L’Américain Daniel Libeskind a construit des édifices grandioses partout dans le monde. Après New York, Berlin, São Paulo…, il signe un centre de congrès pour Mons. Une aubaine pour notre petit pays plutôt pauvre en bâtiments contemporains novateurs. Rencontre sous le signe de l’optimisme.

Son large sourire et son rire sonore en disent long sur sa façon de voir les choses. Daniel Libeskind n’est pas de ceux qui se lamentent sans cesse que le monde tourne mal. Il aime son métier, la culture, la vie, sa femme… Pas pédant pour un sou, celui qui est né au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en 1946, dans une famille juive polonaise rescapée du nazisme, puis s’est fait naturaliser américain dans les années 60, s’estime chanceux d’être arrivé où il en est. Mais plus que la bonne fortune, c’est le talent qui a fait de lui l’une des plus grandes pointures internationales de l’art de bâtir. Lorsqu’il remporta en 1989 le concours pour l’édification du Musée juif de Berlin, il décida de lancer son studio. Dix ans plus tard, le bâtiment – d’une envergure exceptionnelle pour ce qui était son premier projet personnel – était inauguré. Au fil du temps, ce lieu de mémoire est devenu un manifeste contemporain pour les architectes de toute la planète. Derrière une enveloppe en zinc, percée aléatoirement de failles vitrées typiques de ses £uvres, les notions de souvenir, de respect, de désespoir et d’espoir s’entrechoquent dans des espaces atypiques : une pièce complètement noire perforée d’un oculus pour évoquer les victimes de l’Holocauste, un jardin de béton  » planté  » de colonnes penchées pour suggérer le mal-être des exilés… En 2009, l’homme aux bottes de cow-boy – son dress code – est sélectionné pour imaginer un plan directeur pour Ground Zero à New York, un autre site chargé de sens. C’est alors l’emballement : en 2006, il conçoit l’extension du musée d’art de Denver et, l’année suivante, celle du musée royal d’Ontario. En 2011, il crée un master plan pour Keppel Bay (Singapour) et rénove le musée militaire de Dresden, en Allemagne. Aujourd’hui, il planche sur des gratte-ciel pour Paris et São Paulo, un centre d’art à Milan, une ville entière et des tours en Corée du Sud… En 2014, Mons pourra également se targuer d’avoir un édifice signé du maître puisqu’il y a remporté le concours pour la construction du centre de congrès :  » un bâtiment sculptural, avec une enceinte extérieure en bois et aluminium et une plate-forme d’observation panoramique en toiture.  » Cet ouvrage, dont le chantier a débuté au printemps dernier, sera voisin de la nouvelle gare dessinée par le Catalan Santiago Calatrava, participant ainsi au développement d’une nouvelle zone d’activités dans la cité du Doudou.  » Cette ville est en train de vivre une renaissance. Le monde change et elle suit le mouvement, tout en gardant en tête qu’il est primordial, dans ces périodes de mutation, de rester dans la continuité, de garder son identité « , lance-t-il plein d’optimisme. Et si le bonheur était à portée de brique…

Quel intérêt un architecte célèbre, qui construit aux quatre coins de la planète, trouve-t-il dans ce projet belge ?

New York est unique, Paris ou Mons aussi… Il n’y a pas d’endroits plus ou moins importants dans le monde et la taille d’un site ou d’un immeuble n’est pas primordiale. Mon futur centre de congrès belge sera, comme les autres, un projet qui sort de l’ordinaire. J’aime dire :  » Small is beautiful !  » J’adore cette ville qui se prépare à entrer dans une nouvelle ère. Son territoire est peu étendu mais est significatif car il témoigne de l’histoire européenne. C’est important pour moi car je ne désire pas poser un geste technologique, sans cohérence. Mon architecture se focalise d’abord sur les gens et l’esprit du lieu. Et je comprends et partage celui qui règne à Mons.

Vous considérez-vous comme un  » starchitecte « , contraction de  » star  » et  » architecte  » faisant référence aux quelques vedettes du métier ?

C’est un terme stupide. Évidemment, quand vous allez écouter de la musique, à La Scala par exemple, vous avez envie de voir le chef Daniel Barenboïm diriger l’orchestre, vous ne désirez pas voir un concert sans personne au pupitre. Mais c’est juste un nom, il faut oublier cette idée de star. En art, il y a toujours eu des individus qui ont développé des projets. Ce n’est pas une affaire de groupe, mais de personne. Et s’il y a une personne, il y a une signature.

En Belgique, les esprits sont encore relativement peu ouverts à l’architecture contemporaine. Un projet comme le vôtre peut-il aider à changer les mentalités ?

Selon moi, indépendamment de mon centre de congrès, les choses sont globalement en train d’évoluer. Nous n’en sommes plus au temps où les petites villes et provinces se cantonnaient dans ce qu’elles avaient toujours fait sans se poser de questions. Nous vivons dans un monde différent, où la communication et l’information dominent. Il est donc naturel que de nouvelles idées arrivent jusqu’ici aussi. Je n’ai pas de doute là-dessus, il y a une énergie neuve… même si ce n’est pas encore toujours perceptible dans les actes. Les gens n’ont pas été réfractaires aux plans de ce palais des congrès. Au contraire, ce fut pour mon équipe et moi une très bonne expérience et de belles rencontres. Je pense qu’ici aussi la population comprend qu’un nouvel édifice doit être ancré dans le xxie siècle. Ça ne peut pas être un non-événement. Le bâtiment doit générer un certain intérêt, être fonctionnel, durable, beau et attirer la foule…

Comment vous attaquez-vous à un nouveau projet ?

