Il y a encore peu d’études sur les relations entre frères et sours, pourtant fondamentales. La preuve avec le très joli livre d’Ariane et Béatrice Massenet, qui ont recueilli le sentiment de quelques frères et sours célèbres.

C’est une relation unique, très difficile à définir. Une s£ur ou un frère, c’est la seule personne qui vous accompagne toute la vie. Pourtant, il n’y a pas de lien de transmission comme avec les parents, et on ne le choisit pas, au contraire de celui qu’on tisse avec ses amis « , souligne Ariane Massenet, qui vient de signer avec sa s£ur Béatrice, journaliste comme elle, un remarquable ouvrage sur le sujet.  » Les frères et s£urs sont les proches avec lesquels nous vivons le plus longtemps, davantage qu’avec son compagnon, ses parents ou ses enfants. Et comme l’espérance de vie s’allonge, rien d’étonnant à ce que le lien prenne de plus en plus d’importance « , complète Sylvie Angel, psychiatre, directrice du centre Pluralis, à Paris, qui développe une approche pluridisciplinaire des questions psychologiques, et auteure de Des frères et des s£urs (Robert Laffont). Bref, les psys sont unanimes, il y a tout d’une formation première et fondatrice dans ce lien. Car avoir un frère ou une s£ur, c’est aussi faire l’apprentissage de la rivalité.

 » La jalousie est un sentiment réactionnel naturel. Partager l’affection de ses parents est impensable, voire irréalisable « , explique Marcel Rufo, qui a consacré un livre au sujet intitulé Frères et s£urs, une maladie d’amour (Le Livre de poche). Cette relation impose d’abord l’apprentissage de la compétition puis du dépassement de la rivalité (quand la relation est réussie) vers une solidarité, et vers beaucoup de complicité. Même si tout n’est pas rose.  » J’ai souvent en consultation des adultes qui furent des enfants uniques. Ils idéalisent le lien frère-s£ur et n’imaginent pas la jalousie, les chamailleries. La vie n’est pas toujours facile et la fraternité se construit parfois à partir de blessures qu’il ne faut pas nier « , explique Sylvie Angel.

Mais il y a aussi du charnel, de l’indicible dans ce lien.  » Une s£ur est un peu votre double, votre part mystérieuse. On pourrait presque dire que c’est un amour physique qui passe entre elles. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’un homme s’éprenne d’elles successivement ! Ce phénomène étrange s’explique par une ressemblance souterraine, quelque chose de la personnalité profonde qui passe sûrement de l’une à l’autre « , témoignait Cristina Comencini, lors de la sortie de son roman S£urs (Verdier).

 » Lorsqu’on rencontre une célébrité avec son frère ou sa s£ur, les masques n’existent pas. À celui qui a grandi avec vous, on ne la fait pas !  » remarquent Ariane et Béatrice Massenet. La preuve avec le témoignage des Béart, dans lequel Emmanuelle, de plain-pied avec deux frères, Olivier et Ivan, nés de deux autres pères, se fait vanner sur son rapport à la chirurgie esthétique ou sa célébrité et taquine ses frères en retour. Ils racontent également, à plusieurs voix, leur enfance bohème. Et nous laissent deviner comment, devant une certaine désinvolture parentale, ils se sont constitué un clan, un cocon protecteur. Ceux-là n’imaginent pas une seule seconde se nommer  » demi-  » frères et s£urs.

Aujourd’hui, avec les familles recomposées, on s’aperçoit très bien que, pour les enfants, la vie commune compte plus que les liens du sang. La fratrie sait distribuer une chaleur ou une disponibilité qui, parfois, manque aux parents. Comme dans les familles nombreuses. Chez les Bonnaire, prenons Sandrine et Lydie.  » Dans cette famille de onze enfants sans le sou, elles se sont fait une petite bulle à elles deux. Leur relation est gaie, imaginative, instinctive, naturelle. Tout est prétexte à rire « , expliquent les s£urs Massenet.

Les difficultés favorisent-elles le lien fraternel ? C’est ce que constatent les psys. Les problèmes financiers de la famille, le relâchement des liens parentaux favorisent le resserrement affectif entre enfants.  » À une époque où les adultes sont pris dans des problématiques de développement personnel, où les couples sont instables, le lien fraternel devient le pivot de la famille. Même s’il y a des périodes où les relations se distendent, les enfants savent se retrouver et se soutenir. Quand des couples se séparent, les hommes surtout (la femme restant dans l’appartement avec les enfants) se réfugient fréquemment chez un frère ou une s£ur, qui accepte de les héberger le temps qu’il faut « , raconte Sylvie Angel. Pour acheter une maison, dépanner quand on a une dette, donner un coup de main, le frère ou la s£ur sont aussi les premiers sollicités. D’autant plus que les familles d’aujourd’hui permettent à ce lien de s’épanouir et de durer.

 » Les pédopsychiatres ont conseillé d’élever chaque enfant comme un enfant unique. De ne pas considérer la fratrie comme un groupe mais de consacrer du temps, individuellement, à chaque enfant. Les parents sont plus au fait de la psychologie, ils sont plus sensibles à la personnalité de chaque enfant. Ils savent admettre les divergences fraternelles, sans y insuffler de culpabilité « , remarque Marcel Rufo. Lui aussi note que ce lien se renforce. D’ailleurs, à l’âge adulte, se tisse une nouvelle communication.  » Nous avons vu apparaître une catégorie des jeunes adultes qui, autrefois, ne se seraient plus (ou se seraient moins) vus pour des raisons d’éloignement géographique et qui communiquent via Internet, s’envoient des photos des enfants sur Facebook, bref qui se donnent des signes quasi quotidiennement. « 

Le caractère irremplaçable du lien fraternel se confirme tristement lors de la disparition d’un frère ou d’une s£ur. La chanteuse Dani, qui a perdu une s£ur très proche, exprime cette peine avec son autre s£ur Véronique :  » Quand on perd un parent, on est orphelin. Quand on perd une s£ur, il n’existe pas de mots. On ne peut pas dire, comme quand on est veuf ou veuve, que l’on va refaire sa vie. Il y a quelque chose qui s’en va et que l’on ne peut pas remplacer « , dit-elle.  » Lorsque l’on perd sa s£ur, on ressent la plus immense douleur : on a le sentiment que personne d’autre ne pourra se remémorer cette part de nous-même qui explique l’origine de notre personnalité. Elle emporte des secrets à jamais perdus « , complète Cristina Comencini dans le commentaire sur son roman S£urs.  » Perdre une s£ur, c’est, d’une certaine manière, perdre tout un pan de son enfance « , conclut Béatrice Massenet. C’est vrai, comment imaginer lien plus étroit qu’avec ce témoin de nous-mêmes ?

Par Marie-Christine Deprund

Il n’existe pas de mot pour dire la perte d’une s£ur.

La fratrie offre une chaleur qui, parfois, manque aux parents.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content