Après avoir fait leurs armes sur des collections féminines, certains grands créateurs s’attaquent désormais à la garde-robe masculine. Gros plan sur les nouveaux venus de la mode Homme qui font rimer simplicité et excentricité.

C ontre toute attente, les créateurs de mode affirment généralement qu’il est plus difficile d’habiller l’homme que la femme. Une ligne masculine, disent-ils, exige une certaine retenue que les silhouettes féminines ignorent. Pour la femme, la fantaisie et l’excès sont courants ; en revanche, l’homme s’appréhende, le plus souvent, sur le fil du rasoir, entre sagesse et confort, audace et raffinement. Autrement dit, il convient de ne pas être ennuyeux sans tomber pour autant dans le  » grand guignolesque « . En théorie. Car il y a toujours une exception qui confirme la règle. La preuve : John Galliano qui a signé, pour cet hiver 04-05, son tout premier défilé de mode masculine. Le moins que l’on puisse écrire, c’est que la retenue n’était pas au centre de ses préoccupations créatives. Excentrique et aguicheur, l’homme version Galliano est un métrosexual exacerbé qui jongle avec la fourrure et les shorts sexy, les costards rayés et les jupes en mousseline. Son visage est tantôt poudré, tantôt tuméfié, et son attitude hésite entre provocation chic et agressivité choc. Délibérément hors normes, il se la joue à la fois Casanova, Raging Bull et Village People. Très hot, très m’as-tu-vu, très Galliano.

Dans cet exercice de style délicat qui consiste à affronter l’homme avec une longue expérience de mode féminine derrière soi, Christian Lacroix a, quant à lui, joliment réussi l’examen de passage. Après une quinzaine d’années consacrées exclusivement à la femme, le créateur arlésien a en effet présenté, pour la première fois sur podium, des silhouettes masculines dédiées à l’hiver prochain. Manteaux en tweed à carreaux, pantalons et vestes aux rouges multiples, costumes très classe portés avec des baskets… La collection voyage entre sport et dandysme, élégance et nonchalance. Très terre-à-terre, Christian Lacroix s’est apparemment inspiré de ses propres envies vestimentaires pour relever ce défi masculin :  » Il a toujours aimé composer sa propre garde-robe de façon très personnelle, précise un communiqué de la maison Lacroix, en mélangeant classique, casual et sportswear, tout en opposant, pour les couleurs, des camaïeux doux ou vifs à des tons neutres et sourds.  » Original, audacieux, efficace.

A l’instar du créateur français qui présentait sa ligne masculine diluée dans son prêt-à-porter féminin, le Belge Jean Paul Knott a lui aussi mélangé hommes et femmes dans sa collection de l’hiver 04-05. A vrai dire, sa démarche artistique n’était pas vraiment innocente. Comme il se plaît à le dire, Yves Saint Laurent fit porter un costume masculin à une femme en 1962 et, trente ans plus tard, Jean Paul Gaultier habilla un homme avec une jupe. Pour Jean Paul Knott, il est donc temps de transcender les genres et de faire passer les influences d’un sexe à l’autre car, aujourd’hui, les femmes chipent volontiers les pulls de leurs hommes et inversement. Majoritairement noire avec, ici et là, une touche de blanc, de bleu et de rouge, la collection masculine de Jean Paul Knott semble néanmoins puiser ici son inspiration dans les silhouettes corbeaux de l’époque new-wave avec des manches qui s’allongent démesurément et de jolis drapés qui hésitent, eux aussi, entre masculin et féminin. Sombre, touchant, élégant.

Autre Belge fraîchement débarqué sur la planète Homme, Christophe Coppens s’est limité, quant à lui, à une spécialité qu’il domine depuis douze ans déjà chez la femme : l’accessoire. Pour sa première collection masculine consacrée à l’hiver 04-05, pas de chemises ni de pantalons, mais des écharpes, des cravates, des ceintures, des chapeaux et des boutons de manchette déclinés dans quatre couleurs très sobres : le noir, le blanc, le brun foncé et le bleu marine. Les matières, elles aussi, sont simples et classiques, histoire de jouer la carte du  » morne sexy « , comme il dit.  » L’idée était de développer une ligne d’accessoires que j’avais vraiment envie de porter, précise Christophe Coppens. Il s’agit d’une collection basique, presque classique, mais qui n’est pas ennuyeuse pour autant. Les pièces sont sobres, voire intemporelles, mais surtout pas rigolotes pour reprendre un terme péjoratif que je déteste ! En fait, la création au masculin est un véritable exercice de style : pour la femme, on vomit littéralement la créativité à coups de détails, de finitions et d’imprimés, tandis que pour l’homme, c’est tout à fait l’inverse : il s’agit avant tout de se retenir pour ne pas tomber dans les effets tape-à-l’£il.  » Réussi, le premier essai masculin de Christophe Coppens est à l’image de son créateur. Equilibré, subtil, posé.

Parmi les nouveaux venus de la mode Homme, les Britanniques s’affirment toutefois comme les grandes vedettes médiatiques des années 2004 et 2005. Car dans le sillage coloré d’un John Galliano en grande forme pour l’hiver prochain, Alexander McQueen (pour sa propre marque) et John Ray (pour Gucci) ont, eux aussi, réveillé les podiums masculins déjà tournés vers l’été 2005. Certes, Alexander McQueen avait dévoilé ses toutes premières silhouettes Homme pour l’hiver 04-05, mais il ne s’agissait pas à proprement parler d’un vrai défilé. En juin dernier, le créateur a donc remis le couvert de façon spectaculaire sur les podiums des collections masculines de l’été 2005 présentées à Milan ( NDLR : pour la mode Homme, les grandes marques font en effet défiler leurs silhouettes un an avant la saison concernée). Entre Inde et Sahara, exploration futuriste et actualité militaire, la collection d’Alexander McQueen est à la fois audacieuse et rigoureuse, avant-gardiste et conformiste. Point d’orgue : des mannequins au visage bleu et fuchsia, censés symboliser une autre esthétique. Captivant, décalé, déroutant.

Sommé de relever l’audacieux pari de la succession chez Gucci en lieu et place du médiatique Tom Ford, l’Ecossais John Ray a plutôt bien réussi l’examen de passage avec sa toute première collection masculine pour la griffe italienne. Certes, le créateur discret n’est pas un novice en la matière et il affiche déjà plusieurs années d’expérience passées aux côtés du maître Ford, mais il était prévisible que les critiques l’attendaient au tournant ! Plus de peur que de mal : ses silhouettes exotiques, teintées de sensualité et de raffinement, ont bel et bien été ovationnées à Milan. Puisant manifestement son inspiration au soleil, entre désert et Orient, John Ray a imaginé un homme nomade et décontracté pour qui les djellabas et les broderies en tout genre n’ont visiblement plus de secret. Frais, léger, poétique.

Redynamisée sous l’£il avisé de ces nouveaux venus, la mode masculine démontre qu’elle reste donc, plus que jamais, un terrain d’expérimentation propice aux aventures originales. Curieux, les créateurs traditionnellement dévoués à la cause féminine y voient une nouvelle opportunité de ressourcement artistique où l’approche stylistique du corps n’est pas toujours évidente. Qu’à cela ne tienne, le défi est relevé pour ces six  » jeunes premiers  » de la mode Homme qui vont entraîner, à coup sûr, d’autres passionnés hésitants sur leurs traces prometteuses.

Frédéric Brébant

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content