Transgresser les frontières

© KAREL DUERINCKX

Il y avait eu l’attente impatiente – neuf mois, c’est si long et si court à la fois. Et puis l’enfant soudain parut, « au bout du tunnel », sans ressembler aux rêves caressés. Un « petit extraordinaire », hors normes, abîmé déjà par la vie, avant même d’avoir été confronté au monde. Handicapé, le mot est lâché. Porteur désormais de cette identité imposée, résumée sur la voie publique par un panneau bleu avec grande roue et profil stylisé d’un bonhomme tout rigide enchâssé dedans. Il allait falloir « s’adapter ». Car comment faire autrement, à moins de devenir fou? Et dans ce combat de tous les instants, entraîner à sa suite son précieux cercle familial – on oublie trop souvent les fratries malmenées. Ecoutez donc, dans ces pages, les voix délicates des soeurs et des frères de ces petits êtres différents, leur phrasé sans détour et leurs mots qui dénudent leur culpabilité, leurs (res)sentiments, leurs silences et leur amour. C’est tout cela que nous confient Luna, Elise et Eléonore dans notre dossier sur « Les enfants de l’ombre ». C’est aussi cela que raconte Clara Dupont-Monod, dans son roman S’adapter, Prix Femina 2021. Elle ne dit pas autre chose, s’appuyant sur la puissance transcendante de la littérature: « Un jour, dans une famille, est né un enfant inadapté », « un bébé éternel », qui « trace une frontière invisible entre sa famille et les autres ». Epeler l’invisible l’assoit dans le réel. Et permet alors peut-être de prendre conscience de ces gouffres, de sorte que, avec délicatesse, on les rendrait un peu moins infranchissables.

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