Mon objectif premier est de connaître le lieu. Je vais sur place, je parle avec tout le monde, je me balade, me renseigne sur l’histoire locale. Et en parallèle, je réfléchis au programme qui va prendre place à cet endroit, à la fonction qui habitera le site. Ensuite, il s’agit de réinventer le design, d’imaginer quelque chose qui ne soit pas juste la répétition d’un modèle existant. Il faut créer de nouvelles significations. Comme à Mons où mon bureau travaille réellement sur une extension de la ville, très différente des quartiers anciens. Avec Santiago Calatrava qui bâtit la future gare, nous désirons former un ensemble novateur, tourné vers le futur, mais toujours connecté au passé. Mon centre et le Beffroi ne doivent pas entrer en concurrence, il faut qu’ils se répondent. Lorsque je suis arrivé la première fois sur place, j’ai fait une promenade, humé l’atmosphère, observé la vie quotidienne… Puis, j’ai immédiatement réalisé un premier croquis (en page 27).

Les symboles sont très importants dans votre travail…

Tous les bâtiments racontent quelque chose. Même une boîte en verre n’est pas neutre, elle est chargée de significations. Mes immeubles communiquent des émotions, suscitent des idées, ont un lien avec l’histoire et le contexte. Ce ne sont pas juste des volumes abstraits posés comme ça dans le paysage. Dans une démocratie, il faut aussi pouvoir apprécier les individualités. Contrairement aux anciens régimes communistes ou fascistes, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne, il n’y a pas une pensée unique. De belles villes comme Bruxelles, Mons, et la plupart des autres cités de ce continent, affichent cette capacité à la différence, à tous niveaux. Cela contribue à ouvrir l’horizon. Dans ce cas, l’architecture joue un réel rôle civique, voire politique, en suscitant un dialogue.

Pourquoi avez-vous décidé de devenir architecte ?

Je ne sais pas réellement ! J’ai joué du synthé pendant de nombreuses années avant de me lancer. Je n’ai pas commencé par une habitation privée, comme la plupart de mes confrères, mais par le Musée juif de Berlin. C’est lui qui m’a donné l’envie de continuer dans cette voie. D’autres commandes similaires ont suivi, des bâtiments plus grands encore, des gratte-ciel, le plan directeur du site de Ground Zero… J’ai beaucoup de chance. Mais je fais aussi de petites choses, j’ai réalisé par exemple une maison, pas pour moi, pour un client.

Qu’aimez-vous dans ce métier ?

Il entretient des liens forts avec tous les arts – la peinture, la sculpture, la musique… -, ainsi que les sciences, les mathématiques, sans oublier la communication. Dans le passé, on disait d’ailleurs que c’était la mère de tous les arts ! Ce job est tellement fun que je ne voudrais rien faire d’autre. L’architecture, c’est aussi de la philosophie, de la méditation, de la musique. L’objectif final est de construire mais c’est en réalité bien plus que cela. Cette discipline fait partie intégrante de la vie, tout simplement.

Comment évolue votre profession ?

Elle est en train de changer car le grand public s’y intéresse seulement grâce aux débats citoyens sur le développement durable, l’environnement, la croissance des villes… Ce n’était pas le cas dans le passé. Avant, on s’imaginait que moi et mes confrères appartenions à une corporation et prenions les décisions unilatéralement. Maintenant chacun veut savoir ce qui va être construit, pourquoi, et à quoi cela ressemblera. C’est ça la démocratie. C’est une belle période pour l’architecture. Mais le risque, c’est qu’elle devienne un produit de consommation de masse, comme une voiture. C’est pourquoi il faut veiller à donner une signification culturelle aux ouvrages, que ce soit un complexe de bureaux, un hôpital ou une école.

Les nouvelles technologie transforment-elles aussi votre discipline ?

C’est une avancée fantastique. Dans le passé, je n’aurais pu construire de tels bâtiments, cela m’aurait pris 500 ans pour les bâtir. Maintenant, nous pouvons concevoir des espaces incroyables et les réaliser dans le temps et dans le budget imposés grâce aux progrès technologiques.

Qu’est-ce qui vous inspire ?

Le monde, la liberté, le vol d’un oiseau…

Avez-vous un endroit favori pour créer ?

Partout ! Je ne m’assieds jamais à mon bureau, d’ailleurs je n’en ai pas dans mon studio à New York. Créer, ce n’est pas s’isoler, partir en retraite, c’est juste être inspiré, choisir un matériau et le façonner.

Aimez-vous le travail en équipe ?

L’architecture en est un, par définition. Je suis la personne qui coordonne les diverses facettes de la mission mais sans mon brillant atelier, qui comprend des professionnels venant de tous les continents et parlant plus de vingt langues, je ne serais rien ! C’est important d’avoir des jeunes notamment, qui apportent un vent de fraîcheur dans la discussion. Et puis, je travaille aussi avec mon épouse, qui est une collaboratrice géniale et bien plus qu’une architecte. Elle n’est pas la femme derrière l’homme mais la femme à côté de l’homme.

Vous rendez-vous encore personnellement sur tous vos chantiers ?

Bien sûr, c’est comme si c’était mes enfants. Il faut garder le contact avec la famille !

Pourriez-vous arrêter de travailler ?

L’architecture ne s’arrête jamais, c’est comme la vie…

Par Fanny Bouvry

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content