Barbara Witkowska Journaliste

On connaît la Tunisie des plages… Celle du désert, qui s’étend de la frontière algérienne à la mer, est bien moins fréquentée par les touristes. Lumières, couleurs, et oasis : promenade au fil des chemins enchanteurs et sauvages.

Fatima est presque centenaire, mais ne fait vraiment pas son âge. ?il vif, silhouette droite comme un palmier, sourire coquin, poignée de main vigoureuse. Et coquette avec ça ! De longs cheveux orangés, teintés au henné, coulent sur ses épaules. Ses habits, blouse, tunique, veste, gilet, jupe et fichu, se croisent, se mêlent et superposent des couleurs chatoyantes. Un défilé féerique en blanc, jaune, rouge, noir, vert d’eau et azuré, sans être criard ou violent. D’un geste chaleureux, Fatima invite à visiter sa « maison ». Malgré le soleil écrasant, les pièces spacieuses, creusées dans la roche et chaulées de blanc, sont délicieusement fraîches. L’ordre est impeccable. Les lits, nombreux, sont soigneusement recouverts de cotonnades roses ou fleuries, fraîchement repassés. Le décor ? Un étonnant mélange de meubles occidentaux et de meubles artisanaux, réalisés sans doute par un membre de la famille. Sur le sol en terre battue, il y a même des tapis. Une profusion de souvenirs et de photos indiquent une famille tentaculaire. Dans la cuisine, des jarres gigantesques abritent des provisions pour plusieurs semaines, voire plusieurs mois …

Fatima est l’une des dernières habitantes de Matmata, le plus célèbre des villages troglodytiques. Un village souterrain, où chaque habitation dessine dans la terre un immense cratère. Les cinéastes américains George Lucas et Steven Spielberg ont choisi pour ce spectaculaire paysage lunaire et pour l’exploiter dans ses deux superproductions à succès mondial :  » La Guerre des étoiles  » et  » Les Aventuriers de l’arche perdu « .

Les tribus berbères Matmata se sont réfugiés il y a bien longtemps dans ces étendues onduleuses et inhospitalières, fouettées par le soleil. Elles ont eu l’idée de creuser, dans les entrailles de la roche, ces habitations singulières, déroutantes pour les Occidentaux et pourtant vastes et ombragées, si agréables à vivre. L’accès ? Judicieux et facile. Il suffit d’emprunter un tunnel, une sorte de long boyau, rythmé de part et d’autre par des étables et des remises à outils. Au bout du tunnel, le « patio », une cour ronde, éclaboussée par les ondes de lumière. Tout autour s’égrènent les pièces d’habitation : chambres et salles communes. Comble du raffinement, le rez-de-chaussée est surplombé d’un autre niveau, où des niches, plus petites, servent de greniers. Un seul moyen pour y pénétrer : en grimpant avec une corde …

Au début des années 1960, le président Bourguiba a décidé la construction de Nouvelle Matmata, à 15 km de l’ancien village, estimant que ces maisons souterraines « étaient impropres à abriter des êtres humains ». Les habitants ont été obligés de quitter leurs demeures. Pourtant, on ne déracine pas un vieil arbre. Certains, les plus anciens, dont Fatima, sont donc revenus. Une bonne idée a germé dans leurs esprits : pourquoi ne pas tirer profit de ce patrimoine unique ? Fatima, douée pour le marketing, a été l’une des premières à ouvrir les portes de sa maison aux touristes. Aujourd’hui, on la dit millionnaire. Car, bien entendu, en quittant sa demeure, on n’oublie pas de glisser  » une petite pièce  » …

Nous partons vers l’est, vers la frontière algérienne. Le paysage, aride, solitaire et semi-désertique, est peuplé de rares palmeraies. Soudain, la mer ? Mais non, c’est un mirage qui donne l’illusion de l’eau, sur la terre du chott (lac salé) el-Djérid. L’horizon paraît sans limite, ourlé, au loin, par des montagnes mauves grisées, légères comme une buée. Dans l’air, la lumière est palpable… On reste figé devant ce spectacle impressionnant, mêlant des mares d’eau saumâtre et des « plages » de sable, nappées de mousse blanchâtre et spongieuse. Le chott est relié à la mer par des canaux souterrains. Quasi sec en été, il se gorge d’eau salée en hiver et surtout au printemps. De vastes mares apparaissent, mais jamais de véritables lacs. On y vient pour la beauté, l’espace, le silence et la méditation. De là, toutes les haltes sont possibles.

