, les laboratoires Shiseido ont mis au point des pigments et des poudres qui corrigent les défauts et les imperfections du teint de manière optique, en évitant ainsi des couches de fond de teint opaques et trop épaisses. La gamme de fonds de teint est beaucoup plus large que dans le passé et la palette de coloris plus étendue. » Il ne faut pas oublier que Shiseido est commercialisé dans 63 pays et il est nécessaire que toutes les femmes, aux différents types de carnation, puissent trouver leur bonheur « , souligne Tom Pecheux.
Autre innovation: la maîtrise de la couleur. Celle-ci est dorénavant identique … dans le pot et sur la peau. Et ce, grâce au Pigment Micromatique. Rappelons, tout d’abord, que dans un rouge à lèvres, les pigments (présents sous forme de boules microscopiques) sont entourés d’une couche de silicone. Cet enrobage est nécessaire pour assurer une bonne « glisse » sur les lèvres. L’inconvénient ? Ces particules de pigments enrobés ont tendance à s’agglutiner, créer des amas, donc des zones plus denses. Résultat, la couleur paraît plus foncée. Or, dans le nouveau Pigment Micromatique, la couche de silicone est plus épaisse. Le rouge à lèvres se répartira donc de façon plus uniforme. De plus, ce type d’enrobage empêche les pigments de se fondre avec le sébum. Au fil des heures, la couleur bouge moins.
Enfin, il y a aussi du neuf du côté des mascaras. Aux pigments classiques se sont rajoutés des pigments iridescents. Ils optimalisent la réflexion de la lumière. Par conséquent, la couleur sur les cils est plus présente, plus nette et plus » brillante « .
Barbara Witkowska