Miuccia Prada ne ressemble à personne d’autre. Et ses vêtements non plus. Sa maison est centenaire. Mais avant-gardiste.

Elle déteste se retourner sur le passé, et encore plus poser pour les photographes, accorder des interviews, jouer les mondaines, mais puisque cette année, Prada a 100 ans, il faudra bien que Miuccia, la fille de la maison, parle un peu d’hier. Rien ne sera donc laissé au hasard, l’année phare a bel et bien débuté avec un défilé renversant, comme presque tous ses défilés d’ailleurs. Dimanche 13 janvier 2013, à Milan, Miuccia Prada a confié la scénographie de son show catégorie Homme (photo) à Rem Koolhaas. L’architecte néerlandais est un habitué du genre, le partenaire particulier de cette histoire contemporaine qui floute les frontières entre l’art et la mode. Il a osé inverser les rôles : les invités au milieu, le catwalk et le décor alentour. Les silhouettes ? Au cordeau, inspiration sixties, chaussures urbaines portées sans chaussettes, col délibérément chahuté d’un côté et imprimé carreaux réveillant le manteau camel.

Dès le début, en réalité, Miuccia Prada ne fait rien comme les autres. Etre née dans une famille bourgeoise et lombarde en mai 1949 vaccine peut-être de toute velléité de banalité. Et si elle a défilé au siège du Parti Communiste français, à Paris, ce n’est pas par coquetterie, mais parce que ce lieu incarne ses idées. Car avant d’être styliste ( » Je trouvais cela bête, conservateur, j’avais honte « , confiera-t-elle), elle sera hippie, se formera aux sciences politiques, fera de l’activisme féministe, apprendra le mime au Piccolo Teatro, jouera sur scène puis se laissera finalement rattraper par ses gènes, à aider sa mère dans la petite entreprise familiale, fondée en 1913 par son grand-père, une boutique spécialisée dans la maroquinerie et les accessoires de luxe, à Milan. A la fin des années 70, elle fait de son étrangeté sa force, conçoit des sacs, épouse l’homme qui avait copié l’un de ses modèles, cela l’avait rendue furieuse, elle s’était calmée et lui avait proposé une collaboration. Depuis, avec Patrizio Bertelli, elle forme l’un des tandems les plus inspirés de ces dernières décennies, avec leur entrée par la grande porte dans le monde du luxe, et l’insolente santé de Prada, farouchement indépendante, dont le chiffre d’affaires (1,55 milliard d’euros) a bondi de 36, 5 % au premier semestre 2012, ça, c’est pour le côté Bourse. Pour le côté créatif, l’histoire retiendra d’elle son sac en Nylon, ses collections Femme depuis 1989, son deuxième label, Miu Miu, lancé en 1993, et l’adjectif  » ugly  » accolé au substantif  » beauty « , un oxymore poétique qui dit tout et rien de ses vêtements magnifiques qui outrepassent les limites des codes bourgeois et des imprimés seventies. Pareil pour cette carte blanche qu’elle proposa à Roman Polanski, qui tourna pour elle un petit film de 3 minutes montré au Festival de Cannes, cru 2012, titré A Therapy, avec Ben Kingsley et Helena Bonham Carter psychanalytiquement grandioses. Idem pour ces autres oeuvres signées Zoé Cassavetes ou Massy Tadjedin pour Miu Miu et cette Fondazione Prada qui a beaucoup à voir avec l’art contemporain. En épitaphe, on pourrait écrire Miuccia Prada, cheffe de file de collections anti-femme-objet. A part ça, le diable ne s’habille pas chez elle.

ANNE-FRANÇOISE MOYSON

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content