Tozeur, sa foule grouillante, ses minarets, son souk sont à quelques pas. Il y a le quartier moderne qui entoure l’avenue Bourguiba, avec ses cafés bondés, son marché couvert. Devant les boutiques, des tapis pendent du toit jusqu’au sol. Ils arborent motifs et couleurs d’une fantaisie étourdissante. Des enfants réclament, dans un éclat de rire, des stylos. Les vendeurs, en revanche, sont d’une discrétion exemplaire. On peut tout regarder,  » pour le plaisir des yeux « , sans se faire harceler. Dans la rue, deux jeunes hommes, très aimables, saluent poliment. Présentations faites, Abdul et Rachid suggèrent de faire un petit bout de chemin ensemble. Avec fierté, ils montrent la médina, quartier ancien avec son réseau de ruelles sous des voûtes. Couvertes de briques blondes, les façades sont ornées de motifs abstraits et géométriques, pareils à ceux qui ornent les tapis de la région. On apprend que certaines maisons datent du XIVe siècle, de l’époque où Tozeur, ville-frontière romaine, s’appelait Tusuros. Admirablement préservée, la médina n’a été défigurée par aucun café, ou boutique pour touristes. La plupart des façades sont lisses et opaques, sans la moindre fenêtre ou hublot. Rachid propose de visiter la maison de son oncle. Une porte anonyme, sans aucune inscription. Puis un couloir biscornu débouche sur un vaste patio, orné, au milieu, d’une fontaine. Le cadre est d’une beauté à couper le souffle. Ici, à l’abri des regards indiscrets et loin des bruits de la ville, sous une fabuleuse lumière qui coule du ciel bleu, on profite de la dolce vita en vase clos… Dans la célèbre oasis de Tozeur, toute proche, on se balade au milieu d’une végétation exubérante qui étale généreusement des dais de verdure. On finit par prendre, ensemble, un thé en terrasse, évoquer les beautés du Sud tunisien, la gentillesse, l’hospitalité et la simplicité de ses habitants. « Vous êtes ici chez vous ». Cette formule de politesse, banale et souvent entendue, prend, à Tozeur, une vérité et une sincérité toute particulière.

Les oasis de Tamerza et de Chebika (cette dernière est sans doute l’une des plus belles de Tunisie), sont à la porte de Tozeur. Cascades, gorges, sources, palmeraies et montagnes jaillissent au bout d’un paysage nu et aride. On escalade les rochers sauvages. De là-haut la vue est magnifique. Partout, la plaine infinie. Très loin, des montagnes dentelées comme la crête des coqs. Tout proche, l’ancien village de Chebika : un amas de ruines et de murs croulants. Les pierres se moquent du temps qui passe…

Tataouine est une étape vers le désert et la route des ksour (ksar au singulier et signifiant « lieu fortifié »). Les ksour, dont certains seraient vieux de six siècles, étaient destinés au stockage des céréales et servaient, parfois, d’habitation. Modèles architecturaux typiques de la région, ils sont une halte incontournable. Dans le Ksar el-Ferch, les « gorfhas » (greniers aux formes de grottes) ont été préservés avec beaucoup de soin. On peut y choisir un souvenir, prendre un thé et circuler en chameau. Et, surtout, contempler un ciel limpide et savourer l’air extraordinairement pur du désert. Se ressourcer. Car, ici, c’est la Tunisie du Sud, miraculeusement épargnée par le grand tourisme.

Barbara Witkowska

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