Amoureux des formes géométriques, le propriétaire de ce jardin avoue volontiers une préférence pour la ligne droite. Homme aux goûts et passions éclectiques, il a aussi sculpté une tribu de topiaires… Une véritable féerie sous la neige.

Cette nuit-là avait déployé sur Bruxelles un doux manteau de neige. Ces quelques centimètres de poudreuse blanche suffisaient à effacer l’inutile pour ne garder que l’essentiel. C’est à l’aube, souvent durant quelques brèves heures seulement, que les jardins offrent un merveilleux spectacle hivernal. Pour autant qu’ils aient été conçus avec le sens de la forme et des lignes, la vision est tout simplement féerique… Et voici que les topiaires, ces arbustes taillés architecturalement, se transforment en légions de bonshommes de neige. Leurs silhouettes, ici élancées, là plus dodues, se dessinent avec une grande précision sur fond de ciel bleu.

Le propriétaire de ce jardin peut ainsi mesurer l’effet d’une £uvre entreprise voici plus de trente ans et sans cesse développée.  » C’est un jardin que j’ai imaginé et aménagé seul, confie-t-il. Au sol, vous discernez ainsi des motifs en pavés que j’ai placés l’un après l’autre. En tout, j’ai dû en manipuler au moins huit tonnes. J’effectue également seul toutes les tailles annuelles. Cela débute en mai par les buis, en juin ce sont les Taxus, puis je recommence fin juillet pour la seconde taille des buis.  » A ceux qui s’étonnent d’autant de patience, notre jardinier amateur répond :  » Je suis un manuel égaré dans le droit, dont j’ai fait ma profession. La taille des topiaires, c’est ce que je préfère, je peaufine deux ou trois structures par jour, ce qui m’occupe quelques heures. Je trouve, en revanche, beaucoup plus monotone l’entretien des haies. Et la tonte de la pelouse avec tous ses motifs est passablement ennuyeuse.  »

Les fleurs n’ont pas ici trouvé droit de cité.  » Je n’ai aucune peine à avouer que je suis maniaque. Tout ce qui perturbe les belles lignes me dérange. D’ailleurs si un buis se met à pousser de manière anarchique entre deux saisons de taille, je vais aussitôt rectifier cela d’un coup de sécateur.  » Lui qui se considère comme une sorte de passéiste aime Le Nôtre à Vaux-le-Vicomte, ou, dans le Surrey anglais, Great Dixter, le jardin de Christopher Lloyd. En Italie, il cite en premier lieu le Giardino Giusti à Vérone, sans oublier la Villa d’Este, sur le lac de Côme, ou la Villa Lante et le jardin secret du Palazzo Farnese, au nord de Rome. Dans les jardins les plus contemporains, celui du manoir d’Eyrignac, dans le Périgord, force son admiration,  » pour la proportion entre la partie bâtie et le jardin, pour la structure de l’ensemble, le jeu des différentes tonalités de vert, pour son aspect géométrique.  » Et c’est pour ce même rapport équilibré entre le bâti et le dessin topiaire qui le séduit à la bastide de La Gaude, près de Aix-en-Provence.

Des verts, de la structure, de la géométrie… Vous retrouvez tout cela dans ce jardin bruxellois. Quelques références supplémentaires ont cependant animé son créateur. Suivez donc le dessin du contour de la pelouse : il évoque la place Saint-Marc à Venise, où le même parcours est exécuté en marbre. Et ce n’est pas tout : ici, les pavés dessinent au sol le cheminement ésotérique d’un labyrinthe. Là, trois colonnes en forme d’obélisque font référence au temple de  » La Flûte enchantée  » de Mozart. Ailleurs, une sphère armillaire (un assemblage de cercles concentriques figurant les mouvements apparents des astres autour de la Terre, située au centre) est gardée par une paire de chiens en pierre, petit clin d’£il à deux chiennes, bien vivantes celles-ci qui accompagnent toujours le propriétaire des lieux.

Immuables, les éléments en pierre ou en métal voient chaque année grandir tout autour les structures végétales. L’amoureux des formes régulières ne ménage pas son évident plaisir. Tour à tour, il donne forme à une pyramide, à une boule arrondie, à un cône… Mais, manifestement, ce sont les colonnes composites, formées de plusieurs boules ou d’un empilement de plateaux qui lui apportent la plus grande satisfaction. C’est ainsi que, selon sa propre formule, il se donne  » l’illusion de sculpter, sans être sculpteur « . C’est sans doute pourquoi, à chacune de ses apparitions, la neige lui rend hommage à sa manière, soulignant les mois de travail de l’année écoulée.

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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